leral.net | S'informer en temps réel

Interview, Me Abdoulaye Tine sur l’affaire du navire russe: "Seule une action énergique pourra endiguer le pillage organisé de nos ressources halieutiques"

Le navire russe Oleg Naidenov, arraisonné à Dakar depuis le 4 janvier, a été libéré ce mercredi, suite au paiement d'une amende de 400 millions de francs CFA. Cependant, il faut rappeler que cette affaire a créé une brouille diplomatique entre Dakar et Moscou. Dans cet entretien, Maître Abdoulaye Tine, avocat au Barreau de Paris et spécialiste du droit International et Professeur de Droit international et de Relations Internationales analyse les péripéties de cette affaire et livre son point de vue.


Rédigé par leral.net le Jeudi 23 Janvier 2014 à 20:17 | | 1 commentaire(s)|

Interview, Me Abdoulaye Tine sur l’affaire du navire russe:  "Seule une action énergique pourra endiguer le pillage organisé de nos ressources halieutiques"
Me Tine, l'arraisonnement de ce navire russe vous paraît il conforme à ce que prévoit le droit international ?

Selon les informations officielles, dans la nuit du 04 au 05 janvier 2014, la marine sénégalaise et les services de surveillance du Ministère de la Pêche ont arraisonné le navire « OLEG NAYDENOV » pour le conduire au port de Dakar. Selon toujours les autorités sénégalaises, ce navire a été pris en flagrant délit de pêche illicite.
Suite à son refus d'obtempérer, l'équipage du bateau a été neutralisé par un commando armé de la marine sénégalaise, avant d'être conduit de force par la marine nationale au port de Dakar. Cette procédure d’arraisonnement me paraît à priori conforme aux dispositions du droit international notamment celles de la Convention des Nations Unies sur le droit de la Mer qui est encore appelée Convention de Montego Bay du nom de la ville jamaïcaine où elle été signée le 10 décembre 1982. Cette Convention prévoit que même en haute mer donc à fortiori dans les zones économiques exclusives (ZEE) les navires de guerre (ou d'État) peuvent exercer leur droit de visite (Art. 110). Ce qui s’est passé dans le cadre de l’affaire du navire russe « Oleg Naydenov» s'apparente donc à mon sens à un « contrôle » de navires, ce que le droit international autorise parfaitement aux Etats côtiers.

En effet, lorsqu'il existe de sérieuses raisons de penser qu'un navire a contrevenu aux Lois et Règlements d'un État côtier en l’espèce celui de l’Etat du Sénégal, ce dernier est bien fondé à agir en ce sens.

En clair, si un bateau a été contrôlé dans une zone maritime relevant de la juridiction sénégalaise, par un patrouilleur de la marine nationale ou autre navire étatique ; le commandant de ce bâtiment peut faire procéder au contrôle et à la visite du navire.

S’il estime qu'une infraction à la législation en vigueur a été commise, il peut par la suite dresser un procès-verbal, il peut également appréhender les engins et produits de la pêche ainsi que le navire, et au besoin le dérouter vers un port situé sous sa juridiction.

Autrement dit, dans l'exercice de ses droits souverains d'exploration, d'exploitation, de conservation et de gestion des ressources biologiques de la zone économique exclusive, l'Etat du Sénégal peut prendre toutes mesures, y compris l'arraisonnement, l'inspection, la saisie et l'introduction d'une instance judiciaire, qui sont nécessaires pour assurer le respect des lois et règlements qu'il a adoptés conformément à la Convention".

Dans l’hypothèse que vous venez décrire, les navires étatiques sont ils également fondés à aller jusqu’ à poursuivre le navire soupçonné ?

Oui dans cette hypothèse, les navires étatiques de surveillance peuvent exercer un droit de poursuite à l’encontre du navire en cause.
Toutefois, le droit de poursuite cesse dès que le navire poursuivi entre dans la mer territoriale du pays auquel il appartient ou dans celle d'une tierce puissance c'est-à-dire celui d’un autre Etat.

Justement la Russie soutient que ce navire a été arraisonné dans les eaux Bissau-guinéenne, qu’en pensez-vous?

Il s’agit d’un point essentiel qui conditionnera forcément à la fois la réponse à apporter quant à la question de la légalité de l’arraisonnement du navire russe « Oleg Naydenov» mais aussi et surtout celle de la régularité de tous les actes subséquents qui auront été accomplis par la suite.

Bien évidemment, ce point qui fait déjà l’objet d’une vive controverse pourra être facilement tranché par des éléments matériels objectifs à savoir les résultats du recueil des données de géolocalisation et de navigation afin de pouvoir déterminer avec exactitude la position géographique du navire au moment des faits.

Quelles sont les évolutions possibles que pourrait connaître cette affaire du point de vue juridique ?

La première est celle de la signature d’un accord transactionnel en vue pour un règlement amiable de l’affaire de façon définitive. La deuxième est la main levée sur le bateau en contre partie du dépôt d’un chèque de caution, il s’agirait là d’une mesure provisoire. Dans cette hypothèse, le navire peut repartir librement en attendant l’organisation d’un procès éventuel ou en attendant d’être fixé quant aux éventuelles sanctions. L’immobilisation d’un navire de pêche coûtant cher à son propriétaire du fait de perte de gains économiques ainsi engendrée, ce dernier a donc tout intérêt à le voir reprendre le large au plus vite.

Selon les dernières nouvelles, un accord serait intervenu entre les parties mais je ne dispose pas encore de la version officielle des autorités sénégalaises sur le contenu éventuel dudit accord.

Au niveau national, une enquête doit être ordonnée par le Procureur de la République et une information judiciaire ouverte. Il va de soi que les juridictions nationales sénégalaises restent compétentes pour juger de tels faits et prononcer en voie de conséquence les sanctions qui sont prévues par les textes en vigueur.

Enfin, les juridictions suivantes pourront être saisies de cette affaire : le Tribunal international du droit de la mer ; la Cour internationale de justice ; un tribunal arbitral ad hoc.

Pour pouvoir être saisie, une de ces juridictions doit avoir été choisie librement par les États parties au différend et par voie de déclaration écrite expresse.

Que risque ce navire au regard de la législation sénégalaise sur la pêche?

Au regard de la législation en vigueur en matière de pèche, il risque : la saisie de l’engin de pêche, la saisie de la cargaison et une amende maximum de 200 millions de FCFA.

Le montant de cette amende peut être porté à 400 millions de FCFA soit le double, si le navire « Oleg Naydenov» est reconnu être en situation de récidive.

Et sur ce point précis et selon certaines sources, ce navire serait très défavorablement connu des autorités sénégalaises en ce sens qu’il aurait été déjà interpellé le 12 mai 2012 pour pêche illicite à l’entrée du fleuve Gambie dont les eaux sont interdites aux navires étrangers et qu’ il avait écopé de ce fait une amende de 140 000 euros.

Ces sanctions vous paraissent-elles raisonnables ?

A mon sens, le quantum de ces peines est loin d’être dissuasif pour les contrevenants potentiels.
C’est pourquoi, il conviendra de renforcer de manière considérable leur effet dissuasif en durcissant davantage le niveau des peines encourues. Seule une action énergique et suivie dans ce domaine pourra endiguer ce processus de pillage organisé de nos ressources halieutiques. Dans cette voie, la prudence devra cependant être de rigueur car certaines normes internationales interdisent aux Etats de faire adopter des lois prévoyant des peines d'emprisonnement pour certaines infractions en matière de navigation maritime.
Cet obstacle pourra éventuellement être contourné par la signature ou la renégociation de certaines conventions bilatérales en vue de les intégrer.

En tant qu’avocat spécialiste du droit international et en même temps Professeur de Relations Internationales pensez vous que cette affaire pourrait avoir à terme un impact sur les relations diplomatiques entre la Russie et le Sénégal ?

Il convient déjà de préciser qu’en l’espèce, on est en face d’une affaire ordinaire opposant l’Etat du Sénégal à navire russe « Oleg Naydenov» qui en tant que telle est une simple personne de droit privé.
A ce stade de la procédure, il serait donc inexact de vouloir en faire un différend opposant l’Etat du Sénégal à la Russie. Seul l’exercice d’une protection diplomatique pourrait changer cette donne, ce qui n’est pas encore le cas.

Toutefois, l’attitude des autorités russes consistant à vouloir apporter une assistance consulaire à leurs propres nationaux en difficulté à l’étranger est quelque chose qui procède en soi du jeu normal de la représentation diplomatique.

Qu’à ce propos, on peut même dire que le droit international y oblige la Russie comme il oblige également le Sénégal à informer sans délai les autorités russes en cas d’arraisonnement d’un navire battant pavillon russe.

C’est dire que la Russie est elle-même obligée d’apporter une assistance consulaire à ce navire et aux membres de son équipage conformément au droit international.

En le faisant, elle ne fait que protéger in fine ses propres intérêts notamment celui de voir ses ressortissants être traités de manière conforme aux standards internationaux.

En un mot, ce qui se passe actuellement dans ce dossier procède du jeu normal de la mission d’assistance consulaire d’un Etat à ses ressortissants, donc rien de plus normal et légitime.

En revanche, j'estimais pour ma part que les autorités sénégalaises n'avaient toutefois pas le droit de céder à une quelconque pression diplomatique venant de la Russie où de tout autre Etat.

C’est pourquoi, je persiste à croire que le Sénégal continuera à montrer qu'il est un Etat souverain capable de faire respecter l'intégrité territoriale de ses zones maritimes à travers une application rigoureuse de ses Lois et Règlements, bien entendu, tout ceci dans le respect strict des standards internationaux.

Enfin, il convient de faire observer que l’accord qui est ainsi intervenu me semble conforme à l’esprit et à la lettre de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer qui vise le renforcement de la paix, de la sécurité, de la coopération et des relations amicales entre toutes les nations, conformément aux principes de justice et d'égalité des droits et favorise ainsi que le progrès économique et social de tous les peuples du monde, conformément aux buts et principes des Nations Unies, tels qu'ils sont énoncés dans la Charte.

J’espère qu’au-delà du dénouement de l’affaire, les autorités sénégalaises et russes garderont encore à l'esprit la philosophie de cette grande Convention et continueront comme dans le passé à entretenir des relations diplomatiques qui soient toujours au beau fixe.

Entretien réalisé par Mamadou L. DIEDHIOU

LERAL NEWS