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EPHEMERIDES : En 1930, les thiessois mourraient de la peste…


Rédigé par leral.net le Lundi 8 Septembre 2014 à 15:43 | | 0 commentaire(s)|

PHOTO : Le puits où furent jetés les pestiférés morts.
PHOTO : Le puits où furent jetés les pestiférés morts.

Thiès 1930. La petite bourgade est grouillante de monde comme toutes les premières cités de l’Afrique occidentale française. Les indigènes sont pauvres et tirent quelques miettes des affaires commerciales, (chasse gardée des européens et des Nord-africains). Dans les comptoirs, les colons s’enrichissent sur le dos des autochtones. Ces derniers ne comprennent rien aux nébuleuses transactions des grands comptoirs.

En ce mois de juin de l’année 1930, malgré la misère, la vie est belle. On respire donc on espère. Il en est ainsi jusqu’au moment où une mystérieuse maladie à l’allure foudroyante commence à décimer la ville. Les individus tombent comme des mouches. Les signes de la maladie ne se font pas attendre. On commence par avoir une forte fièvre, puis la période d’incubation s’accélère avant que mort s’en suive. Les corps se comptent par dizaine ensuite par centaines. C’est la…peste.

A cette époque-là, Thiès se limite à quelques quartiers mal famés où règne la promiscuité. Ce sont des cases de paille et de chaume qui servent de demeures. A Diakhao logent la plupart des militaires africains et le reste de la populace est entre Nguinth Portugaise, le quartier Escale et les agglomérations disparates situées derrière la voie ferrée. Sans oublier le tristement célèbre quartier Lazaret, le mouroir des pestiférés. Au loin, les officiers européens occupent les camps militaires de la base aérienne et l’ex-camp 10e (Riaom). Tandis que les cadres et les hauts fonctionnaires blancs vivent dans de somptueuses villas de la Régie des Chemins de Fer (ex-Dakar-Niger). Partout c’est la mort. La peste endeuille des familles entières. Elle avance inexorablement. Personne ne peut l’arrêter. Derrière les palissades des concessions, rien que des lamentations. Des complaintes déchirent le silence macabre. A la tombée de la nuit jusqu’à l’aube, les chiens tels des loups hurlent lugubrement face à la mort. Ils aboient comme pour empêcher qu’on ne passe de vie à trépas.

Au quartier Lazaret, sont isolés les fous et les lépreux…

On voit les siens mourir, mais on reste impuissant face au fléau. La peste est foudroyante. Pire, toute tentative de secours était vaine, suicidaire. Devant l’ampleur du péril, les autorités coloniales brûlent les quartiers infestés. En ville comme en zone rurale. Les malheureux occupants n’emportent que le strict nécessaire. Juste un matelas et quelques effets personnels. Les hardes et autres vétilles sont incinérées. Les concessions suspectées sont circonscrites et assiégées par des infirmiers de circonstance. Des barricades sont dressées. Personne n’entre ni ne sort sans contrôle. C’est la panique générale. Comme la population, l’autorité coloniale croit vivre sa dernière heure.

Face à cette traînée meurtrière, un camp de fortune, autant dire un mouroir, est dressé à la direction des Travaux publics, devenue aujourd’hui l’état-major d’une légion de gendarmerie. Le quartier Lazaret est né : c’est là-bas que sont isolés les lépreux et les aliénés.

Ils sont déplacés plus loin dans ce périmètre. Les pestiférés ont le droit d’asile. Les malades et les agonisants viennent par centaines. Les morts sont jetés dans des fosses communes à défaut d’être incinérés. A l’extérieur du camp, un puits sert de charnier. Les victimes sont basculées par-dessus la margelle. Malgré les secours et les soins, la peste continue à faire des ravages. Rien ne peut rompre la chaîne de contamination. En ce moment, l’ex-Aof ne compte pas beaucoup de médecins, encore moins d’infirmiers. La plupart s’exile en France. La Croix-Rouge n’est pas encore implantée.

Les queues de rat valent leur pesant d’or …

Mais quelle est donc la cause de cette épidémie ? Après plusieurs tergiversations, les autorités arrivent à la condition que les puces sont les vecteurs de la maladie. L’assaut contre les rats est donné. La chasse est organisée. Ceux qui les abattent reçoivent des primes. Les queues de rats valent leur pesant d’or. La lutte biologique devient mécanique. La battue sera fructueuse. Pour sauver leur peau, les toubibs envoient les indigènes vers une mort certaine. Le recrutement des infirmiers d’occasion se passe aux forceps. Des « volontaires », plus tard appelés « tirailleurs » se proposent d’aller au charbon. Ah ! Les pauvres, ils meurent comme des mouches avant même le début de leur expédition. Comme les autres, ils sont jetés dans des fosses communes. Les derniers survivants entrent dans les concessions, arrachent les agonisants dans leur foyer pour les regarder ensuite mourir. C’est à Lazaret. On attend l’arrivée de missionnaires français. La circonscription médicale, située à la Place de France, le bâtiment de l’actuel Farpas, le dispensaire de Grand-Thiès craquent. Les riches négociants aident l’autorité et déploient et déploient d’importants moyens logistiques. Tous veulent échapper à la mort. Après s’être bien enrichi, ce n’est pas le moment de crever, pensent-ils. N’empêche, beaucoup d’entre eux finiront par rendre l’âme. On y compte beaucoup de Libanais. Sans doute moins sécurisés que les européens.

La peste paralyse l’économie. Les traitants s’évitent. Les attroupements et les cérémonies familiales sont interdits. Les écoles françaises et coraniques fermées. Seuls, les français se donnent du bon temps. S’ils ne jouent au tennis, ils regardent des films muets au Casino d’Ormis. Dans tous les cas, ils se le coulent douce dans leurs résidences, considérées comme des bunkers, face à cette hécatombe.

1934 : les portes de l’Histoire se referment sur Blaise Diagne. Il est en visite officielle au Soudan français actuel Mali. Au cours de sa traversée pour le retour, un rat infesté sème la mort dans l’équipage. Le premier député noir en serait atteint. Curieusement, le bateau n’est pas autorisé à accoster à Dakar. Où va-t-il donc accoster ? On ne sait trop. Comme ses compatriotes ; le tout-puissant administrateur des colonies, aurait selon nos sources, rendu le dernier soupir dans une villa anonyme sise à la cité Ballabey à Thiès.

 

Saliou NDAW Thiesinfos.com


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