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Dette du Sénégal : De la polémique à la raison d’Etat

La polémique sur une supposée « dette cachée » du Sénégal a suffisamment duré. Née sur le terrain politique, elle a dangereusement glissé vers une arène technico-financière où les approximations et les contradictions menacent aujourd’hui la crédibilité de notre nation et, plus grave encore, le bien-être des Sénégalais. Loin de vouloir raviver les querelles, il est impératif de ramener le débat à l’essentiel : la sauvegarde des intérêts supérieurs du Sénégal. Pour ce faire, il nous faut répondre aux questions fondamentales : une dette a-t-elle été cachée ? Si oui, par qui, avec la complicité de qui, dissimulée à qui, et pourquoi ?


Rédigé par leral.net le Dimanche 19 Octobre 2025 à 19:15 | | 0 commentaire(s)|

Une « dette cachée » introuvable : la querelle de la méthode

Dette du Sénégal : De la polémique à la raison d’Etat
Au cœur de cette tempête, il n'y a pas la découverte d'emprunts clandestins, mais un changement de méthodologie comptable. La controverse est née de la décision du nouveau gouvernement d'intégrer la dette des entreprises du secteur parapublic (sociétés nationales, agences) dans la dette globale de l'État. Cette pratique, qui rompt avec celle de toutes les administrations précédentes, a mécaniquement gonflé le ratio d'endettement, donnant lieu à l'accusation de « misreporting » (erreur de déclaration) par le FMI.

Cependant, parler de « dette cachée » est un abus de langage. Comment peut-on cacher une dette que l’on honore ? Le Sénégal a toujours été un élève modèle, respectant scrupuleusement ses échéances auprès de créanciers bilatéraux et multilatéraux qui n'ont jamais signalé le moindre défaut de paiement. Une dette se rembourse, et ces remboursements figuraient en bonne place dans les lois de finances successives, constituant l'un des premiers postes de dépenses de l'État. Ces fonds ont servi à financer des infrastructures visibles et structurantes – autoroutes, ponts, aéroports, stades, nouvelle ville – qui constituent un héritage tangible, que l'on approuve ou non leur pertinence stratégique.

La crédibilité de l'État et de ses serviteurs en jeu

Plus inquiétant encore, cette polémique jette un discrédit inacceptable sur l'ensemble de notre haute administration. Si dette cachée il y avait, cela signifierait que les plus hauts organes de contrôle de l’État, qui ont validé les comptes publics année après année, auraient été soit complices, soit incompétents. Cela voudrait dire que les brillants esprits du Ministère des Finances, du Trésor, de la BCEAO et de l'ANSD, reconnus pour leur rigueur, seraient des faussaires.

Le paradoxe est saisissant : plusieurs de ces hauts fonctionnaires sont aujourd'hui maintenus à des postes clés, voire promus au sein du nouveau gouvernement. Comment peut-on leur faire confiance pour gérer le pays aujourd'hui si l'on suggère qu'ils ont contribué à falsifier ses comptes hier ? Cette contradiction insoluble affaiblit l'État et sape la confiance des citoyens envers ceux qui le servent. Au nom du droit à l'information, il est temps que la transparence soit faite par la publication des rapports pertinents et, surtout, un tableau simple et détaillé de ces fameuses dettes prétendument dissimulées. L'absence de cette preuve factuelle alimente le scepticisme.

Sous ce registre, la non-publication du rapport du cabinet Mazars, commandité par les autorités actuelles, avec l’argent public, pose une sérieuse interrogation : que cherche-t-on à cacher ?

Le paradoxe du FMI : souverainisme ou soumission ?

Hier accusé de complaisance, le FMI est aujourd'hui courtisé avec insistance. Cette posture ambivalente est pour le moins déroutante. Un gouvernement qui a fait du souverainisme son cheval de bataille ne peut, sans se contredire, vilipender une institution un jour et l'implorer le lendemain. Cette cacophonie au sommet de l'État envoie un signal de fébrilité aux partenaires financiers et affaiblit notre position de négociation.

La conséquence directe et dramatique de cette saga est que le Sénégal se retrouve acculé. En créant nous-mêmes une crise de confiance, nous avons offert au FMI un levier inespéré pour imposer ses conditions. Le programme qui se dessine, évoqué par le Directeur du Département Afrique du Fonds, s'annonce comme une cure d'austérité sévère : réformes structurelles, suppression des subventions aux produits de première nécessité, coupes dans les dépenses sociales. Le prix de cette polémique politique sera payé par les ménages les plus pauvres et le monde rural, principales victimes d'un ajustement budgétaire que nous aurons nous-mêmes provoqué.

Sortir de l'ornière pour l'avenir du Sénégal

Il est temps de mettre fin à ce sabordage. Plutôt que de nous perdre en accusations qui ébranlent les fondements de notre République, le débat doit porter sur les vrais enjeux : Quelle est notre stratégie de développement ? Comment rendre notre dette soutenable et productive ? Comment générer une croissance inclusive qui ne dépend pas des institutions de Bretton Woods ?

L'heure n'est plus à la polémique, mais à la responsabilité. Le gouvernement doit clarifier sa position, défendre l'honneur de notre administration et, surtout, protéger les Sénégalais des conséquences d'un programme d'austérité qui serait le résultat malheureux d'une crise entièrement évitable. L'intérêt du Sénégal et des Sénégalais doit primer sur toute autre considération.

Talla SYLLA
Président de Jëf Jël / Jàmm ak Naatange

Ousseynou Wade