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L'ÉTAT COMPLICE D'UN DÉTOURNEMENT GÉANT À DIAMNIADIO

Rédigé par leral.net le Lundi 23 Juin 2025 à 23:42 | | 0 commentaire(s)|

"Banditisme d'État" sur le projet VRD de Diamniadio : Abdoulaye Cissé révèle comment l'autorité a organisé un pillage à 181 milliards. Des ministres ont détourné de l'argent public vers une entreprise aux capacités douteuses, court-circuitant le Trésor

L'enquête approfondie d'Abdoulaye Cissé, journaliste à TFM, révèle un scandale d'État sans précédent autour du projet d'aménagement de la voirie et des réseaux divers (VRD) de Diamniadio. Basée sur des archives officielles, des rapports de la Cour des comptes et des documents authentiques minutieusement analysés, cette investigation expose un détournement de fonds publics de plus de 181 milliards de francs CFA.

Lancé en 2017, le projet de Diamniadio était présenté comme une vitrine du développement sénégalais, abritant des infrastructures prestigieuses comme le stade Abdoulaye Wade, le Dakar Arena qui a accueilli des tournois de basket d'envergure, ainsi que des cités résidentielles et une zone administrative moderne.

Le marché d'aménagement de la voirie primaire et des réseaux divers avait été attribué le 9 mai 2017 au groupement Ecotra-Tober, suite à l'appel d'offres n°29 des GPU 2016. Dans leur lettre de soumission, les entrepreneurs s'engageaient à "exécuter et achever les travaux dans un délai de 36 mois" pour un montant de 140 milliards 325 millions FCFA, tout en promettant de "mobiliser les financements nécessaires dans un délai maximum de 2 mois".

Le rapport d'audit de la Cour des comptes, produit en mai 2023 et portant sur la période 2017-2020, constitue le cœur de cette enquête. À la page 43, sous le titre "Différence entre le marché signé par Ecotra-Tober et celui exécuté", la Cour révèle que "l'État a pris l'option d'emprunter auprès des bailleurs et partenaires à la place du groupement Ecotra".

Selon l'enquête d'Abdoulaye Cissé, l'État était parfaitement au courant des carences financières du groupement mais a choisi de le couvrir. Dès 2018, un lanceur d'alerte, ancien consultant ayant structuré le financement pour Ecotra, avait alerté le ministre du Budget de l'époque, Birima Mangara, dans une lettre confidentielle.

"Nous souhaitons attirer votre bienveillante attention qu'Ecotra-Tober a obtenu ce contrat à travers une offre spontanée et a toujours soutenu détenir les fonds nécessaires", écrivait le consultant, s'étonnant de voir l'État avancer déjà 26 milliards en deux versements de 21 et 5 milliards.

Une cascade d'emprunts aux conséquences dramatiques

L'investigation révèle un tableau édifiant des différents prêts contractés par l'État pour financer le projet :

  • 2017 : Banque islamique du Sénégal (21 milliards), Banque de Dakar (5 milliards)
  • 2018 : Banque de Dakar (1 milliard), Banque islamique du Sénégal (1 milliard)
  • 2019 : BOAD (30 milliards)
  • 2020 : BIDC (15 milliards), FBN Bank (1,58 milliard)
  • 2021 : Société générale de Paris (66,25 milliards)
  • 2023 : BOAD (30 milliards), BIDC (50 milliards)

Au total, ces emprunts atteignent 235 milliards FCFA, soit un dépassement de près de 100 milliards par rapport au coût initial. Avec les intérêts estimés à 85 milliards par des experts consultés par le journaliste, le coût financier global du projet s'élève à 322 milliards FCFA, soit un surplus de 181 milliards - un montant qui dépasse le coût initial du projet.

L'enquête soulève également des questions sur la crédibilité des partenaires du groupement. L'entreprise allemande Tauber, associée à Ecotra d'Abdoulaye Silla, présentait des anomalies flagrantes dans ses documents d'identification. Notamment, son capital était toujours libellé en Deutsche Mark, l'ancienne monnaie allemande qui n'existe plus depuis le 1er janvier 2002, date d'entrée en vigueur de l'euro.

Par ailleurs, Ecotra n'avait jamais réalisé auparavant un chantier au cinquième de celui-ci, ce qui aurait dû l'exclure de la compétition conformément au cahier des charges pour défaut de capacité technique et financière.

Un désastre écologique et logistique

Sur le terrain, la situation révélée par l'enquête d'Abdoulaye Cissé est catastrophique. Les travaux, qui auraient dû être livrés en mai 2020, accusent un retard considérable avec un taux d'exécution de seulement 51,60% selon les rapports du cabinet Corex de fin 2022.

L'aménagement frôle la catastrophe écologique : les eaux de ruissellement présentent une couleur verdâtre suspecte, les routes sont impraticables pour les camions qui s'enlisent, et les entrepôts semblent abandonnés. Les canaux d'assainissement restent à ciel ouvert, menaçant de déborder à tout moment.

La Cour des comptes note que "le retard dans la réalisation des voies principales compromet gravement l'objectif d'occupation de la nouvelle ville". Les bâtiments administratifs doivent faire appel à des camions de vidange de manière récurrente, révélant les défaillances du système d'assainissement.

Le plus scandaleux dans cette affaire, selon l'enquête, réside dans le fait que c'est l'État lui-même qui a organisé ce "carnage financier". Depuis 2019, par la signature du ministre de l'Économie de l'époque, Amadou Hott, l'État a demandé aux bailleurs de virer directement les fonds dans les comptes d'Ecotra, sans que l'argent ne transite jamais par les comptes du Trésor public.

Cette pratique s'est poursuivie : 30 milliards de la BOAD et 15 milliards de la BIDC ont été directement versés à Ecotra. En octobre 2023, sous le ministre Doudou Ka qui a succédé à Amadou Hott, 50 milliards supplémentaires de la BIDC ont encore été virés directement à l'entreprise.

Cette méthode expliquerait les déclarations publiques des nouvelles autorités en septembre 2024, affirmant ne pas trouver trace de plus de 2 500 milliards de francs CFA de financements extérieurs qui n'ont jamais transité dans les comptes publics.

L'enquête révèle également qu'Ecotra a facturé des ouvrages réalisés par d'autres concessionnaires comme la Senelec, en dehors même du marché des GPU. Plus troublant encore, l'entreprise a obtenu 15 milliards de FBN Bank sur requête du ministre des Finances Abdoulaye Daouda Diallo, sollicité fin 2019 par l'agent judiciaire de l'État Antoine Diome pour "accorder une compensation financière à Ecotra pour un prétendu détournement de son financement par l'État du Sénégal".

Le processus s'est poursuivi jusqu'en avril 2024, quand le ministre des Finances Cheikh Diba a encore tiré 6 milliards de la BIDC pour régler directement une facture à Ecotra.

Un état des lieux alarmant six mois après

Retournant sur les lieux en février 2025, soit six mois après le début de son tournage, Abdoulaye Cissé constate que si les eaux de l'hivernage ont séché, l'environnement reste "sauvage", devenant le terrain de jeu des animaux domestiques en divagation. Les entreprises continuent de quitter la zone d'activité économique, laissant des périmètres entiers à l'abandon.

Dans sa recommandation n°16, la Cour des comptes demandait au Secrétaire général de la présidence, au ministre des Finances et au ministre de l'Économie de "veiller à ce que les attributaires des marchés respectent leurs obligations contractuelles, notamment en ce qui concerne les modalités de financement des projets".

Mais comme le souligne l'enquête d'Abdoulaye Cissé, comment faire valoir de telles recommandations quand c'est l'État lui-même qui est défaillant ? "Manifestement, ceux qui devaient défendre l'État ont été ses bourreaux", conclut le journaliste dans son investigation.

Au-delà du préjudice financier pour l'État, cette enquête révèle que les premières victimes sont les populations riveraines de Diamniadio, dont l'environnement a été "complètement défiguré à coup de milliards". Les promoteurs immobiliers peinent à livrer leurs chantiers à cause des défaillances du réseau d'assainissement, compromettant l'objectif de développement urbain de la zone.

Cette investigation d'Abdoulaye Cissé met en lumière un système de détournement organisé au plus haut niveau de l'État, où les intérêts publics ont été sacrifiés au profit d'intérêts privés, laissant le Sénégal avec une facture de plus de 320 milliards de francs CFA pour un projet qui devait initialement coûter 140 milliards et qui demeure largement inachevé.

Cette enquête, menée sur plusieurs mois par le journaliste Abdoulaye Cissé de TFM, s'appuie sur des documents officiels, des rapports d'audit et des constats de terrain qui révèlent l'ampleur d'un scandale financier sans précédent dans l'histoire récente du Sénégal.

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https://www.youtube.com/watch?v=w0cu3uQvrSc
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DÉTOURNEMENT GÉANT À DIAMNIADIO
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Farid


Source : https://www.seneplus.com/developpement/letat-compl...