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Joshua, le boxeur qui dépasse les limites du ring

C’est le rendez-vous boxe de ce début d’année 2018. Anthony Joshua affronte Joseph Parker à Cardiff, au Principality Stadium, dans un combat d’unification chez les poids lourds des ceintures IBF, WBA et WBO. Focus sur le champion britannique qui est bien plus qu’une simple vedette des rings.


Rédigé par leral.net le Samedi 31 Mars 2018 à 14:52 | | 0 commentaire(s)|

Le grand écart s’étend à chaque marche escaladée sur l’escalier de la gloire. Il est à la fois très facile et très compliqué de s’appeler Anthony Oluwafemi Olaseni Joshua. La facilité se trémousse sur la piste aux étoiles: les ceintures mondiales, les millions de livres sterling à chaque combat, la tête placardée en grand sur les panneaux publicitaires, les stars qui se pressent pour le voir à l’œuvre, les stades remplis. Les complications se cachent dans les coulisses: la pression d’un garçon supposé ramener sa catégorie et son sport en pleine lumière, celle d’un pays en train de le façonner comme sa plus grande star sportive et un rôle de modèle à assumer qui ne lui donne plus le droit à l’erreur

Ce samedi soir, devant les près de 80.000 spectateurs du Principality Stadium de Cardiff  (en direct et en exclusivité sur SFR Sport 1), le champion WBA et IBF des lourds (20-0 ; 20 KO) – mais aussi IBO, pas l’une des quatre fédérations principales – s’avancera en immense favori pour conquérir la ceinture WBO du Néo-Zélandais Joseph Parker  (24-0; 18 KO). Entre les cordes du ring gallois, "AJ" sera là où il se sent le mieux. Là où il peut laisser exprimer tout son talent. Là où, aussi, on ne lui laissera pas le droit à l’erreur. Question de grand écart. Bienvenue dans le monde de Joshua.

Il faut lire les mots du journaliste Oliver Holt pour comprendre. S’imprégner de ses phrases dans le Daily Mail pour réaliser ce que représente le champion WBA et IBF des lourds aujourd’hui en Grande-Bretagne: "Il est difficile de penser à beaucoup de stars du sport qui peuvent égaler l’attrait de Joshua. Si le retour de Tiger Woods continue d’aller dans le bon sens, il pourrait être un concurrent. Lionel Messi attire toujours autant de révérences et LeBron James reste le roi de la NBA mais Joshua, qui entre dans ses meilleures années à vingt-huit ans, peut tous les battre." On ne sait pas s’il faut simplement prendre Holt au pied de la lettre. Car aucun doute, entre les cordes, personne ne résisterait. Mais pour le reste… Généreuse, l’hyperbole médiatique permet tout de même de rappeler le statut du champion olympique 2012 des super-lourds au pays.

Mo Farah retraité des pistes (et suspicieux aux yeux d’un nombre non négligeable de ses compatriotes), Chris Froome et le Team Sky dans l’œil du cyclone, les footballeurs anglais en manque du moindre trophée international depuis 1966 et le métronome du but Harry Kane encore en train de grandir, Lewis Hamilton pratiquant un sport trop dans sa bulle élitiste pour être vraiment populaire (et parfois critiqué pour son style de vie), Andy Murray sur le flanc et loin de la place de numéro 1 mondial, le relevé se fait vite clair: Joshua est bien la plus grande superstar sportive actuelle en Grande-Bretagne. "Il est devenu une star mainstream", résume Daniel Matthews, toujours dans le Daily Mail. Un profil au firmament et qui pourrait encore grossir dans les mois et les années à venir si le natif de Watford continue d’unifier les titres et de remplir des stades.

Au contraire de nombreux boxeurs locaux du passé, la relation avec ses compatriotes se retrouve au cœur de sa carrière. Sa médaille d’or olympique? A Londres. Ses vingt combats professionnels? Tous sur le sol britannique, de Greenwich à Cardiff en passant par Sheffield, Glasgow, Liverpool, Newcastle, Birmingham ou l’O2 Arena de la capitale. Avec ses trois derniers – celui contre Parker compris – dans des stades blindés jusqu’aux cintres pour un total de plus 240.000 spectateurs venus pour ses beaux yeux.

Et le gamin tient à continuer à faire rimer sommet du noble art et Grande-Bretagne. Face à Parker, Joshua s’offre ainsi le premier combat d’unification chez les lourds de l’histoire sur le sol britannique. Avec l’envie exprimée de remettre ça en cas d’explosif et tant attendu choc contre l'Américain Deontay Wilder (40-0 ; 39 KO), champion WBC, même si la perspective de voir les deux s’affronter à Las Vegas reste crédible. S’il n’est pas seul affairé à la tâche, "AJ" porte une partie du poids du sport dans son pays sur ses larges épaules. Au-delà, même. Véritable événement, chacun de ses combats attire la foule et booste l’économie locale. Il ne serait donc pas le seul à "subir" les conséquences d’une éventuelle défaite le faisant redescendre sur l’échelle.

Au-delà du ring, la considération autour de son nom confère des obligations. Le gamin qui avait l’habitude de se balader en vélo dans sa ville pour admirer les grosses maisons n’a plus à rêver d’en posséder une. Mais il doit désormais faire attention à tout ce qu’il dit ou fait. Il semble loin, ce temps où celui qui a débuté la boxe à dix-huit ans en poussant la porte de la salle du Finchley ABC avec son cousin Ben Ileyemi – il avait auparavant pratiqué la course à pied, le football et le rugby – pouvait être placé en détention provisoire à la prison de Reading pour "s’être battu et d’autres trucs dingues" puis forcé à porter un bracelet électronique à sa sortie (2009) sans déclencher un scandale national.

Ou encore celui où il était arrêté par la police pour excès de vitesse, au nord de Londres, et où les autorités découvraient plus de deux cent grammes d’herbe dans un sac de sport présent dans sa Mercedes et l’accusaient de possession avec intention de revente, provoquant son exclusion de l’équipe britannique amateur et une condamnation et cent heures de travaux d’intérêt général, sans que son visage ne s’affiche en Une de tous les médias. Joshua n’aurait plus cette "liberté" en 2018. Il devra s’y habituer: on ne passe plus rien à celui qui se décrit lui-même comme un "ancien clubber".

La preuve date des dernières semaines, quand les réseaux sociaux ont déterré une interview accordée à GQ un an auparavant où Joshua expliquait pourquoi il était plus strict avec sa nièce qu’avec son fils: "Je pense que c’est parce qu’elle est plus vieille mais également car c’est un garçon. Ça va être un vrai mec, qui va vouloir ouvrir ses ailes, être un flambeur, construire sa personnalité. (…) Mais il n’y aura pas toutes ces bêtises avec elle! Ma vision, c’est qu’elle doit être une bonne femme, respectueuse, qui sera la femme de quelqu’un un jour et qui doit apprendre les valeurs familiales, ce qui fait une bonne femme." Une sortie qui lui a valu, à raison, des accusations de sexisme renforcées à l’heure des mouvements #metoo et #balancetonporc. Une leçon pour la suite, aussi. On n’a plus le droit à l’erreur quand on chasse le fantôme de Lennox Lewis, pour devenir le plus grand lourd de l’histoire de la boxe britannique.

Un sport et une catégorie à replacer au sommet

"Beaucoup de gens disent qu’ils l’avaient vu venir dès le départ. Mais je n’aurais jamais, jamais imaginé qu’il irait aussi loin que cela." Les mots de Sean Murphy, premier entraîneur pugilistique de Joshua, au Daily Mail sonnent comme un rappel des hauteurs atteintes par "AJ" le conquérant. Champion WBA et IBF des lourds, sans doute détenteur de la ceinture WBO dans quelques jours même s’il ne doit surtout pas sous-estimer Parker au risque de vivre une très mauvaise surprise, Joshua est le représentant moderne le plus connu de la catégorie reine du noble art. De ce dernier tout court, même.

Si SFR Sport et tant d’autres médias ne le placent pas encore au sommet des classements pound-for-pound (toutes catégories confondues), impossible de nier la grandeur de son aura dans un sport qui renaît de ses cendres après des années de vaches maigres lors de « l’époque Floyd Mayweather – où trop peu de gros combats s’organisaient, les champions préférant s’éviter, ce qui semble désormais beaucoup moins le cas – et compte continuer de surfer sur la vague d’une année 2017 exceptionnelle car pleine de pépites. Ne cherchez pas : seul le Britannique est capable de remplir, et très vite qui plus est, des stades de 80.000 ou 90.000 spectateurs dans la boxe actuelle.

Cela confère des avantages, notamment quand il s’agit de s’asseoir autour d’une table pour négocier les pourcentages des différentes bourses pour un combat, mais cela entraîne aussi des inconvénients. Cette idée, ainsi, de la défaite encore plus interdite qu’à un autre. Si le choc face à Parker est déjà un rendez-vous très attendu, tout comme l’était le combat rentré dans la légende contre Wladimir Klitschko en avril dernier, les amoureux des rings ne rêvent que d’une chose: Joshua-Wilder pour désigner le premier champion unifié et incontesté des lourds depuis Lennox Lewis en 1999-2000.

Un combat de feu qui rappellerait les grands duels du passé dans la catégorie et ferait les gros titres à travers la planète. Mais qui ne nécessite aucun faux-pas des deux invaincus d’ici là pour se muer en un tel événement. Pas le droit à l’erreur sur le ring non plus, quoi, au risque de voir s’écrouler la chimère qui va replacer la boxe en pleine lumière… "Il y a toujours de la pression sur Joshua mais grâce à Wilder, il y en a encore plus, estime Carl Froch, l’ancien champion WBC, IBF et WBA des super-moyens, dans sa chronique pour Sky Sports. Tout le monde s’attend à le voir battre Parker et se rapprocher de Wilder."

Conscient de son statut, "AJ" ne refuse pas son rendez-vous avec l’histoire. L’UFC souhaiterait lui proposer un contrat à plusieurs centaines de millions de dollars pour devenir la tête de pont de Zuffa Boxing, leur société créée dans le sillage du lucratif Conor McGregor-Floyd Mayweather de l’été dernier dans l'optique de pénétrer le milieu de la boxe (Dana White, patron exécutif de l’UFC, sera même dans les tribunes à Cardiff)? Pourquoi pas, répond la bête physique, mais pas avant d’avoir « accompli tout ce (qu’il souhaitait) accomplir » dans sa discipline.

"Mayweather a fait ce combat en fin de carrière, après avoir d’abord dominé le sport qu’il aimait, rappelait l’objet de toutes les convoitises cité par le Mirror. On m’a posé la question et j’ai répondu que ça pourrait être une option. Mais seulement une fois que j’aurais atteint mes objectifs dans la boxe sinon c’est juste une blague. Il faut d’abord dominer son propre sport avant de regarder ailleurs." Celui qui pratique les échecs pour travailler la tactique et s’offrir de la gymnastique du cerveau est bien parti pour. Et ne comptez pas sur lui pour se reposer sur ses lauriers.

Sport ingrat s’il en est, le noble art demande un investissement permanent et énorme pour continuer à progresser et à sortir de la meute. Cela tombe bien: Joshua, dont le premier entraîneur évoque "l’insatiable appétit pour s’améliorer" dès ses débuts dans le ring, garde un bon coup de fourchette. Qui sait quels ingrédients mêler pour dresser le menu le plus savoureux.

"Pour devenir un plus grand champion, je dois travailler sur ma boxe de façon globale, insistait-il ces derniers jours dans une conférence téléphonique relayée par le site FightNews. Sur les fondamentaux. On parle de l’équilibre, du jeu de jambes, de la compréhension des distances, d’améliorer son jab, de savoir l’utiliser cinquante fois avant d’envoyer sa droite, faire en sorte que ta main droite soit en bonne position pour se défaire d’un crochet gauche en cas de contrer. Je me concentre sur tout." Travail sur soi, donc, mais aussi sur les autres.

Exemple avec Parker. "Avec lui, il faut regarder comment il boxe sur le pied avant et sur le pied arrière. Quand il est sur le pied avant, il est difficile pour lui de toucher avec des combinaisons alors qu’il performe mieux sur ce plan sur le pied arrière. J’affronte quelqu’un de très rapide et qui bouge beaucoup donc je vais arriver moins lourd pour ce combat car je dois m’assurer d’être plus léger sur mes pieds pour m’adapter. Mes fluctuations de poids sont liées au profil de mes adversaires."

Avec le temps, sa voix prend également du coffre. Lors du camp préparatoire pour Parker, et pour la première fois de sa carrière, le champion IBF et WBA des lourds n’a ainsi pas hésité à prendre la parole à l’entraînement pour expliquer à son staff qu’il fallait faire autrement. "Je leur disais: ‘‘Voilà ce qui marche et voilà ce qui ne marche pas, est-ce qu’on peut faire des changements ?’’", raconte-t-il. Effrayant pour la concurrence, non ? Le credo "AJ" s’affiche clair. S’améliorer, toujours, et grandir, encore. Pour continuer d’écrire cette histoire unique qui voit la fusée Joshua s’envoler toujours plus haut.





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Alain Lolade