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Dia Alihanga, bouillon de culture

Rédigé par leral.net le Vendredi 7 Novembre 2025 à 17:33 | | 0 commentaire(s)|

Dans cet entretien accordé à GABONEWS — Dia ALIHANGA, chroniqueur, éducateur et figure du mouvement Hip Hop gabonais — retrace un parcours dense, tissé d'expériences artistiques, spirituelles, politiques et interculturelles. De Libreville à Nantes, en passant par l'Allemagne, il évoque son itinéraire d'homme en quête de sens, de cohérence et d'identité, oscillant entre le slam, la sociologie et l'engagement panafricain. Membre du collectif Bug Drama Clan et proche du groupe Movaizhaleine, (...)

- ARTS & CULTURE /

Dans cet entretien accordé à GABONEWS — Dia ALIHANGA, chroniqueur, éducateur et figure du mouvement Hip Hop gabonais — retrace un parcours dense, tissé d'expériences artistiques, spirituelles, politiques et interculturelles. De Libreville à Nantes, en passant par l'Allemagne, il évoque son itinéraire d'homme en quête de sens, de cohérence et d'identité, oscillant entre le slam, la sociologie et l'engagement panafricain. Membre du collectif Bug Drama Clan et proche du groupe Movaizhaleine, il revient sur ses débuts dans la culture Hip Hop, son passage par l'éducation populaire, sa conversion à l'islam et son retour au christianisme, tout en affirmant la nécessité pour les Africains de réconcilier leurs héritages multiples. Aujourd'hui engagé auprès de la candidate Peggy N'nah Ndong, Dia Alihanga plaide pour une renaissance panafricaine fondée sur la paix des complexités et l'unité spirituelle, culturelle et politique du continent.

Quel est votre parcours et comment êtes-vous arrivé dans le monde des médias ?

Avant tout, je veux dédier cette interview aux Funérailles des Tabous, à Philippe Fabignon et à toute l'équipe, qui permettent de donner de la visibilité, dans la sphère médiatique, aux thématiques et aux sujets afrodescendants.

Je viens du Gabon, qui constitue la partie occidentale de l'ancien empire Kongo. J'aime me référer à cette dimension historique, surtout en cette période où l'on commémore la Conférence de Berlin (1884-1885), moment où les puissances coloniales ont redessiné nos frontières. À mes yeux, nous vivons aujourd'hui une époque semblable : les anciennes sociétés concessionnaires d'hier ont simplement pris d'autres visages — Total, Bolloré, Bouygues — là où, jadis, on parlait d'esclavage et de travail forcé.

Je suis donc un produit de cette identité culturelle gabonaise, que je considère comme le « cœur de la planète », au même titre que l'Amazonie est son poumon. Notre culture a su préserver la nature, et c'est cette harmonie que j'essaie d'incarner. Je viens du hip-hop. Mon école primaire, c'était le chant en chorale ; mon secondaire, la culture hip-hop américaine que nous avons su nous approprier ; mon doctorat, le spoken word, le slam, dont je suis l'un des précurseurs au Gabon et en Afrique francophone, dès 2004.

Comment avez-vous découvert la culture hip-hop ?

Au début des années 1990, juste après la chute du mur de Berlin. En Afrique, on ressentait un vent de liberté, porté par les révolutions du bloc de l'Est. Le monde était alors bipolaire, comme on parle aujourd'hui des BRICS et de l'OTAN. Grâce à la mutation technologique et médiatique, nous avions un accès rapide aux vidéoclips américains.

Au Gabon, Gervais Mpouho du groupe V2A4 sort « African Revolution », qui fut pour beaucoup notre premier contact avec cette culture. En explorant plus loin, nous découvrions Public Enemy, KRS-One, et tout le courant du rap conscient. Ce hip-hop m'a façonné, intellectuellement et politiquement.

Le hip-hop vous définit-il ?

Pas totalement. Il a plutôt été la matrice où j'ai été incubé. C'est une culture afrodescendante, une culture africaine des Amériques. Au Gabon, ma génération est celle de Movaizhaleine. J'ai toujours pensé que l'école créait une forme de schizophrénie dans notre manière de lire la réalité. Le hip-hop est venu compléter notre formation : il nous reliait à une histoire panafricaine, à la lutte pour les droits civiques, à une conscience du monde.

Vous le pratiquez encore ?

Oui, à deux niveaux : comme MC [Maître de Cérémonie], capable d'improviser des heures durant et comme philosophie de vie. Le hip-hop est une culture africaine : héritier du blues, du gospel, du reggae, du griotisme. Il naît d'un besoin de recréer du sens, après la déportation et la coupure avec les royaumes d'origine. DJ Kool Herc et le scratch ont transformé cette inventivité en art total. Cette continuité avec les cultures ancestrales africaines m'a toujours fasciné.

Quel a été votre parcours scolaire ?

Avec les frères de Movaizhaleine (Lord Ekomy Ndong, Maât Seigneur Lion, Serge Minko, Louis Eng), nous avons fondé en 1995, Bug Drama Clan, premier collectif hip-hop indépendant du Gabon, à l'origine du label Zorbam Production.

Zorbam, c'est la machette : symbole d'un combat culturel. Nous étions des guerriers de la pensée, porteurs d'une mission de valorisation. Sur le plan scolaire, j'ai rompu avec le système en 1993-94. J'ai quitté le Lycée Léon Mba, passant d'une moyenne de 12,76 à 4. J'ai choisi d'arrêter le lycée, par rejet du système, avant d'y revenir cinq ans plus tard comme candidat libre.

Je ne conseille pas ce choix, mais il m'a permis d'expérimenter autrement la connaissance.

Comment s'est passée votre reprise d'études ?

J'ai échoué deux fois au baccalauréat avant de l'obtenir, grâce à ma persévérance et au soutien du Collège Delta de Port-Gentil, dirigé par mon oncle, Charles IGNANGA. La ville m'a aussi ouvert à d'autres expériences, notamment une initiation au bwiti, mais ce rituel n'a pas comblé ma quête. J'ai compris que je devais réconcilier mes identités spirituelles et culturelles, sans radicalité.

Et après le baccalauréat ?

J'ai obtenu une bourse pour l'Allemagne, pour y étudier la théorie des médias. Je profite d'ailleurs pour évoquer les inégalités d'accès aux bourses au Gabon : trop souvent, elles sont attribuées selon les réseaux familiaux et politiques. Cela détruit la confiance en soi de beaucoup de jeunes.

En Allemagne, j'ai d'abord étudié électrotechnique — par erreur de parcours — avant de me réorienter vers théorie des médias, qui me correspondait davantage. J'y ai aussi vécu ma conversion à l'islam, inspirée par le mouridisme de Cheikh Ahmadou Bamba.

Comment avez-vous vécu cette période ?

Arrivé en Allemagne sans parler la langue, j'ai subi un choc culturel. Après le 11 septembre 2001, être noir et musulman rendait les choses encore plus complexes. Ce contexte m'a poussé vers l'introspection et vers la sociologie interculturelle. Fils du sociologue Martin Alihanga, spécialiste du Communautarisme, j'ai retrouvé dans la théorie des médias une prolongation naturelle de ma réflexion artistique et critique.

Pourquoi avoir quitté les médias pour le social ?

Parce que je voulais agir concrètement. En Allemagne, la barrière linguistique, ce qui limitait mes perspectives. J'ai donc choisi les carrières sociales et suis devenu éducateur spécialisé, avant de poursuivre en ethnopsychiatrie à Paris 8 dès 2008.

Comment s'est passée votre arrivée en France ?

Installé d'abord à Paris, j'ai pu observer directement les réalités interculturelles et communautaires. Là où certains y voyaient un drame, j'y voyais une richesse identitaire. Les émeutes de 2005 m'ont inspiré une réflexion : la banlieue, pour la France, est ce que la périphérie fut pour l'empire colonial.

Et sur le plan professionnel ?

J'ai travaillé à Nantes avec des associations œuvrant auprès de jeunes issus de l'immigration, en utilisant le slam et la poésie comme leviers identitaires. Puis, j'ai étendu mes interventions à la formation interculturelle et à la RSE, jusqu'à accompagner des cadres expatriés.

En 2010, nous avons fondé un Centre culturel africain à Nantes, avec mes frères de Movaizhaleine. Le projet a duré six ans, mais a buté sur des problèmes structurels : absence d'un process de gouvernance participative consensuelle. Leçon précieuse.

Comment arrivez-vous dans l'émission Les Funérailles des Tabous ?

J'ai rejoint l'émission après un appel à candidatures. Mon parcours, ancré dans l'interculturel et le panafricanisme, a trouvé naturellement sa place. Mon rôle y est d'apporter une lecture historique et culturelle à l'actualité gabonaise et africaine.

Quelle est votre actualité ?

Je travaille aujourd'hui dans la région d'Angers, dans le domaine du bien-être et du massage traditionnel. En parallèle, j'accompagne la communication de Peggy N'nah Ndong, pasteure et candidate au second siège de la diaspora gabonaise. Son engagement me rappelle celui de Martin Luther King : allier foi, action civique et leadership communautaire.

La question fatidique : tu rentres quand ?

[Rires] Je suis au Gabon, même quand je suis ailleurs. J'y ai vécu entre 2009 et 2022, notamment dans le domaine agricole.

Mon retour physique importe peu : je contribue déjà à distance, culturellement et politiquement.

Le Gabon vit en moi. C'est l'important.

Le mot de la fin ?

La société civile panafricaine doit dépasser les fractures identitaires. Être chrétien, musulman, kémite ou panafricain ne doit pas être exclusif. Nous devons faire la paix avec nos complexités. C'est vrai sur les plans culturel, artistique et politique : c'est le défi du Gabon d'aujourd'hui.

DPG



Source : https://www.gabonews.com/fr/actus/arts-culture/art...