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Entretien - Projet de constitution de la CNRI, laïcité, code de la famille, néocolonialisme... Serigne Cheikhouna Bara Mbacké crache le feu et démolit les politiques

Serigne Cheikhouna Bara Falilou Mbacké n'est pas du tout tendre avec la classe politique sénégalaise. Dans cet entretien accordé à Leral.net, le fils du 6e Khalife général des mourides dénonce le silence de celle-ci face au néocolonialisme. Le chef religieux et animateur de Leerlou sur Touba Tv "déchire" même le projet de constitution proposé par Amadou Makhtar Mbow et la Commission nationale de réforme des institutions qui s'appuie encore et toujours sur la "laïcité à la française" qui est aux antipodes des préceptes de l'Islam. Serigne Cheikhouna propose des réformes profondes de nos textes et appelle le peuple à la résistance. Entretien.


Rédigé par leral.net le Vendredi 21 Février 2014 à 19:33 | | 0 commentaire(s)|

Entretien - Projet de constitution de la CNRI, laïcité, code de la famille, néocolonialisme... Serigne Cheikhouna Bara Mbacké crache le feu et démolit les politiques
Que pensez-vous du projet de Constitution de la Commission nationale de réforme des institutions ?

Pour moi, il est temps que, au Sénégal, les musulmans prennent conscience de qui ils sont, qu'ils se lèvent et sachent que ce qui se passait avec la Constitution et continue, aujourd'hui, de se passer ne se déroulera plus aussi facilement que par le passé. Car, des musulmans conscients et qui connaissent bien leur religion sont là pour veiller au grain. Pour moi, ce qui se passe actuellement ne vise qu'à perpétuer le projet de la colonisation française. Les Blancs, lorsqu'ils débarquaient en Afrique, n'avaient pas trouvé les gens nus et habitant sur les arbres. L'Islam a été étendue en Afrique de l'ouest bien avant la colonisation. La France est venue et a bouleversé tout notre système social. Après la défaite en Algérie, le Général De Gaule avait compris que si les autre pays africains arrachent l'indépendance, la France va perdre ses intérêts en Afrique, d'où l'instauration de la Communauté française.

Qu'est-ce que les Africains font face à cette situation que vous décriez ?

La colonisation de l'Afrique par la France est passée par plusieurs étapes. Les Français ont commencé par l'esclavage, ils ne nous considéraient pas comme des êtres humains mais plutôt comme des animaux ou des objets qu'on pouvait vendre. Lorsqu'ils se sont adonnés à l'esclavage jusqu'à en avoir assez (ils ont déporté plus de 500 millions d'Africains), ils ont arrêté pour se tourner vers une exploitation économique directe à travers la colonisation. Même dans leur démarche, les Anglais étaient différents des Français qui appliquaient une politique assimilationniste. Les colons ne se limitant pas à exploiter les ressources de l'Afrique ; ils voulaient également nous inculquer leur culture notamment la France qui avait un problème sur le plan de la religion. Car, tout le monde sait que Jules Ferry, qui était l'un des chantres de la laïcité française, prônait un monde sans Dieu. Il ne s'en cachait pas et il le disait clairement. Et nous, on a baptisé, ici dans la capitale, une rue au nom de ce même Jules Ferry alors qu'en ce temps ses idées étaient en contradiction avec celles de plus de 95% de Sénégalais. Et ça a dû être le cas pour beaucoup de rues en Afrique. Donc, s'ils continuent d'exploiter nos ressources et notre économie, c'est que l'Afrique n'est pas encore indépendante.

Donc, vous estimez que le projet de Constitution de la CNRI ne prend nullement en compte les préoccupations des Sénégalais.

Je ne pense pas, parce que comme je vous l'ai dit, ils ont fait aujourd'hui un deal. Moi personnellement, en tant que musulman, quand j'ai vu les modifications apportées à ce projet de Constitution, j'ai eu honte, je m'en voulais et j'en voulais aux musulmans. J'ai eu honte parce que les musulmans n'ont pas cherché à connaitre l'incompatibilité qu'il y a entre la religion musulmane et la laïcité. Et j'impute la faute à ceux qui devaient enseigner et qui ne savent pas ou ne cherchent pas à faire savoir. Avant, les anciens pratiquaient leur religion et vivaient leur vie sans pour autant que le système colonial ne les influence. Mais nous, aujourd'hui, nous ne pouvons pas vivre sans le système économique, le système bancaire européen. Eux, ils vivent de l'illicite et l'islam l'interdit. Nous ne pouvons pas échapper à leur système sanitaire pour pouvoir dire la manière dont nous devons être soignés ou bien choisir celui qui a le droit de nous soigner ou pas.

Le pays est constitué en majorité de musulmans, au regard de tous ces problèmes, quelle doit être, selon vous, leur position sur la question ?

Ce qui est sûr, c'est que rien ne sera plus comme avant. Il y a des musulmans qui commencent à prendre conscience, qui occupent des postes de député pour lutter contre la laïcité. Cette dernière a d'ailleurs engendré un plus grand fléau. Les Occidentaux sont allés jusqu'à vouloir nous imposer une pratique qui n'est pas nôtre et qui ne fait même pas l'unanimité chez eux. A travers mes propos, tout le monde sait où je veux en venir et d'aucuns vont me taxer de fanatique, d'arriéré ou encore d'activiste alors que je ne me réfère qu'à ma religion. Si aujourd'hui, un chef de mission diplomatique ose se lever et dire que ce que font deux adultes consentant dans leur intimité ne regarde en rien l'Etat, je peux, moi aussi, dire que la laïcité à la française n'est pas conforme avec nos coutumes et croyances religieuses.

En résumé, qu'est-ce que vous retenez du projet de constitution de la CNRI ?

Ce que j'ai noté dans le projet de réforme de la CNRI, c'est qu'on a voulu contenter les uns, régler des comptes avec les autres, notamment avec la question de l'âge limite pour se présenter à la Présidentielle. Quand on parle de laïcité, on fait référence à la naturalité. Aussi, comment comprendre, au Sénégal, que les musulmans contribuent à consolider tout ce qui vise à combattre leur religion ? Pourquoi, au Sénégal, continue-t-on à célébrer des fêtes qui ne sont même plus commémorées en Occident et qui ne concernent pas les musulmans ? Presque toutes les autres fêtes religieuses musulmanes ont été promulguées par décret. J'ai même entendu des gens contester la loi instituant le Magal jour férié chômé et payé alors que Touba fait parti de notre histoire. C'est pourquoi, je veux faire partie des premiers à lutter contre la laïcité.

Et comment comptez-vous y prendre ?

Si c'est une minorité qui ose se lever pour réclamer un droit contraire à notre culture religieuse à fortiori nous qui constituons la majorité. Quand je parle de majorité, je fais référence aux musulmans qui ont aujourd'hui l'audace de défendre les valeurs de leur religion. Si au Sénégal, nous sommes arrivés à un stade où la majorité joue le rôle de minorité, c'est que l'heure est grave. En effet, c'est cette majorité qui quémande, actuellement, la reconnaissance de leurs droits. J'ai entendu le professeur Diallo Diop dire qu'à l'université, qui formait des fonctionnaires pour l'administration française, ce sont les textes, conçus depuis 40 ans, qui continuent de la régir. Donc, ce à quoi nous devons nous atteler aujourd'hui, ce n'est même pas la laïcité. Nous devons enlever tous les éléments que la France a greffés à nos textes de lois et qu'elle même n'applique plus comme on l'a fait avec le parti unique.

Dans votre émission Leerlou, vous dénoncez aussi ce qui se passe en Centrafrique...

(Il coupe) Nous, nous acceptons qu'une personne non musulmane devienne notre Président. Ce, au nom de la liberté et de la tolérance. Mais pourquoi veulent-ils nous imposer, à nous musulmans, ce qu'ils n'imposent pas aux non musulmans de la Centrafrique ? C'est la raison pour laquelle je dis que le temps du silence est révolu. Nos aînés, eux, contestaient la laïcité. Il y en a qui produisaient, parmi eux, des textes pour la fustiger, mais cela n'a pas empêché qu'on a exaucé la volonté de la France.

Serigne Cheikhouna au Forum international de la Finance islamique en Afrique de l'Ouest
Serigne Cheikhouna au Forum international de la Finance islamique en Afrique de l'Ouest
Vous ne voulez pas de la laïcité à la française comme vous le dites, est-ce que nos autorités peuvent-ils encore rectifier le tir?

Beaucoup de Sénégalais savent-ils que le Code de la famille permet à un homme d'épouser sa petite-fille. Mais, est-ce que l'islam autorise une telle union ? On nous trompe si on nous dit que nous pouvons pratiquer notre religion à notre guise. Parce que s'il y a litige, c'est la loi islamique qu'on va violer. Dans le Code de la famille, s'il y a un problème d'héritage, on règle le différend selon la loi sénégalaise alors que celle-ci n'est pas en conformité avec la loi islamique. Toujours dans le Code de la famille inspiré de la France, la polygamie est autorisée mais pour les divorces, on tord le cou à la loi islamique. Si on nous dit que nous pouvons vivre notre religion sans que nous ayons notre mot à dire dans l'élaboration de nos lois, c'est qu'on veut nous tromper. La théorie de l'islam, c'est qu'on est sur terre pour souffrir afin qu'on puisse vivre éternellement dans l'au-delà. Dieu ne s'est pas levé un beau jour pour créer la vie sur terre. Si on fait un passage ici-bas, c'est pour que, le jour du Jugement dernier, il n'y en ait pas d'aucuns qui diront : "Vous ne nous avez pas donné l'occasion de faire nos preuves, Vous avez délibérément choisi de nous jeter dans la Géhenne". C'est pourquoi, il y a la vie et la mort. On ne peut pas circonscrire la pratique de la religion à la mosquée et au cimetière. Pour que le musulman ne vive pas de l'illicite, il doit mener sa vie selon les préceptes de l'islam.

Et que pensez-vous du débat sur l'homosexualité au Sénégal ?

Avec laïcité à la française, les politiques ont ouvert la voie au libertinage. C'est la raison pour laquelle les lobbies homosexuels osent se signaler. Mais, on leur a bien fait comprendre que la légalisation de l'homosexualité ne saurait être tolérée et que si elles persistent, les musulmans vont s'ériger en bouclier contre. L'islam est faite de tolérance mais il y a des limites à ne pas dépasser. La France doit savoir qu'on est plus au temps de l'esclavage et de la colonisation.

Qu'est-ce qui explique que plus de 50 ans après les indépendances, l'Afrique dépend toujours de l'Occident ?

La France n'a jamais voulu notre indépendance, elle qui, lorsque Sékou Touré a dit oui à l'indépendance de son pays, a brûlé les vivres qu'elle ne pouvait ramener chez elle, coupé les arbres et détruit les bâtiments qu'elle avait construits pour intimider les autres pays. Aussi, le Togo et la Haute-Volta, qui n'avaient pas fait comme la Guinée de Sékou Touré mais qui voulaient gagner du temps pour mettre en place leur propre système, ont-ils été balayés. Sur 61% des coups d'Etat en Afrique, on trouve la main de la France. Ces derniers se passent la plupart du temps dans les pays francophones. Si maintenant la France croit qu'elle peut continuer à s'immiscer dans la vie des musulmans comme avant, elle se trompe.

Et pourquoi ?

Si elle veut la paix, elle n'a qu'à se mettre à l'esprit que le Sénégal n'accepte plus qu'on lui impose la laïcité à la française, qu'on piétine la religion musulmane. On parle d'immunité parlementaire, d'immunité du président de la République. Pourquoi un Président déchu ne peut être poursuivi que pour haute trahison ? On parle de privilège de juridiction. Pourquoi lorsqu'on convoque un ancien ministre, ce dernier se braque pour dire que telle ou telle juridiction n'est pas compétente pour me juger ? Le système de la loi islamique est plus équitable. Il y a des siècles, du temps de Omar, si on prenait un voleur, il rejetait la faute sur le gouverneur. Car, pour lui un peuple qui n'a pas faim ne vole pas. Il fut une année où on avait un problème pour distribuer la zakat, parce que les destinataires étaient tous bien lotis. On rapporte aussi qu'il fut une année où les vivres sont venus à manquer, Omar avait décrété que si on prend un voleur qu'on ne lui coupe pas la main. Donc, les Français nous ont trouvé bien armés et capables de résoudre nous-même nos problèmes.

Comment appréciez-vous l'attitude de nos politiques face à cette nouvelle forme de domination ?

On ne s'offusque jamais lorsqu'il s'agit de la religion. Ceux qui s'érigent contre la légalisation de l'homosexualité se soucient plus pour leur mandat que pour autre chose. Ceux qui fustigent l'âge limite pour se présenter à la Présidentielle ne pensent qu'à leur intérêt estimant qu'ils sont éliminés d'office. Alors, pourquoi, jusqu'ici, aucune voix ne s'est levée pour dénoncer la laïcité ? Beaucoup de pays ont changé, après la colonisation, des passages de leur Constitution pour les adapter à la leurs croyances religieuses. Pourquoi le Sénégal n'a pas touché aux passages qui ne sont pas en conformité avec la religion musulmane ? L'islam est au-dessus des cadeaux qu'on veut se faire entre politiques en réformant la Constitution et en laissant la laïcité toujours d'actualité. Un pourcentage important du budget de l'éducation au Sénégal est dilapidé. Cet argent pouvait bien être investi dans l'éducation islamique. Si nos dirigeants veulent promouvoir un projet anti-islamique, ils font le tour des chefs religieux mais ils ne leur disent pas toute la vérité. Ils leur présentent le projet non-détaillé et sollicitent des prières. Je suis bien placé pour affirmer cela. Au Sénégal, on doit penser à la minorité c'est vrai. Mais, pourquoi, toute activité est coupée le dimanche. Dans certain pays, le weekend est maintenant décrété le jeudi et le vendredi.

Que voulez-vous dire ?

Hassan II a dit une chose très importante. D'après lui, "aussi fort et aussi rapide qu'on puisse être, on ne peut gagner la bataille de la vie que si on n'abandonne jamais". Il faut donc savoir qu'il y a une génération consciente et avertie qui connait les enjeux de la réforme des institutions. Au Sénégal, ce sont 20% de la population qui parlent français, pourquoi alors continue-t-on à faire du français l'unique langue officielle ? Qui n'a que la langue française comme outil n'a accès qu'à 4% de la connaissance humaine. C'est l'Afrique qui fait la promotion du français et selon Jaques Chirac, sans le continent noir, la France ne vaut rien. Pourquoi n'intègre-t-on pas les langues nationales ? Si on règle ce problème, on ne donnera plus aux 20% de la population tous les droits tout en les refusant aux 80 autres pour cent. Si les politiciens adoptent ou rejettent ce qui les arrange ou ne les arrange pas, les musulmans aussi doivent faire de même car, lutter pour ses intérêts est différent de se battre pour ses convictions. On ne doit plus voter pour quelqu'un par reconnaissance ou autre, on doit élire un dirigeant parce que ses idées sont en conformité avec l'islam.

Quel est le profil du dirigeant qui sera capable de mener ces réformes ?

Aujourd'hui, on est plus prompt à promouvoir ceux qui s'inscrivent en faux contre les préceptes de l'islam et qui consolident le système occidental que ceux qui se battent pour leur religion. On parle de droits de l'homme, et le droit social, on en fait quoi ? 80% des activités des droits de l'hommistes sont en faveur de groupes qui défendent la cause des homosexuels. Dans un langage plus imagée, si, dans un bateau, ceux qui sont en haut laissent ceux du bas creuser un trou en se disant que ce secteur leur appartient, le navire va certainement couler et ils iront tous à leur perte. La liberté ne se situe pas d'un seul côté.

Entretien réalisé par Serigne Diaw et Ndèye Fatou Gning