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La publicité sénégalaise à l’heure des images générées par l’IA : Des campagnes locales misant sur l’IA visuelle

Depuis peu, certaines publicités au Sénégal s’appuient sur des visuels créés par intelligence artificielle (IA). En 2024, l’événement sportif Dakar Fight Night 2 a été promu avec une affiche générée par IA, présentée comme la première affiche publicitaire sénégalaise entièrement créée par intelligence artificielle.


Rédigé par leral.net le Mardi 23 Décembre 2025 à 14:45 | | 0 commentaire(s)|

Cette initiative s’inscrit dans une tendance émergente : selon une enquête auprès de professionnels d’Afrique francophone (dont le Sénégal), plus d’un tiers d’entre eux ont déjà utilisé l’IA pour concevoir des visuels d’affichage publicitaire adweknow.com://.

L’attrait pour ces technologies, s’explique par la rapidité et le coût réduit de production visuelle qu’elles permettent, ainsi que par la curiosité d’exploiter de nouveaux outils créatifs. Toutefois, cet engouement soulève un débat sur ses conséquences pour la créativité locale.

Des voix critiques dans le milieu créatif

L’adoption d’images générées par IA dans la publicité, suscite des réactions mitigées chez les professionnels sénégalais de la création. Plusieurs créatifs déplorent une démarche susceptible de marginaliser les talents locaux. « Je ne peux concevoir qu’une marque […] se permette de produire des affiches à l’aide de l’intelligence artificielle. Nous avons des photographes et des créateurs talentueux. En ce sens, je qualifierais cette pratique d’évasion fiscale déguisée », s’indigne par exemple, un plasticien surnommé Mad Pixel lesoleil.sn. ://

Ce point de vue traduit la crainte que les annonceurs, en recourant à l’IA pour leurs visuels, contournent le recours aux photographes, graphistes ou illustrateurs locaux, privant ainsi ces derniers d’opportunités et de revenus. Plusieurs publicitaires soulignent également le paradoxe d’une telle tendance, dans un pays où la créativité est traditionnellement foisonnante : externaliser la conception d’images à des algorithmes, c’est risquer de sacrifier la touche humaine et locale qui faisait la force des campagnes du cru.

Les critiques ne viennent pas seulement des artistes. Du côté du public et des commentateurs, on observe une forme de perplexité face à ces visuels ultra-léchés, mais impersonnels. Si certains saluent l’innovation technique, d’autres regrettent déjà une perte d’authenticité. Sur les réseaux sociaux sénégalais, des discussions émergent autour de publicités où « quelque chose sonne faux » – détails anatomiques étranges, personnages aux sourires figés – signes révélateurs d’images de synthèse. Ces réactions traduisent une méfiance grandissante envers des campagnes jugées déconnectées de la réalité locale.

Perte de créativité locale et risques d’uniformisation

Les détracteurs pointent un danger majeur : la paupérisation de la créativité locale au profit d’images standardisées. « Beaucoup d’entre nous constatons que les productions générées par l’IA manquent d’inspiration, de créativité, de sensibilité et surtout, d’authenticité », avertit le musicien Daniel Gomes [u[lesoleil.sn]]url:http://u.

Transposé au domaine visuel, ce constat laisse craindre des publicités formatées, sans âme, où l’émotion humaine et la culture locale s’effacent. En effet, les images synthétiques sont générées à partir de bases de données globales, souvent dominées par des références occidentales. Il en résulte un risque d’uniformisation des visuels publicitaires : les campagnes pourraient toutes se ressembler, lissées dans un esthétisme international passe-partout, au détriment de la diversité culturelle sénégalaise.

Plus inquiétant encore, l’identité visuelle locale pourrait s’en trouver diluée. L’ADN visuel du Sénégal – ses couleurs, ses décors, ses visages typiques – n’est pas nécessairement bien capté par les algorithmes actuels. « Une préoccupation majeure est le biais des algorithmes, qui peuvent mal représenter la culture sénégalaise », alerte l’expert Thierno Diagne Bâ lesoleil.sn://.

Des images générées sans compréhension du contexte, peuvent véhiculer des stéréotypes inexacts ou ignorer des éléments culturels essentiels. Par exemple, un décor de rue dakaroise généré par IA, pourrait involontairement y intégrer des architectures ou des tenues qui ne correspondent pas à la réalité du pays, créant ainsi un décalage préjudiciable. À terme, cette dépendance aux banques d’images virtuelles pourrait entraîner une perte d’« identité visuelle » nationale, les campagnes locales n’ayant plus de singulier que le logo de la marque.

Quels dangers pour le secteur publicitaire sénégalais ?

Le recours massif aux visuels par IA, pose également la question des conséquences à long terme sur l’écosystème publicitaire du Sénégal. D’un point de vue économique, moins de commandes pour les créatifs locaux signifie potentiellement, une érosion des compétences nationales : les jeunes talents pourraient être découragés d’embrasser les métiers de la photographie ou du design graphique, si le marché valorise davantage les générateurs d’images automatisés.

Sur le plan de la propriété intellectuelle, la pratique est tout aussi controversée – qui détient les droits d’une image conçue par une machine entraînée sur des œuvres existantes ? Ce flou légal inquiète : « Comment s’assurer que les œuvres générées par l’IA respectent les droits des artistes ? Qui est responsable en cas de plagiat involontaire ou d’appropriation culturelle ? », s’interroge le même Mad Pixel, appelant à un débat urgent sur ces enjeux lesoleil.sn://.

Sans cadre, une marque utilisant une image IA risquerait d’exploiter, sans le savoir, un contenu dérivé du travail d’un artiste non crédité – un piège éthique et juridique non négligeable.

Enfin, sur le plan social et identitaire, plusieurs observateurs mettent en garde contre une forme de déshumanisation de la communication. Les campagnes publicitaires, miroir de la société, pourraient perdre leur ancrage local et affectif. L’utilisation d’IA générative dans la pub est perçue par certains, comme un mirage technologique : une illusion esthétique qui flatte le regard, mais vide de sens le message, faute de reflet du vécu et des aspirations du public visé. Dans une tribune au quotidien "Le Soleil", un auteur parle d’« imposture consciente », à propos de ces images trop parfaites, comparant le pouvoir de l’IA à un simulacre capable de remplacer la réalité et de détourner l’âme de la vérité
esoleil.sn:// .

Si le propos est philosophique, il rejoint les craintes terre-à-terre des créatifs : une publicité sans ancrage humain, peut devenir un simple mirage marketing, efficace à court terme, mais délétère pour la richesse culturelle et la confiance du public.

Vers un équilibre entre innovation et authenticité ?

Face à ces critiques, un consensus émerge sur la nécessité de mieux encadrer l’usage de l’IA dans la publicité sénégalaise. Beaucoup appellent à un équilibre : exploiter l’IA comme un outil au service des créateurs, sans en faire une fin en soi. « L’IA n’est qu’un outil, à nous d’y mettre la couleur et la direction », déclarait ainsi l’artiste Alibéta, en évoquant sa propre expérimentation de l’IA dans l’art aps.sn://. .

Appliquée à la publicité, cette philosophie impliquerait de mêler l’apport de la machine et la patte de l’artiste local. Par exemple, une agence pourrait générer des ébauches visuelles via IA, puis les confier à des designers sénégalais, pour les adapter fidèlement aux réalités culturelles et aux sensibilités du public. Cette collaboration homme-machine permettrait de gagner en productivité, sans perdre l’âme créative locale.

D’autres initiatives prônent le développement de modèles IA entraînés localement, intégrant des références africaines afin de réduire les biais culturels. Le Sénégal, conscient de ces enjeux, a d’ailleurs lancé une stratégie nationale pour une “IA éthique et de confiance”, en 2023 lesoleil.sn://. .

L’objectif est de maximiser les bénéfices de l’IA, tout en préservant les valeurs de la société – et cela inclut la sauvegarde de son patrimoine visuel et créatif. À l’heure où les panneaux publicitaires de Dakar commencent à afficher des visages et des décors virtuels, le défi consiste à ne pas perdre de vue, l’humain derrière chaque image. Innover, oui, mais sans renier la créativité sénégalaise, qui fait l’originalité et la force des campagnes de communication du pays.

Ousseynou Wade