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LE NGOYANE, MÉLODIE ET IDENTITÉ DU SALOUM

Rédigé par leral.net le Dimanche 14 Septembre 2025 à 17:18 | | 0 commentaire(s)|

A la frontière gambienne, Médina Sabakh vibre au rythme du Ngoyane, art ancestral porté par des familles de griots. De la cantatrice légendaire Saly Mbaye à sa fille Diakhou Ndiaye, la tradition se perpétue.

Aux confins du Saloum, à la frontière de la Gambie, Médina Sabakh vit au rythme d’une musique unique : le Ngoyane. Plus qu’un art, il est une mémoire vivante, transmise de génération en génération par des familles de griots. De la légende de Saly Mbaye à la relève assurée par Diakhou Ndiaye, récit immersif dans une maison où chaque tambour raconte une histoire.

Nichée dans le Rip, à plus de 250 kilomètres de Dakar et à une trentaine de kilomètres de la Gambie, Médina Sabakh s’étire au milieu des champs d’arachide et de mil. Le village respire la tranquillité. Loin des grandes artères bitumées et des bruits de moteurs, ici, ce sont les tambours, le xalam et la calebasse qui dictent le rythme du quotidien.

« Le Ngoyane est plus qu’une musique. C’est une histoire », lâche un ancien assis sous un baobab, à l’entrée du village. Et cette histoire a fait de Médina Sabakh une capitale culturelle : celle du Ngoyane.

Le soir venu, quand le soleil s’éteint derrière les champs, les percussions résonnent. Elles rassemblent les femmes, les jeunes, les enfants, dans une ambiance qui traverse les âges. Le Ngoyane n’est pas seulement une mélodie : il est le souffle du Saloum, l’identité de tout un terroir.

Saly Mbaye, la voix d’or du Saloum

Selon la tradition orale, le Ngoyane serait né de la destinée de Nderi Kandji, un guerrier originaire de Kataba Wolof. Parti consulter un marabout pour fonder son village, il reçut une prière à réciter. Là où sa récitation prit fin, surgit Médina Sabakh.

Kandji, dit-on, emportait toujours son griot dans ses expéditions. Après les batailles, il organisait des fêtes pour se reposer et se réjouir avec ses hommes. Les griots chantaient ses exploits, accompagnés de percussions. Ainsi naquit le Ngoyane.

Depuis, ce chant rythmé par le xalam, la calebasse et le tam-tam s’est transmis de génération en génération, porté principalement par des femmes, piliers des chants et de la mémoire.

En pénétrant dans la grande maison familiale de Saly Mbaye, figure emblématique du Ngoyane, on ressent immédiatement la force d’un héritage. À l’entrée, un grand canari d’eau accueille les visiteurs. Sous la véranda, plusieurs tambours de différentes tailles sont posés à même le sol, visibles de tous comme des trophées silencieux.

La cour vibre d’activité. Des enfants jouent en imitant les batteurs. Des jeunes femmes aux foulards éclatants répètent des pas de danse. Dans une pièce, les anciens discutent autour du thé, tandis qu’au loin, des coups de tambour résonnent, secs et puissants.

« Ici, chaque mur, chaque objet raconte le Ngoyane », commente un voisin en souriant.

Au centre de cette maison vit une légende : Saly Mbaye, cantatrice qui a marqué des générations. Sa silhouette imposante, son teint noir brillant, et surtout sa voix chaude et captivante, en ont fait une figure incontournable du Ngoyane.

Ses chansons abordaient des thèmes quotidiens mais universels : Dounde bi (la vie chère), Ndokh amna Ndiarigne (il faut économiser l’eau), Médina Baye (la cité religieuse de Kaolack), ou encore Ngoyane deukoum mame la (le Ngoyane est un héritage ancestral). Autant de titres qui continuent de résonner dans la mémoire des habitants du Saloum.

« J’ai dédié une grande partie de ma vie au Ngoyane. C’était une passion, un engagement », confie-t-elle aujourd’hui, la voix encore ferme malgré le poids des années.

Une troupe familiale devenue institution

L’histoire de Saly Mbaye s’inscrit dans celle d’une troupe : Ngoyane Médina Sabakh, fondée par sa belle-mère Adja Seynabou Dieng et son frère Sako Dieng, maître du xalam.

« Au début, nous n’avions rien, juste le xalam, la calebasse, quelques tam-tams et nos voix », se souvient Saly Mbaye. « Mais c’était suffisant pour enflammer les foules », ajoute-t-elle.

Au fil du temps, la troupe grandit. Saly Mbaye y prend les rênes aux côtés de Seybatou Dieng, Lobé Ndiaye, Fatou Kiné Ndiaye et Marame Faye. Toutes appartiennent à la même famille. « Les unes chantaient, d’autres dansaient, d’autres encore maniaient les instruments », explique-t-elle.

Le succès fut immédiat. « On nous suivait partout à cause de nos thématiques et de notre authenticité », dit-elle avec fierté. La troupe enregistre sept cassettes et trois singles, devenant un symbole du Ngoyane dans tout le Saloum et jusqu’en Gambie.

Mais derrière la réussite artistique, les réalités matérielles étaient dures. « À notre époque, nous étions près de trente dans la troupe », raconte Saly Mbaye. « Mais nos cachets étaient dérisoires. On ne gagnait presque rien. Pourtant, nous continuions. Par passion, par fierté. Parce que nous sommes griots. »

Elle évoque avec émotion les longues nuits de voyage, les scènes improvisées sur des places de village, les fêtes de mariage interminables. « Nous n’avions pas besoin d’artifices. Nos voix et nos instruments traditionnels suffisaient », souligne-t-elle.

Pendant plus de quarante ans, Saly Mbaye a chanté partout : dans les villages, les mariages, les cérémonies religieuses, mais aussi dans les meetings politiques du Parti socialiste ou du Parti démocratique sénégalais. Elle a accompagné son époque, donnant au Ngoyane une dimension sociale et parfois politique.

« Nous étions des témoins de notre temps », dit-elle. « À travers nos chansons, nous racontions la vie chère, la sécheresse, les difficultés du peuple », se souvient-elle.

Aujourd’hui, la grande cantatrice s’est retirée. L’âge et la maladie ne lui permettent plus de chanter. Mais dans sa maison, le Ngoyane continue de vivre.

« J’ai laissé la relève à mes enfants et mes petits-enfants. Ma fille Diakhou Ndiaye, mes belles-filles, mes neveux… ils reprennent le flambeau. Quand ils répètent, je les écoute et je les corrige. Cette maison est devenue une école du Ngoyane », explique-t-elle.

Dans la cour, sa fille Diakhou Ndiaye accorde sa voix à celle de ses camarades. Elle a hérité de la puissance et de la musicalité de sa mère, tout en apportant une touche de modernité.

« Le Ngoyane, on ne peut pas le changer », dit-elle avec assurance. « Mais nous avons ajouté notre touche personnelle : le piano, le bol, la bassine. Ces sons donnent plus de rythme », note-t-elle.

Diakhou représente la nouvelle génération, plus connectée, plus ouverte : « Nous chantons toujours dans les mariages et les cérémonies, mais nous participons aussi à des festivals, et même au Grand Théâtre de Dakar. »

Le Ngoyane face à la modernité

Cette modernité n’efface pas l’authenticité, au contraire. Elle permet au Ngoyane de se faire entendre au-delà du Saloum.

« Nous n’avons pas encore eu la chance d’aller à l’international », regrette Diakhou. « Mais partout au Sénégal, on nous invite. Et le public répond. »

Dans son discours, une fierté : celle d’avoir su adapter un art ancien aux codes d’aujourd’hui, sans le dénaturer.

Pourtant, les défis restent immenses. Le manque de soutien des autorités est souvent pointé du doigt. « Nous travaillons avec nos propres moyens. Aucun appui, aucune reconnaissance officielle », déplore Saly Mbaye.

Autre menace : l’appropriation par d’autres artistes. « Beaucoup se disent Ngoyane sans en connaître ni l’histoire, ni les codes », ajoute Diakhou.

Mais à Médina Sabakh, les familles de griots restent convaincues : leur musique survivra. « Tant que nos enfants battront les tambours, le Ngoyane vivra », assure Saly, le regard tourné vers la cour animée.

Le soleil se couche sur Médina Sabakh. Dans la cour de la maison, les tambours s’animent. Les enfants frappent sur des bidons, les jeunes filles entonnent des refrains, les anciens écoutent, souriants.

Ici, le Ngoyane n’est pas une simple musique. Il est mémoire, identité, résistance. De Nderi Kandji à Saly Mbaye, de Saly à Diakhou Ndiaye, il traverse le temps, fidèle à son essence.

Dans ce village perdu dans le Rip, chaque frappe de tambour est une promesse : le Ngoyane ne s’éteindra pas.

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Alioune


Source : https://www.seneplus.com/societe/le-ngoyane-melodi...