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Dimanche 21 Septembre 2025

EXCLUSIVITÉ Leral.net – Les assurances-vie détournées pour blanchir de l’argent : le rapport 2024 de la CENTIF montre comment des contrats d’assurance peuvent servir d’outils de blanchiment insidieux


Un cas concret, mis en avant dans le document, illustre ce procédé : fin 2023, une femme (appelons-la Madame VERT) souscrit un contrat d’assurance-vie intitulé “Capital Plus” pour un montant de 100 millions FCFA auprès d’une banque de la place. Jusqu’ici rien d’inhabituel, si ce n’est l’ampleur de la somme.



Madame VERT, présentée comme cadre commerciale avec un revenu mensuel déclaré d’environ 1 million FCFA, a pu alimenter ce contrat grâce à deux virements de 50 millions FCFA chacun reçus quelques mois plus tôt de Monsieur BLEU – son père, et accessoirement le directeur général de la société où elle travaille (société MAXI). Autrement dit, c’est le père qui a fourni les 100 millions placés sur l’assurance-vie de sa fille.

Le fait vraiment intrigant survient moins de six mois plus tard. Le 29 mai 2024, Madame VERT procède au rachat total de son contrat d’assurance-vie, récupérant ainsi l’intégralité du capital versé, avec seulement un petit gain d’intérêt. Ce retrait anticipé, très peu courant pour un placement censé être de long terme, a aussitôt éveillé les soupçons de l’établissement financier.

L’analyse des comptes bancaires liée à cette affaire a révélé tout un circuit suspect. D’abord, le compte de Madame VERT était principalement alimenté par des dépôts en espèces d’origines diverses, parfois effectués par des tiers, ce qui n’est pas habituel pour un salaire de cadre. Ensuite – et surtout – les fonds utilisés pour l’assurance-vie provenaient directement du compte de Monsieur BLEU (le père). Or, l’historique bancaire de Monsieur BLEU montrait une prédominance de remises de chèques et de dépôts d’espèces, pour un total de 1 864 174 300 FCFA sur la période analysée, sans qu’une justification claire n’apparaisse.

Mieux, en examinant les transactions de la société MAXI dirigée par Monsieur BLEU, la CENTIF a mis en évidence d’importants flux financiers entre cette entreprise et Monsieur BLEU lui-même, impliquant un troisième homme, Monsieur ROUGE. Ces mouvements laissent penser que Monsieur BLEU a orchestré un détournement de fonds de sa société (avec l’aide de Monsieur ROUGE), faisant sortir de l’argent de MAXI pour le diriger vers son propre compte personnel.

Le schéma complet se dessine alors : des ressources de l’entreprise MAXI auraient été détournées au profit du dirigeant (abus de biens sociaux), puis transférées en partie à sa fille (Madame VERT) qui les a placées sur une assurance-vie. Enfin, le rachat anticipé du contrat a permis de récupérer l’argent sous une forme officiellement légitime (les prestations d’assurance), bouclant ainsi l’opération de blanchiment.

La CENTIF estime que ce va-et-vient sur un contrat d’assurance-vie visait clairement à légitimer des fonds d’origine douteuse. En outre, le détournement des ressources de MAXI au bénéfice de son dirigeant constitue un abus de biens sociaux, et s’accompagne d’une probable fraude fiscale (puisque les sommes siphonnées n’ont pas été déclarées comme revenus). Compte tenu de ces éléments, des indices sérieux de blanchiment ont été identifiés et l’affaire a été transmise à l’autorité judiciaire.

Ce cas met en lumière une méthode astucieuse mais malveillante : utiliser les atouts d’un produit d’épargne reconnu (l’assurance-vie) pour brouiller la provenance de l’argent. Le rapport de la CENTIF appelle ainsi les banques et compagnies d’assurance à redoubler de vigilance face aux souscriptions atypiques (montants très élevés par rapport au profil du client, retraits anticipés massifs, etc.). Une assurance-vie n’est pas censée fonctionner comme un compte de passage rapide ; si c’est le cas, il y a matière à se poser des questions.

EXCLUSIVITÉ Leral.net

Ousseynou Wade






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