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La souveraineté africaine entre rupture et réalignement : missions diplomatiques croisées, trajectoires géopolitiques en miroir (Par KML)

Rédigé par leral.net le Lundi 30 Juin 2025 à 00:20 | | 0 commentaire(s)|

La souveraineté africaine entre rupture et réalignement : missions diplomatiques croisées, trajectoires géopolitiques en miroir (Par KML)

Bamako – Moscou – Dakar – Pékin. Juin 2025 restera gravé dans les annales comme le théâtre d'un ballet diplomatique africain d'une intensité rare. Deux figures politiques, deux capitales stratégiques, deux visions du monde : la visite du Président malien Assimi Goïta à Moscou et celle du Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko à Pékin. Au-delà des apparences, une dynamique commune se dessine : la réaffirmation de la souveraineté, la diversification des alliances et un repositionnement audacieux de l’Afrique sur l’échiquier mondial.

 

Les déplacements croisés de Goïta et Sonko ne sont pas de simples événements anecdotiques ; ils symbolisent un tournant diplomatique majeur. Le Mali, en quête désespérée de sécurité et d'autonomie stratégique face à des menaces persistantes, s'ancre dans une alliance militaire et technologique robuste avec la Russie. De l'autre côté, le Sénégal, soucieux d'asseoir sa souveraineté économique, explore les leviers industriels et numériques qu'offre la Chine. Ces démarches, bien que distinctes dans leurs priorités immédiates, traduisent une volonté partagée et profonde : s'affranchir des chaînes de la dépendance postcoloniale et bâtir un développement véritablement autocentré.

 

Deux trajectoires, une même quête de dignité

 

Comme le disait si justement Patrice Lumumba : «Sans dignité, il n’y a pas de liberté ; sans justice, il n’y a pas de dignité ; et sans indépendance, il n’y a pas d’hommes libres». Cela voulant dire que, le Mali et le Sénégal, malgré leurs approches différentes, partagent cette même posture diplomatique et les logiques d’engagement qui en découlent. En effet, si le Mali a choisi la voie d'une rupture stratégique franche, assumant un désalignement géopolitique qui a secoué les capitales occidentales, le Sénégal, lui, opte pour une reconfiguration progressive, élargissant ses marges de manœuvre sans pour autant rompre brutalement avec ses partenaires historiques. Ces choix, loin d'être contradictoires, reflètent deux styles mais une intuition commune : la souveraineté ne se décrète plus par des discours enflammés, elle se construit méthodiquement et concrètement. Le Général d'Armée Assimi Goïta ne s'y trompe pas quand il affirme que : «L’indépendance ne se proclame pas dans les discours. Elle se construit dans la logistique, dans l’expertise». Pour Ousmane Sonko, si la démarche est plus nuancée, elle n'en est pas moins significative lorsqu'il déclare : «Nous avons eu l’occasion de sensibiliser nos interlocuteurs sur les réalités africaines et les priorités spécifiques du Sénégal».

 

Une souveraineté à géométrie variable : leçons croisées pour l'Afrique

 

Il est fascinant d'observer cette variante comparative : le Mali affirme sa souveraineté par la sécurisation du territoire et une doctrine militaire assumée ; le Sénégal, lui, par l'industrialisation et une diplomatie économique offensive. Le premier désaligne pour exister pleinement sur la scène internationale ; le second élargit son champ d'action pour peser davantage. Ces deux trajectoires, loin d'être des cas isolés, traduisent une même prise de conscience collective : la souveraineté ne sera plus un vain slogan, mais une architecture fonctionnelle et résiliente.

 

Ces initiatives réactivent une diplomatie d'audace, fondée sur une intelligence stratégique aiguisée et une volonté d'interaction horizontale, d'égal à égal. Le Mali, par ses choix radicaux, devient un acteur disruptif dans le Sahel, bousculant les équilibres établis. Le Sénégal, quant à lui, continue de jouer son rôle de médiateur régional, cherchant la stabilisation. Cette dialectique est essentielle et soulève une question fondamentale pour l'avenir du continent : l'Afrique peut-elle enfin inventer ses propres scripts, affranchie des modèles dominants, ou doit-elle se contenter d'incarner la prudence au détriment d'une innovation stratégique pourtant vitale ?

 

Vers une pensée souveraine : l'éclairage de nos intellectuels

 

Pour comprendre la profondeur de ces dynamiques, il est crucial de les inscrire dans une perspective théorique plus large, celle de nos penseurs africains. Achille Mbembe, dans sa "Critique de la raison nègre", appelle à une «décolonisation épistémique» et à une souveraineté du sens, nous rappelant que : «L’Afrique ne doit plus être pensée comme un ailleurs du monde, mais comme son centre de gravité possible». Felwine Sarr, avec son "Afrotopia", plaide pour une «projection endogène du futur», où l'Afrique cesse de courir après des modèles importés pour inventer ses propres horizons, affirmant avec force que : «L’Afrique n’est pas en retard. Elle est ailleurs». Enfin, Samir Amin a longuement théorisé la «déconnexion stratégique» comme condition sine qua non de la souveraineté économique. Pour lui, une intégration bénéfique dans le système mondial ne peut se faire que si elle est maîtrisée, négociée, et jamais subie.

 

Ces figures intellectuelles nous rappellent inlassablement que la souveraineté ne se limite pas aux seuls rapports diplomatiques : elle est aussi épistémique, culturelle, économique et symbolique. Elle implique une capacité intrinsèque à produire du sens, à nommer le monde depuis notre propre réalité, et à inscrire l'action politique dans une vision historique panafricaine.

 

Du constat à la conscience collective : un appel à l'intelligence stratégique

 

Ce récit diplomatique, bien au-delà des cas du Mali et du Sénégal, résonne pour toute l'Afrique. Il nous pousse à interroger notre capacité collective à définir le monde au lieu de le subir passivement. À l'heure où le Sahel, en particulier, vit une recomposition identitaire et stratégique profonde, il est impératif de comparer, de s'inspirer mutuellement sans jamais se soumettre, et de bâtir une conscience panafricaine stratégique. Comme l'a si bien formulé Kwame Nkrumah : «Le socialisme est nécessaire pour rendre à l’Afrique ses principes sociaux humanistes et égalitaires». Et Patrice Lumumba de renchérir : «L’Afrique ne sera jamais libre et indépendante si une partie d’elle reste sous domination étrangère».

 

Ce que nous observons n'est pas un simple tournant conjoncturel ; c'est l'amorce d'une souveraineté intellectuelle, logistique et symbolique en gestation. Ce n'est pas un tournant idéologique au sens strict, mais plutôt un appel vibrant à l'intelligence stratégique partagée pour l'avenir de notre continent.

 

Quelles seront les prochaines étapes dans la voie concrète de co-construction collective de l'entité AES ou de resetting de l'organisation communautaire CEDEAO pour consolider cette nouvelle architecture de la souveraineté africaine dans la dynamique de renaissance culturelle et scientifique - souhaitée de tous ses vœux par le Professeur Cheikh Anta Diop ? Restaurer la conscience historique africaine est une première étape pour «faire basculer l'Afrique sur la pente de son destin fédéral». Car, «pour survivre, les peuples africains feront leur jonction. Un jour ou l'autre la soupape sautera. Pourquoi ne pas conduire le mouvement au lieu de le subir ?».

 

Par Khaly-Moustapha LEYE, politologue, analyste géopolitique

Bamako (Mali-AES)

W.A. (West Africa land)

E-mail : mfdafdaoras21@gmail.com

 




Source : https://www.impact.sn/La-souverainete-africaine-en...