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LE COLLIER DE PAILLE DE KHADI HANE OU LE TAM-TAM DE ROMANCE

Rédigé par leral.net le Dimanche 8 Juin 2025 à 13:51 | | 0 commentaire(s)|

EXCLUSIF SENEPLUS - C’est un roman qui met en scène la confrontation sociale entre les urbains classiquement tournés vers la modernité et les ruraux attachés aux traditions, mais qui soulèvent la question des valeurs africaines

Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.

Le genre de la romance est à l’origine une ancienne chanson espagnol populaire au caractère narratif. Comme dans tout roman d'amour populaire universel, les romances se concentrent sur les relations et l'histoire sentimentale entre deux personnes, tout en parvenant à émouvoir le lecteur et en optant pour une fin heureuse. La romance urbaine, qui est une variante du roman sentimental, relate davantage avec humour et dérision les tribulations de jeunes citadines qui se caractérise par la légèreté de ton, le recours au langage familier et l’accent mis sur les problématiques contemporaines : travail stressant, peur de l’engagement, mépris des traditions familiales.

C’est dans cette atmosphère que débute le roman de Khadi Hane Le collier de paille, avec une tonalité libre et joyeuse. La narratrice est une jeune femme moderne, vivant à Dakar et travaillant pour une ONG. Elle est mariée à Karim depuis cinq ans, et elle semble aimer la vie qu’elle a choisie.

Vivant en harmonie, entre ses parents, sa meilleure amie Claire et sa vie conjugale, elle ne se doute pas que sa stabilité va être bouleversée par un voyage initiatique et amoureux dans un village de Casamance où elle est envoyée pour la construction d’un hôpital.

Le roman est écrit au “je”, comme une confession, et au présent, à l'exception des flash back écrits au passé, qui, peu à peu, laissent entrevoir une autre réalité. Ses confidences se transforment au fur et à mesure du récit, avec les souvenirs qui affluent et la prise de conscience qui alors s’impose comme une vérité qui ne se cache plus derrière des trompe-l’oeil.

Une fois éloignée de son habitat urbain, le roman met en scène le trouble de la jeune femme face à un mode de vie totalement opposé et ignorant du sien. Sa sensibilité est aiguisée par sa disparition sociale qui n’a pas de sens pour les habitants du village de Niakhane. En effet, aux yeux de la communauté sérère où elle se rend pour diriger l’équipe du projet d’implantation d’un dispensaire, elle ne peut pas être une femme active qui commande des hommes et elle est releguée à la case des femmes. Et c’est le premier choc pour la narratrice qui se voit assignée à un rôle qui l’enferme et la contraint. Puis doucement, elle prend la mesure de la distance sociale qui les oppose, tout en étant touchée par l’abnégation de ces femmes du village qui respectent l’éducation qu’elles ont reçues.

C’est aussi un roman qui met en scène la confrontation sociale entre les urbains classiquement tournés vers la modernité et les ruraux attachés aux traditions, mais qui soulèvent la question des valeurs africaines. La narratrice est alors confrontée à plusieurs dilemmes : la liberté des femmes remise en cause, la polygamie, la hiérarchisation des sexes, des castes, le fonctionnement de la communauté paysane.

Les scènes du village sérère laissent apparaître un nouveau paysage tout en lumière, comme un tableau vivant. Celui-ci semble demeurer incompréhensible aux yeux de la narratrice mais en même temps il n’a de cesse de la fasciner. Tout est orchestré par le circulaire africain, les cérémonies, les rituels, les travaux dans les champs, les discussions autour du baobab, l'organisation spatiale, les tam-tams dans la nuit. La narratrice y expérimente sa propre initiation comme une révélation impossible à contrôler. Son mal-être se superpose à ses propres contradictions car elle est frappée, à son insu, par le corps d’un homme du village dont elle ne peut détacher son regard, envoûtée par un amour incontrôlé.

Tous les sens sont sollicités et l'écriture se métamorphose au gré de l’amour qui surgit. Les scènes du village de Niakhane sont écrites avec force et détail et un certain lyrisme qui chasse le narratif pour laisser place au poétique.

Lors d’une cérémonie où les hommes du village s’affrontent en combat de lutte, l’intrigue devient électrique, façonnée par le décor, la scène qui se déroule et les personnages. Les grigris, les griots, la musique et la danse opèrent une sorte de transe pour la narratrice qui se doit de respecter sa place, tout en cédant à son attirance pour Diogoye, l’homme des champs, fils du chef du village et marié à deux femmes, celles-là mêmes qui l’accueillent dans la case des femmes.

Ainsi, la narratrice remet en cause sa propre existence. Confrontée à une forme de déraison amoureuse qui se veut universelle, cet attachement instantané devient le paroxysme de la vérité qui se cache derrière le dessin d’une autre destinée.

De retour à Dakar et voyant approcher son espace originelle, elle ne peut s’empêcher de remettre en cause son mode de vie qui devient, à ses yeux révélés par une autre authenticité, une représentation mensongère de la vie dakaroise

Elle repasse dans son esprit la cérémonie de son mariage avec Karim et ce moment devient une révélation pour le récit car celui-ci est l’expression d’un rite travesti par l’argent et où l’héritage familial transformé en billet devient une sorte de parodie de l’amour, une mascarade douloureuse pour les jeunes mariés.

Ainsi le récit de ce collier de paille, cadeau ultime de Diogoye lors du départ de la narratrice, remplace symboliquement le lourd collier d’or passé autour de son cou lors de son union avec Karim. Et elle se souvient avec force de la promesse imaginaire qu’elle a faite à Diogoye : Nous nous sommes donné rendez-vous derrière l’écume. 

De retour chez elle, la narratrice est assaillie par les images de Diogoye, impuissante à révéler son secret qui se transforme, aux yeux de ses proches, en folie, en maladie, en un démon sérère dont elle serait la victime. Et ici la romance prend des allures de tragédie car la résolution amoureuse est impossible et elle est condamnée à renoncer à la vie.

Ainsi, Le collier de paille de Khadi Hane est un roman sensible qui laisse éclore les contradictions existentielles, une dissonance sociale et amoureuse qui parle à toutes et à tous. L’autrice prend habilement le contre-pied du genre de la romance, se donnant le droit d’en explorer tous les clichés pour mieux les dépasser et tout en inscrivant un univers littéraire singulier qui fait naître une voix qu’il est agréable de redécouvrir, d’entendre et de lire.

Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.

Le collier de paille, Khadi Hane, roman, éditions Ndzé, Paris-Libreville, 2002

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Farid


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