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EFFONDREMENT SILENCIEUX AU MALI

Rédigé par leral.net le Samedi 11 Octobre 2025 à 00:43 | | 0 commentaire(s)|

Alors que la rhétorique gouvernementale proclame l’autonomie, la réalité institutionnelle dévoilée par Sissoko, Traoré et Tangara montre un État en retrait, abandonnant ses fonctions sociales au profit de symboles et d’un capital humain sous-valorisé

(SenePlus) - Dans une étude publiée en septembre 2025 dans la Revue Internationale de la Recherche Scientifique, Etienne Fakaba Sissoko, Mohamed L. Traoré et Tahirou Tangara livrent une radiographie saisissante de la crise malienne. Sur la période 1990-2024, ils décortiquent l’articulation complexe entre chômage structurel, délitement progressif de l’État et reproduction de la pauvreté extrême, mobilisant des méthodes économétriques avancées (ARDL, VAR) et une analyse qualitative des récits politiques post-2020.​

Depuis le début des années 1990, le Mali passe de modèle démocratique à État fragilisé. Les auteurs soulignent que la fragmentation du contrat social se manifeste par la fermeture massive d’écoles, le repli administratif des zones rurales et la délégation croissante des fonctions publiques à des acteurs non étatiques – ONG, chefs traditionnels, groupes armés. Ce “retrait” territorial de l’État est compensé par une visibilité symbolique : drapeaux, discours de souveraineté, cérémonies, mais de moins en moins d’action réelle auprès des citoyens.

Avec plus de 60% de la population âgée de moins de 25 ans, le Mali connaît une jeunesse prise dans un double étau : chômage endémique et informalité généralisée. Les diplômes s’accumulent, mais ne trouvent pas à s’employer dans une économie dominée à 93% par l’informel. Les jeunes Maliens sont contraints à des logiques de “survie”, sans perspectives de mobilité sociale ou d’intégration productive. Le système éducatif, en crise de finalité et de qualité, produit des “diplômés inemployables”, générant frustration, désaffiliation et parfois migration forcée.

L’étude montre que la pauvreté extrême au Mali est avant tout “inertielle”, c’est-à-dire qu’elle dépend essentiellement de ses niveaux antérieurs. Ni la croissance économique, ni l’augmentation des dépenses publiques, ni l’élévation du niveau d’éducation ne suffisent à l’infléchir durablement. Les investissements publics apparaissent comme des réponses ex-post aux crises, non comme des leviers de redistribution ou de transformation. Les politiques, souvent dictées ou soutenues par des partenaires internationaux, restent “réactives”, sans effet soutenu sur la réduction des vulnérabilités.

Souveraineté performative : le discours supplante l’action

Depuis 2020, la rhétorique officielle s’est déplacée vers une “souveraineté performative”, selon les auteurs. Le langage du pouvoir justifie le retrait de l’État des fonctions sociales au nom de l’autonomie communautaire ou du refus des partenariats internationaux. Les slogans (“Le Mali ne sera plus à genoux”, “Nous sommes maîtres chez nous”) masquent une “dé-responsabilisation” fonctionnelle et alimentent la fiction d’une rupture radicale, alors que l’État a dans les faits cédé ou abandonné une partie de ses prérogatives.

L’analyse met en lumière la centralité de l’économie informelle, qui absorbe les chocs économiques sans ouvrir de véritables possibilités d’insertion ou de mobilité. L’informalité au Mali, loin de n’être qu’un résidu économique, joue le rôle d’amortisseur – mais bloque aussi l’accumulation sociale et perpétue la pauvreté comme norme institutionnalisée. Les jeunes, qui s’insèrent dans l’informel faute d’alternative, en subissent les précarités, l’absence de droits et la marginalisation.

Les grandes crises du Mali (dévaluation du franc CFA en 1994, crise politique en 2012, transition militaro-institutionnelle et pandémie en 2020, sanctions CEDEAO en 2022) n’ont fait qu’accélérer l’usure institutionnelle, sans transformation de fond. Le Mali absorbe les chocs mais conserve ses fondamentaux fragiles : la pauvreté reste auto-entretenue, le capital humain improductif, la gouvernance recentrée sur la sécurité et la rhétorique souverainiste.

Les modélisations révèlent :

  • Une absence de lien direct entre chômage des jeunes et fragilité institutionnelle.
  • L’expansion de l’informalité n’entretient pas de manière significative la pauvreté durable.
  • L’éducation, bien que quantitativement améliorée, n’a pas d’effet notable sur la pauvreté ; seule une hausse de l’alphabétisation adulte réduit modérément le chômage des jeunes.
  • Les ruptures institutionnelles post-2020 accentuent le repli de l’État et renforcent la “gouvernance par le vide légitime”.

Typologie et comparaison régionale

Le Mali incarne, selon Sissoko, Traoré et Tangara, le modèle le plus abouti d’“effondrement silencieux” en Afrique de l’Ouest. La fragmentation territoriale, le désengagement social, le retrait fonctionnel et la substitution de l’action par le discours souverainiste distinguent le cas malien du Niger ou du Burkina Faso, où les crises prennent une forme plus sécuritaire. Au Mali, la jeunesse est massivement piégée par un capital humain inconvertible, une migration forcée et un marché du travail saturé.

Les auteurs recommandent :

  • De recomposer le système éducatif autour de l’employabilité locale et des compétences transférables.
  • De territorialiser les services sociaux de base, en dotant les zones rurales de ressources fiscales et budgétaires réelles.
  • De repenser le contrat social, en sortant du registre purement symbolique pour restaurer une redistribution et une protection effectives.

Implications pour la région

Ce “modèle malien” pose une question cruciale : la pauvreté n’est plus une anomalie à corriger, mais une structure normative gérée par les mécanismes institutionnels et narratifs eux-mêmes. L’absence de données fiables, la faiblesse des micro-politiques et la “désinformation institutionnelle” renforcent encore cette crise invisible.

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Farid


Source : https://www.seneplus.com/international/effondremen...