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Jeudi 25 Septembre 2025

Dossier Exclusif – « EllipseGate » : Scandale de 420 milliards de FCfa dans les hôpitaux et la justice au Sénégal


L’attribution gré à gré de nombreux marchés publics de construction d’hôpitaux, de palais de justice et de prisons au Sénégal à une PME française inconnue du grand public, Ellipse Projects, dirigée par l’homme d’affaires Olivier Picard, s’apparente à un scandale d’État hors normes. Entre 2017 et 2022, pas moins de 420 milliards de FCFA (environ 600 millions d’euros) de contrats ont été octroyés sans appel d’offres international. Validés sous la présidence de Macky Sall (2012–2024) via les ministères de la Santé et de la Justice, ces marchés ont permis à Ellipse Projects, petite société française, de rafler d’immenses projets publics de gré à gré.



Un « deal » colossal orchestré au sommet de l’État

Dossier Exclusif – « EllipseGate » : Scandale de 420 milliards de FCfa dans les hôpitaux et la justice au Sénégal
De 2017 à 2022, le Sénégal a construit sept hôpitaux neufs clés en main, dont six attribués sans appel d’offres à Ellipse Projects et un, au consortium espagnol Quantum-Ghesa. Parmi ces projets : Touba, Kaffrine, Kédougou, Sédhiou, Tivaouane et Ourossogui. Le très lucratif marché de reconstruction de l’hôpital Aristide Le Dantec (660 lits, Dakar) – 92 milliards FCfa a été confié directement à Quantum-Ghesa, présenté par des sources comme une société écran du milliardaire espagnol Alberto Cortina, propriétaire de la Banque de Dakar (BDK).

Au total, Olivier Picard, via Ellipse Projects, a empoché environ 165 milliards FCfa sur les hôpitaux et 250 milliards FCfa sur les infrastructures judiciaires, soit près de 420 milliards FCfa.

Focus – Ellipse Projects en chiffres
* Période : 2017–2022
* Marchés hospitaliers : 6 sur 7, sans concurrence
* Infrastructures judiciaires : 69 bâtiments (palais de justice, prisons) dans le cadre du PROMIJ
* Montant cumulé : ~420 milliards FCfa
* Montage : PPP adossé à un dispositif de garantie export (BPI France)

Olivier Picard, de l’ombre à l’entregent au Palais


Inconnu du grand public il y a quelques années, Olivier Picard, ancien employé d’une entreprise, liée au groupe Eurofinsa, arrive au Sénégal vers 2016-2017. Avec des appuis au plus haut niveau, il s’introduit au Palais présidentiel et devient rapidement le « chouchou » du régime pour les projets de construction publics. Ellipse Projects, enregistrée à Paris et à Singapour se voit dérouler le tapis rouge dans les ministères techniques.

« Enfant gâté de la République », Picard enchaîne les conventions de gré à gré, porté par des directives, venues du Palais.

Plusieurs pontes du régime se seraient montrés particulièrement bienveillants. Selon des sources, « Olivier Picard savait arroser son petit cercle d’intermédiaires ». En échange, ses contrats « passaient comme lettre à la poste ». Des observateurs estiment qu’il a su s’assurer la complicité de figures clés, liées aux marchés publics, notamment à la Santé et à la Justice, au point de devenir un visage familier et quasiment intouchable dans ces administrations.

Des marchés sans concurrence et des montages opaques

Aucun appel d’offres n’a été lancé pour ces marchés colossaux. Pour rendre ses offres « incontournables », Ellipse Projects s’est appuyée sur un mécanisme de garantie publique à l’export (BPI France/ACE), offrant une caution financière à l’État sénégalais. Ce levier a rassuré le gouvernement et permis d’emporter des contrats, même sans expérience avérée.

Le montage des PPP comporte d’autres zones d’ombre. Et, chaque marché prévoyait, selon nos informations, un « ticket d’entrée » d’environ 20 % de sa valeur versée à Ellipse Projects, avant même le démarrage effectif des travaux. Le Trésor aurait versé jusqu’à 25 milliards FCfa par an sur le compte local d’Ellipse (SGBS), aussitôt transférés vers un compte d’Ellipse Projects PTE à Singapour. Un certain Alex « Alizet » Ahmed, présenté comme directeur de la filiale singapourienne et proche de Picard, aurait multiplié les séjours à Dakar pour entretenir ce réseau.

Ce schéma opaque laisse penser que des rétrocommissions ont pu transiter vers des bénéficiaires cachés. La facilité avec laquelle Ellipse Projects a obtenu et conservé ces marchés suggère un système de corruption bien huilé. Certains responsables ont quitté leurs fonctions dès l’alternance de 2024.

Des coûts faramineux pour des résultats contestés

Au-delà de l’attribution, la qualité et le coût posent question. L’hôpital de Touba (300 lits) a coûté 39 milliards FCFA, avec des chambres de 4 lits sur 29 m² et sans salles de bain individuelles (blocs sanitaires communs). Autres prix signalés : Kaffrine (150 lits) 20 milliards ; Kédougou (150 lits) 19 milliards ; Sédhiou (150 lits) 19 milliards ; Ourossogui (150 lits) 22 milliards ; Tivaouane (300 lits) 46 milliards. Fait troublant : Tivaouane, de même capacité et architecture que Touba, coûte 7 milliards de plus, alors qu’on pouvait attendre des économies d’échelle. Par ailleurs, Tivaouane et Le Dantec, annoncés pour fin 2023, n’étaient toujours pas livrés à la date prévue.

Un nouveau pouvoir face au « Picard Gate »

Depuis avril 2024, l’élection de Bassirou Diomaye Faye et la nomination d’Ousmane Sonko comme Premier ministre ont rebattu les cartes. Informés de l’ampleur du dossier, ils ont instruit la suspension de tout paiement en faveur d’Ellipse Projects et exigé des éclaircissements sur la structuration financière des nouveaux hôpitaux (ex. Mbour). Le 27 février 2025, Ousmane Sonko a dénoncé publiquement des surfacturations dans les contrats hospitaliers. Le message est clair : transparence et mise en concurrence deviennent la règle.

Face à cela, Olivier Picard se fait discret. Son homme de confiance à Singapour, Alex « Alizet » Ahmed, tenterait encore d’éviter la perte du PROMIJ (69 bâtiments judiciaires), mais l’étau se resserre : retraits d’avantages, audit et potentielles suites judiciaires.

« EllipseGate » impressionne par ses montants et son cynisme. Une PME portée par des réseaux influents a capté des centaines de milliards en un temps record, exploitant les failles d’un système complaisant. Le nouveau pouvoir affiche sa volonté de stopper l’hémorragie et de demander des comptes. Reste à voir si, ces révélations seront suivies de poursuites concrètes. Cette affaire souligne l’urgence de réformes de transparence pour que plus jamais un « Olivier Picard » n’opère dans l’ombre des palais.
Mame Fatou Kébé






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