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LES AVATARS D’UN PASSÉ TRONQUÉ

Rédigé par leral.net le Jeudi 31 Juillet 2025 à 23:04 | | 0 commentaire(s)|

#ModeAnnées60. Ce hashtag connait son petit succès ces dernières semaines. Il signe un challenge qui est devenu viral et tendance sur les réseaux sociaux, notamment TikTok, parti de Louga pour arriver dans presque tous les coins du pays.

#ModeAnnées60. Ce hashtag connait son petit succès ces dernières semaines. Il signe un challenge qui est devenu viral et tendance sur les réseaux sociaux, notamment TikTok, parti de Louga pour arriver dans presque tous les coins du pays. C’est, certes, une joyeuse trouvaille. C’est un festival qui aurait tout de même été d’un meilleur effet et d’un total bonheur si on n’y déplorait pas tant de burlesque et de confusion. Dans un premier temps, il y a bientôt un an, des vidéos publiées montraient des collèges de dames qui apparemment occupent leur soir. Dans un cercle de chaises en plastique blanches, elles se relayaient au milieu pour danser sur des chansons de Youssou Ndour, empruntant drôlement les géniales mimiques et gambilles d’Alla Seck.

Ces « ngonal » étaient souvent animés avec des tubes de l’Étoile de Dakar ou du tout début du Super Étoile de Dakar. C’était fun et simple, tout en faisant souffler un doux vent de nostalgie. Puis, le phénomène « mode des années 60 » est apparu. Il y en a qui respectent le thème, et même dans une élégance remarquable. Pour l’écrasante majorité cependant, c’est un bal d’extravagance et de tape-à-l’œil. Des dames se badigeonnent le visage à outrance, perchées sur des talons manioc et couvertes de couture en mal de mesure. Des hommes du mouvement, ayant pu pourtant facilement satisfaire, ont malencontreusement choisi la pitrerie. Une télévision locale en a exposé le spectacle il y a une semaine. D’aucuns diront que c’est juste pour s’amuser et qu’il ne faudrait pas prendre à la lettre la mention #années60. Sauf qu’il est tout aussi bien d’aider à améliorer « l’ambiance ».

Dans certaines réactions sur le web, on évoque un manque d’accès aux archives pour justifier l’impair. Ça s’entend. Toutefois, ceux qui indexent un défaut de culture ont mieux raison. Le cinéma est là comme témoin. Les films qui ont projeté la société sénégalaise entre 1960 et 1975 sont un magnifique reflet de l’esthétique des Sénégalaises de l’époque. « Grand Magal de Touba » (1961) de Blaise Senghor. « La Noire de… » (1966), « Mandabi » et « Xala » (1975) de Sembène Ousmane. « Dianka-bi » (1967) et « Diègue-bi » (1970) de Mahama Johnson Traoré. « Touki Bouki » (1973) de Djibril Diop Mambety, notamment au ballet en bord de piscine ou quand les femmes sublimement apprêtées assistaient au combat de lutte. Dans ces films, au-delà de la simple vêture, le costume est un éloge du geste. Le code esthétique enveloppait les caractères des femmes, de toutes couches et conditions sociales.

Elles avaient l’attitude presque impériale, avec un considérable effort de tenue et de retenue. Même celles qui s’en dérobaient quelques fois, surfaient dans l’impertinence avec un raffinement dans le dire et le faire. Le costume, et le geste qui l’accompagnait, pouvait exposer le pouvoir des femmes. Elles qui donnaient ses couleurs à la société, ou au foyer, dont elles sont la pierre angulaire et le cœur. Regardez (encore) ces images pour voir la femme dandiner, le flanc du boubou ample calé dans l’aisselle, main parée de bijoux et pendant nonchalamment dans l’air. Admirez ces bonnes dames marcher au pas, adoptant la délicieuse désinvolture d’une girafe et la lente cadence d’une jument en embonpoint. Cette franche coquetterie méritait d’être la vedette de la tendance, sans les atours d’un cirque. La documentation pouvait aussi se diriger sur des archives photographiques, la littérature ou les modèles sublimes de la costumière de cinéma Maguette Guèye à travers La Penderie de Maam. Isabelle Paresys, professeure en Histoire culturelle, laisse entendre que le costume au cinéma est un accessoire d’historicité. La musique, aussi.

L’autre critique la concerne justement. Sur les vidéos, on entend souvent le mbalax des années 1990 et 2000. Pour revenir au cinéma de l’époque, la musique mandingue au son de la kora et les envolées sur des phrases de xalam étaient les musiques locales prisées. C’est qu’à ce moment, avec Soundioulou Cissokho qui a dirigé et même lancé l’Ensemble lyrique du Théâtre Daniel Sorano, et ensuite Lalo Kéba Dramé, la musique mandingue avait gagné les cœurs et les scènes. Outre les palais et les veillées festives, la kora et le xalam menaient le chapitre avec cette nouvelle élite qui tenait à souvent se rappeler son statut dans les banquets. Le sabar restait encore une « musique d’ambiance », tandis que l’afro-cubain particulièrement, le jazz et la musique française marquaient les ondes. Quoique généralement, les Sénégalais ont depuis longtemps été de grands mélomanes ouverts à tous les genres du monde (Pape Armand Boye). La tendance #ModeAnnées60 peut être une aubaine pour intéresser une génération à la mémoire culturelle et lui révéler la grande richesse de notre patrimoine. Pour ce faire, il faut au mieux éviter la transmission d’une croix brisée.

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Alioune


Source : https://www.seneplus.com/opinions/les-avatars-dun-...