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Horticulture au Sénégal : Un premier forum national pour transformer la crise en opportunité

Au Centre International de Conférences Abdou Diouf (CICAD), l’ambiance est studieuse, mais chargée d’attentes. Ces 5 et 6 août, des dizaines d’acteurs, venus de toutes les régions du pays, ont convergé vers ce haut lieu de la décision, pour un forum national décisif. À l’initiative du Ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Souveraineté Alimentaire, en partenariat avec le Ministère du Commerce et de l’Industrie, ce grand rassemblement a porté sur l’un des enjeux majeurs de la souveraineté alimentaire : l’horticulture. Un secteur à la croisée des chemins, moteur de croissance et pourtant miné par des maux persistants.


Rédigé par leral.net le Mercredi 6 Août 2025 à 17:37 | | 0 commentaire(s)|

L’ambition de ce forum : faire émerger des solutions concrètes, techniques, politiques et financières, pour assurer au secteur une transformation durable. Le thème, volontairement ambitieux, a été énoncé par Mabouba Diagne, ministre de l’Agriculture : “Ce forum est placé sur le thème central du développement inclusif et durable de la filière horticole, un thème qui résume avec force et pertinence, notre quête de souveraineté alimentaire et de prospérité”.

Et il ne s’agit pas d’un slogan. Le ministre a souligné l’ampleur du paradoxe sénégalais : “Les importations de fruits et légumes dépassent les 347 000 tonnes. Pour des budgets qui dépassent les 70 milliards FCfa. Rien que les tomates triple concentrées avoisinent les 15 000 tonnes importées. Pourtant, si nous produisions localement 100 000 tonnes de tomates fraîches, cela changerait la donne”, a-t-il plaidé.

La situation est critique. Le secteur horticole, pourtant l’un des plus dynamiques avec plus de 1,5 million de tonnes de production en 2023, traverse une zone de turbulences sans précédent. Dans la zone des Niayes, considérée comme le grenier horticole du pays, Amar Yaya Sall, agropasteur, ne cache pas son désarroi : “Pour la première fois dans l'histoire du Sénégal, on a eu une mévente de toutes les productions horticoles. Habituellement, on compense les pertes d’une spéculation par les bénéfices d’une autre. Mais cette année, toutes les spéculations ont été sinistrées. Il y a eu des abandons, des drames humains et ça me préoccupe profondément”.

À cette crise commerciale s’ajoute une crise de stockage, soulignée par Rokhaya Mbengue, productrice expérimentée : “Cette année, nous avons eu de fortes productions en pommes de terre, en oignons et en carottes. Mais le problème, c’est la conservation. Si nous ne pouvons pas vendre, ça devient un gâchis terrible. Il y a des tonnes qui pourrissent, faute d’infrastructures adaptées”, a-t-elle expliqué.

Face à ce tableau alarmant, un modèle semble faire l’unanimité parmi les acteurs comme source d’inspiration : le Maroc. Cité en exemple à plusieurs reprises durant le forum, ce pays voisin a réussi en quelques années, à structurer une filière horticole robuste, orientée vers l’export, mais aussi vers la satisfaction des besoins internes. Serigne Guèye Diop, ministre du Commerce et de l’Industrie, a rappelé la genèse de ce succès : “Il y a dix ans, le ministre marocain de l’Agriculture avait décidé que tout producteur ayant un hectare, recevrait gratuitement un système de goutte-à-goutte. Jusqu’à 5 hectares, le producteur ne paie que 15%. Résultat : les rendements ont été multipliés par deux, voire trois. C’est un exemple à suivre”.

Sur le terrain, les producteurs ne disent pas autre chose. Amar Yaya Sall, toujours lucide, acquiesce : “Je suis totalement en phase avec le ministre. C’est ce qu’on a toujours dit. Le grand problème ici, c’est l’accès à la terre, à l’eau et des intrants trop chers. Au Maroc, c’est réglé par une politique volontariste. Pourquoi pas ici ?”.

Même constat chez Rokhaya Mbengue qui, dans une phrase à la fois simple et déchirante, résume le drame du secteur : “En cette période d’hivernage, nous n’avons plus de production. C’est le Maroc qui revient au marché sénégalais. Et ce qui leur permet ça, ce sont les dispositifs de conservation”, a-t-elle déclaré, comme une accusation silencieuse à l’endroit des politiques passées.

Malgré ces difficultés, le Forum se veut résolument tourné vers l’avenir. Les discussions tenues au CICAD, ont mis en lumière les efforts du nouveau gouvernement pour bâtir des systèmes horticoles plus durables, compétitifs et résilients. Un accent particulier est mis sur la gouvernance de la filière, la digitalisation, l’accès au financement, la modernisation des infrastructures post-récolte, la qualité des semences et la valorisation locale. La feuille de route qui en découlera, intégrera des mécanismes concrets de régulation, des investissements ciblés, un accompagnement institutionnel, mais surtout un cadre de suivi-évaluation pour mesurer les impacts et garantir les résultats.

Car les chiffres sont là, têtus et porteurs d'espoir : 905 000 tonnes en 2012 contre 1,5 million en 2023. Près de 300 000 emplois générés, en majorité ruraux et féminins. Ce potentiel, s’il est bien orienté, peut devenir le socle de la souveraineté alimentaire du Sénégal. Et faire de l’horticulture, non plus un secteur de survie, mais un levier de prospérité.






Birame Khary Ndaw

Ousseynou Wade