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La neymarisation du PSG et ses risques

Le récent contentieux qui a opposé Neymar Jr à Edinson Cavani, est venu rappeler que la désignation du tireur de penalty, au sein d’un club comme le PSG, obéissait à des règles de préséance sans grand rapport avec des critères techniques (l’un et l’autre affichent 80% de réussite dans cet exercice sur l’ensemble de leurs carrières).

L’enjeu statistique des buts marqués, à la fois comme indicateur de performance personnel et critère crucial pour les trophées individuels comme le Ballon d’Or, exclut ainsi tout gentlemen’s agreement, obligeant l’entraîneur, voire les dirigeants, à prendre une décision de nature politique. Au-delà de l’anecdote, ce qui se joue là, illustre l’importance et l’ambivalence du « statut » d’un joueur comme Neymar.


Rédigé par leral.net le Mardi 31 Octobre 2017 à 14:42 | | 0 commentaire(s)|

La neymarisation du PSG et ses risques

UN STATUT POUR NEYMAR

Le « statut » d’un joueur au sein d’une équipe peut résulter de plusieurs facteurs : ses états de service, le montant de son transfert, l’espoir de ses dirigeants de bien le revendre (plus prosaïquement, cette hiérarchie correspond souvent à l’échelle des salaires). Dans le cas d’une superstar comme Neymar, ce statut n’est même pas à discuter, il lui est acquis, et son arrivée au PSG ne fait que le renforcer.
 

Neymar a conclu un transfert qui entre dans sa stratégie de carrière. Il est venu chercher à Paris une position plus avantageuse que celle dont il bénéficiait à Barcelone. D’une part, l’institution du Barça est plus grande que celle du PSG : ce qu’il perd de valorisation par son club, le Brésilien le récupère avec son rang de footballeur le plus cher du monde qui doit entraîner sa nouvelle équipe dans sa propre ascension.
 

D’autre part, il devait partager la lumière catalane avec Suarez et surtout Messi. En formant l’attaque parisienne avec un tout jeune prodige et un buteur efficace mais sans grand glamour, il savait qu’il occuperait une position dominante dans le vestiaire et sur le terrain.
 

Pour l’heure, il n’y a pas de « conflit de position » entre ces trois joueurs, qui évoluent à des postes convenant à leurs profils respectifs. Mbappé pourrait préférer le côté gauche voire revendiquer l’axe, mais il n’est pas (encore ?) en situation de le faire. Il a fait allégeance au « Ney », qu’il a dit vouloir aider à gagner le Ballon d’Or. En revanche, Cavani a dressé les ergots et montré qu’il n’était pas prêt à céder sur sa part des buts du PSG. Ce qui peut contrarier les objectifs de son nouveau coéquipier et son nouveau coéquipier lui-même.
 

JOUEUR PROTÉGÉ

En revendiquant la fonction de tireur de penalties, Neymar a voulu faire valoir un privilège qu’il aurait souhaité ne pas avoir à réclamer (et que l’on peut d’ailleurs trouver logique, voire légitime). Ce n’est pas le seul des droits ou passe-droits qu’il peut faire valoir.
 

Le droit à l’indulgence est le plus évident d’entre eux. Accueilli avec des sentiments allant de l’excitation à l’extase, tout ce que fait Neymar est nimbé de son aura. Lorsque Paris est mis en échec à Montpellier sans lui, c’est par cette absence que l’on explique la contre-performance. Lorsque son équipe commence à patiner, ses prestations déclinantes ne sont pas examinées, de même que les problèmes tactiques posés par ce schéma en « 4-3+3 »  qui coupe la formation parisienne en deux, ou certaines attitudes qui confinent à la suffisance.
 

Même si elles portent sur une période assez courte, les statistiques indiquent une évolution de son jeu entre Barcelone et Paris, en laquelle on peut voir une volonté d’exercer plus de responsabilités et d’en tirer un meilleur bénéfice : il est déjà sur des bases de buts par match plus élevées, porte plus le ballon et tente plus de dribbles – avec un peu plus de déchet technique aussi [1].
 

Son impressionnant cumul buts et passes décisives (10+7 en 11 matches) est un antidote efficace contre les critiques. Et la fourniture de gestes techniques exceptionnels et très télégéniques, lui offre l’assurance de préserver son image de joueur hors-normes. Il lui faut certes justifier cette qualité sur le terrain, car à faramineuse rémunération, grandes responsabilités : on sait qu’en football, la flamme de l’admiration est aussi celle des bûchers. Sa capacité à réussir ne fait toutefois pas grand doute, en partie parce que tout est fait pour qu’il réussisse.
 

JOUEUR « À PROTÉGER »

Neymar appartient aussi à la catégorie des « joueurs à protéger ». La nécessité de « protéger les [meilleurs] joueurs », que son entraîneur Unai Emery a invoquée après la rude confrontation à Marseille , date au moins des années 80, période ou des brutes pouvaient assez impunément prendre le risque de casser une jambe à Maradona.
 

L’idée procède très légitimement de la volonté de protéger le jeu et le spectacle, au-delà des « artistes », et elle a repris du service au lendemain de l’expulsion de l’ex-joueur de Santos au Vélodrome (que peu lui ont reprochée, malgré la nécessité pour un tel joueur de résister aux provocations – et d’assumer le caractère provocateur de son propre jeu).
 

Mais en tant que joyau de la Ligue 1, en lequel sont placés de grands espoirs économiques, l’international brésilien est aussi un capital national à préserver : malheur au défenseur qui aurait le malheur de le blesser. Les déclarations attribuées à des arbitres de l’élite , admettant une attitude spécifique envers Neymar, suscitent même quelque malaise à l’idée que les règles ne seraient pas les mêmes pour lui [2].
 

Le « statut » de Neymar lui vaut donc d’être placé dans les meilleures conditions pour briller : droit de regard sur la tactique et le choix de ses coéquipiers voire de l’entraîneur, priorité sur les penalties et les coups francs, « protection » spéciale de la part des arbitres, exaltation médiatique de ses exploits, etc. Dans ces grands clubs qui font en sorte que l’équipe « joue pour » ses stars (en commençant par les entourer d’un effectif exceptionnel) et fasse leur bonheur, le statut renforce le statut… Reste à s’assurer que les intérêts du joueur coïncident toujours avec ceux de son club.
 

L’ÉQUILIBRE DES POUVOIRS

Car si la neymarisation du PSG est censée rapporter énormément à ce dernier, elle n’est pas sans risque. La concurrence symbolique entre un grand club et un grand joueur s’est parfois tendue avec l’extrême starification des meilleurs joueurs au monde. Or en tant qu’institution, le PSG n’a pas l’assise des clubs plus anciens et plus prestigieux, et ce rapport de forces implicite, est plus à l’avantage de Neymar à Paris qu’à Barcelone.
 

Son transfert pose de nouveau la question de l’équilibre des pouvoirs au sein du PSG, entre le club et ses joueurs. L’ère Ibrahimovic s’était achevée sur un bilan positif mais ambivalent , et l’on pensait alors que les dirigeants avaient décidé de construire le PSG – sportivement et en termes d’image – un peu plus comme une équipe, sans superstar ayant tendance à cannibaliser l’attention.
 

Non seulement Neymar aura tendance à attirer toute la lumière et à imposer ses vues sur le terrain, mais son transfert le met en position de pouvoir au sein de l’institution. L’intégration au staff parisien de ses deux physiothérapeutes personnels, est un signe parmi d’autre du régime de faveur qui lui est accordé. Il a semble-t-il eu son mot à dire sur le recrutement, et on lui a récemment prêté des critiques sur les méthodes  de son entraîneur Unai Emery, voire la volonté de s’en débarrasser.
 

Neymar est un joueur à part, élevé au-dessus de ses coéquipiers. Il est même « plus qu’un footballeur ». Ce statut ne doit pourtant pas devenir celui d’un intouchable, dans son propre intérêt.  Leonardo, ancien directeur sportif du PSG, a bien résumé  la problématique« Il ne peut jamais se sentir plus grand que l’institution. Le PSG doit être plus important que Neymar. Sinon, on ne verra pas le meilleur Neymar non plus ».


[1] Cette saison, Neymar atteint un ratio de presque un but par 90 minutes jouées, alors qu’il affiche un 0,6 sur l’ensemble de sa carrière. 11 dribbles par 90 minutes, contre une moyenne de 8,2 lors de ses quatre saisons à Barcelone. Sur le même référentiel, il compte aussi 3,4 contrôles ratés contre 2,3. En revanche, il peine plus à trouver des positions de tir (3,1 contre 3,5).
[2] Le droit de se moquer de son vis-à-vis en effectuant à ses dépens une démonstration de virtuosité n’est toutefois pas acquis à Neymar. Lorsqu’il a réussi une « lambretta » face au Toulousain Corentin Jean, ce dernier n’a pas eu de scrupules à lui passer un message en le retenant manu militari, quitte à recevoir un avertissement. Neymar avait été bien plus secoué après avoir effectué le même geste en finale de la Coupe du roi 2015 face à l’Athlétic Bilbao – essuyant même les critiques de son entraîneur Luis Enrique.