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LA FOI MOURIDE SANS FRONTIÈRES

Rédigé par leral.net le Dimanche 3 Août 2025 à 00:21 | | 0 commentaire(s)|

"Un phénomène imprévu" : c'est ainsi que Cheikh Anta Babou qualifie l'expansion internationale de la confrérie. Il décrypte comment ces "conservateurs perdus dans la modernité" ont su la domestiquer pour essaimer aux quatre coins du monde

(SenePlus) - Dans une interview accordée à RFI le 2 août 2025, l'auteur Cheikh Anta Babou revient sur l'expansion internationale remarquable de la confrérie mouride. Son ouvrage "La Mouridiyya en marche : islam, migration et implantations", publié aux Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, analyse cette transformation inattendue d'une communauté considérée comme traditionaliste en diaspora mondiale influente.

L'entretien avec Laurent Correau intervient à un moment symbolique, alors que les fidèles mourides s'apprêtent à célébrer le grand magal du 13 août, le pèlerinage annuel vers Touba, ville sainte de la confrérie. Cette période coïncide également avec le Bamba Day, récemment célébré par les organisations de la diaspora en hommage au fondateur Cheikh Ahmadou Bamba.

L'émergence de cette diaspora constitue un phénomène surprenant selon Babou. "Ce qui fait l'importance de cette diaspora mouride, c'est un phénomène imprévu. Les mourides, qui étaient un peu considérés comme des sédentaires naturels, des conservateurs qui sont perdus dans la modernité, ont profité de cette modernité qui n'était pas faite pour eux", explique-t-il.

Cette transformation s'est opérée progressivement. Les mourides ont d'abord migré massivement vers les centres urbains sénégalais, s'appropriant l'économie informelle. Puis, "quand les conditions se sont présentées, ils ont quitté le Sénégal pour l'Afrique occidentale, pour l'Europe et maintenant pour les États-Unis dans les années 80."

La clé de cette expansion réside dans l'histoire même du fondateur. "Ce qui l'explique, c'est la mobilité avec Ahmadou Bamba", souligne l'auteur. Les exils du fondateur - sept ans au Gabon, puis en Mauritanie - ont conféré "une certaine aura qui accompagne cette mobilité" et légitimé spirituellement la migration pour ses disciples.

L'originalité de la diaspora mouride tient à sa capacité d'organisation. Les dahiras, ces associations urbaines mourides créées dans les années 1940 au Sénégal pour préserver l'identité religieuse face à la modernité occidentale, ont accompagné la migration. "Quand les mourides ont voyagé, ils ont voyagé avec ces dahiras", précise Babou.

Ces structures jouent un rôle crucial dans le maintien de la cohésion communautaire. "Une fois à Paris, une fois à New York, une fois à Abidjan ou ailleurs, ces dahiras deviennent le creuset où les mourides se retrouvent chaque semaine, où la sociabilité mouride est développée, où les événements religieux sont célébrés", détaille le chercheur.

Cette organisation a permis la création d'innovations culturelles. La diaspora a notamment développé les "khassidas days", journées où différents groupes se rassemblent pour chanter les poèmes d'Ahmadou Bamba. "C'est du nouveau. C'est la solidarité diasporique", note Babou, précisant que cette pratique a même été "réexportée au Sénégal".

L'évolution religieuse de la deuxième génération soulève des interrogations profondes. "Vivre sa religion dans la diaspora est chère. C'est un investissement lourd en termes financiers, mais aussi en termes de temps, en termes d'émotion", constate l'auteur. Les parents s'inquiètent : leurs enfants auront-ils "cette volonté d'avoir cet investissement que nous, nous avons produit pour que l'amour de Dieu continue à se perpétuer ?"

Cette inquiétude touche également les mourides professionnels qui développent une approche plus individuelle de leur foi. "Ils se disent 'je peux être mouride autrement. C'est-à-dire, je peux apprendre les khassaïdes de Serigne Touba chez moi. Pas nécessairement en communauté'", explique Babou.

Cette individualisation remet en question l'autorité traditionnelle. "Ce lien-là qui se base sur la généalogie est en train de se déliter un tout petit peu", observe le chercheur. Certains fidèles estiment pouvoir "être mouride sans se soumettre à un cheikh qui est un descendant d'Ahmadou Bamba", privilégiant une relation directe avec le fondateur à travers ses écrits.

La diaspora mouride génère un impact considérable sur le Sénégal. Au-delà des transferts financiers "assez substantiels", elle a transformé sa contribution sociale. Des dahiras se sont mués en ONG, à l'image de Matlaboul Fawzeyni qui "a construit le premier hôpital moderne au niveau de Touba et ils continuent à investir, par exemple sur l'éclairage public, sur l'assainissement."

Ces investissements répondent aux besoins identifiés par les migrants. "Ces mourides qui vivaient dans les zones rurales qui ont migré à Touba et par la suite ont migré en Europe ou en Amérique se sont rendus compte qu'ils ont besoin d'installations sanitaires modernes pour leurs parents qu'ils ont laissés derrière", précise Babou.

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Farid


Source : https://www.seneplus.com/culture/la-foi-mouride-sa...