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LA CASAMANCE CHERCHE SON AVENIR

Rédigé par leral.net le Vendredi 6 Juin 2025 à 18:09 | | 0 commentaire(s)|

Si un accord de paix a été signé avec une faction rebelle, les vrais défis commencent : sortir cette zone oubliée de quatre décennies de sous-développement

(SenePlus) - Après plus de quarante ans de conflit de basse intensité, la Casamance tente de tourner la page de la guerre. L'arrivée d'Ousmane Sonko à la tête du gouvernement en 2024 a insufflé un nouvel espoir dans cette région méridionale, mais les défis économiques restent immenses pour cette zone parmi les plus pauvres du pays.

En février dernier, un signal majeur a marqué l'évolution du conflit casamançais. Une faction du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), mouvement indépendantiste qui combat l'État sénégalais depuis 1982, a signé un accord de paix. Ousmane Sonko s'est félicité de ce qu'il considère comme "un très grand pas vers la paix définitive en Casamance", rapporte Le Monde.

Cependant, cette avancée doit être relativisée. Selon Henry Ndecky, facilitateur indépendant reconnu pour ses efforts de médiation entre le pouvoir et le MFDC, "la rencontre va dans le bon sens, mais plus qu'un nouvel accord de paix à proprement parler, il s'agit du suivi d'un accord conclu en 2022".

La situation reste précaire. Les branches toujours actives du mouvement rebelle tentent d'enrayer le processus de paix. Le 16 avril dernier, un soldat sénégalais a été blessé et un autre enlevé par la guérilla entre la frontière gambienne et le fleuve Casamance. Ce militaire n'a toujours pas été retrouvé par l'armée sénégalaise.

Le mouvement indépendantiste s'affaiblit progressivement. En 2022, après la mort de quatre soldats sénégalais, Dakar a saisi de nombreuses caches d'armes lors d'opérations militaires d'envergure. Affaiblies et en proie à de nombreuses défections, les troupes indépendantistes se sont amenuisées et divisées en petits fronts épars. La Gambie ne soutient plus le mouvement, et la Guinée-Bissau, ancienne base arrière de la rébellion, l'empêche depuis 2021 de se replier sur son territoire.

Le difficile retour à la vie civile

L'exemple d'Athanase Diédhiou illustre les complexités de la transition. Cet "adjudant" qui vivait dans le maquis depuis 1992 a fait le pari du retour en 2023. Avec 250 autres hommes de la "faction de Diakaye", il a décidé d'abandonner la lutte armée. Mais sa réinsertion s'avère difficile : "Je ne peux pas vivre dans mon village de Birkamanding, des maquisards ont essayé de me tuer", confie-t-il au quotidien français.

Son rêve reste simple : sortir du chômage et retourner au travail de la terre, "la riziculture ou le mil". Cette aspiration reflète les enjeux économiques cruciaux de la région.

La Casamance continue de souffrir d'un développement économique lent. Parmi les régions administratives les plus pauvres du Sénégal, deux sont casamançaises : Sédhiou et Kolda. Cette réalité économique préoccupante contraste avec le soutien massif accordé à Ousmane Sonko dans la région.

Originaire de Casamance, Sonko y a grandi, même s'il est né à Thiès. En 2022, il remporte la mairie de Ziguinchor. Durant la crise politique qui l'oppose au président Macky Sall de 2021 à 2024, les manifestations de soutien ont été nombreuses dans le Sud. À l'élection présidentielle de 2024, son parti, le Pastef, récolte des scores sans appel en Casamance : 74% à Ziguinchor et jusqu'à 81% dans la commune de Bignona.

En octobre 2024, le président Bassirou Diomaye Faye a annoncé un "plan Diomaye pour la Casamance" doté d'une première enveloppe de 53,6 milliards de francs CFA (81,7 millions d'euros). "Plus qu'un chèque, une réflexion sur les besoins de la région", promet Abdou Sané, cadre du Pastef et conseiller municipal à Ziguinchor. "On veut soutenir le développement d'une économie locale. Nous avons besoin d'infrastructures, à commencer par un port industriel."

Les attentes de la jeunesse

La jeunesse casamançaise place ses espoirs dans le développement économique. Yahya Tamba, diplômé du supérieur qui conduit un "jakarta" - une petite moto devenue symbole de la région - exprime les aspirations communes : "Je veux la même chose que tout le monde : qu'on transforme ici les produits de notre agriculture pour créer de vrais métiers. Que nos diplômes nous servent. J'ai de l'espoir, mais je sais qu'il faudra être patient."

Ces jeunes se bricolent des métiers avec leurs motos : coursier, taxi, transporteur, pour des revenus qui ne dépassent pas 100 000 francs CFA par mois (150 euros). Leur mécontentement s'est exprimé en janvier lors de manifestations de Kolda à Sédhiou pour protester contre l'obligation d'immatriculation de leurs véhicules, représentant un coût d'environ 20 000 francs CFA (30 euros).

Le premier volet du "plan Diomaye" se concentre sur les conséquences de la guerre civile. Les autorités ont commencé à verser des aides directes aux "déplacés". Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime que quelque 70 000 personnes ont quitté leurs villages depuis 1982 pour fuir vers d'autres localités de Casamance, la Gambie ou la Guinée-Bissau.

Avec la pacification, près de 200 villages ont vu leurs habitants revenir progressivement ces trois dernières années, mais une quarantaine reste vide. Sitapha Sédhiou témoigne de ce retour difficile dans son village de Mahamouda : "J'ai quitté ce village à 10 ans, en 1992, sur instruction de l'armée sénégalaise. On entendait les mortiers. Je suis revenu en 2022."

L'État a recensé 488 villageois originaires de Mahamouda, mais seules quelques dizaines sont revenues. Les infrastructures manquent cruellement : "Il nous manque une école, l'électricité, au moins un autre puits", souffle Sitapha Sédhiou.

Une économie locale encore fragile

"L'économie locale est encore fragile. Les gens se débrouillent comme ils le peuvent", souligne Samba Sané, économiste à l'université Assane-Seck de Ziguinchor. Cette précarité pousse certains vers des activités illégales. Début mars, la gendarmerie a mené des opérations sur les îles Karone pour abattre des plants de cannabis.

Athanase Diédhiou, l'ancien combattant du MFDC, livre une analyse lucide : "C'est parce qu'on manquait de tout qu'on est entré dans le maquis. Si on veut éloigner la jeunesse casamançaise de la guerre, il faut lui offrir un avenir."

L'économiste Samba Sané confirme cette nécessité : "À terme, il faudra trouver des alternatives pour sortir les personnes de ces trafics qui se sont développés à l'ombre de la guerre et leur permettent de survivre."

La Casamance se trouve ainsi à un tournant de son histoire. Si la paix semble enfin à portée de main après quatre décennies de conflit, le véritable défi réside désormais dans le développement économique de cette région oubliée. L'optimisme affiché par les habitants témoigne de leur espoir en l'avenir, mais les autorités devront transformer rapidement les promesses en réalisations concrètes pour éviter que la frustration économique ne ravive les tensions.

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Farid


Source : https://www.seneplus.com/economie/la-casamance-che...