Les médias ont un rôle très important dans la société. Ils contribuent au débat
public et peuvent exercer une influence importante sur la perception que la population se fait d’un sujet donné. Depuis quelques décennies, surtout avec le développement des
Technologies de l’information et de la communication, nous vivons dans un monde
dominé par l’information pour ne pas dire un monde hypermédiatisé.
Les journalises ont un grand rôle à jouer dans ce nouveau monde de l’information. Mais
qu’est-ce qu’un journaliste ?
Le journaliste, c’est un professionnel qui se forge une crédibilité en rapportant des
opinions, des histoires, des rumeurs des faits, etc. dont il tente de vérifier toute la validité
avant de les rapporter au public. De ce point de vue, le travail du journaliste est un travail
noble. Cependant, puisqu’un journaliste travaille pour une entreprise de presse, où
l’information est soumise à un certain nombre de critères, auxquels s’ajoutent ses propres
critères, l’information qu’il cherche à véhiculer, sera des plus subjectives.
En d’autres termes, avant de couvrir un évènement, les journalistes ont déjà leurs
propres opinions sur le sujet. Cette opinion est déjà forgée auparavant par
l’environnement médiatique auquel ils appartiennent. Elle est donc personnelle et va
orienter toute la construction de l’information, où seulement l’information allant dans le
même sens que leur opinion préfabriquée sera retenue. Nous savons tous qu’il est presque
impossible aujourd’hui de parler d’objectivité dans le travail journalistique. Quand les
journalistes choisissent l’orientation de leurs articles et les informations qu’ils cherchent
à relayer, ils prennent déjà position. Ce qui nous amène à poser la question de savoir
jusqu’où va la fiabilité des informations que les journalistes nous livrent quotidiennement
et les conséquences de ces informations sur notre quotidien.
2
Aujourd’hui, avec le développement des TIC et la multiplication des médias
audiovisuels, numériques, de la presse écrite, des médias sociaux etc., un spectacle
nouveau s’est imposé et peu à peu a envahi les foyers sénégalais. À cause de la
concurrence qui existe dans le monde des médias, certains médias sénégalais focalisent
davantage leurs contenus sur le sensationnel, le spectaculaire ou bien même sur
l’extraordinaire, pour attirer le plus de public possible. Or, ce qui est extraordinaire, c’est
ce qui sort de l’ordinaire, c’est-à-dire ce qui n’est pas dans le quotidien des sénégalais, ce
que les familles sénégalaises ne vivent pas tous les jours au sein de leurs foyers. De ce
point de vue, il y a un véritable problème quant aux informations qu’elles reçoivent à la
maison et qui ont un impact sur leur vécu.
Il est difficile de nos jours au Sénégal de passer une journée sans que l’on vous
annonce dans les médias, des cas meurtres conjugaux et partout dans le pays, au point
même que c’est devenu un véritable problème de santé publique. Mais ce que l’on
constate, c’est que depuis que les médias ont commencé à parler de ce phénomène, cela a
pris de l’ampleur alors que tout le monde s’attendait à ce que cela diminue ou même
disparaisse. C’est le contraire qui s’est produit. Ce qui nous amène donc à réfléchir sur la
responsabilité des médias et sur la manière dont les journalistes construisent et véhiculent
les informations autour de ce phénomène qui hante aujourd’hui la vie de beaucoup de
couples sénégalais.
A chaque fois qu’un média sénégalais traite une information sur le sujet, il sait déjà que
cela va attirer l’attention du public et il lui sera très difficile de résister à la tentation de
mettre cela en page UNE.
C’est ce que l’on appelle l’apologie des quatre « S » : le sexe, le show business, le sport
et le sang. Si le sexe, le show business, le sport sont très lucratifs pour les médias
sénégalais, le sang avec tout ce que craint le public, est de loin, le plus lucratif de tous.
Je ne suis pas en train de dire que les médias sénégalais font l’apologie des meurtres
conjugaux pour réussir leurs affaires, mais nous devons reconnaitre aujourd’hui que les
Sénégalais adorent discuter et se renseigner sur tout ce qui leur fait peur : les meurtres
conjugaux, les infanticides, les viols, le terrorisme etc. tout y passe, avec l’intérêt, non
pas de rassurer le public, mais plutôt d’amplifier ce phénomène de peur. Ce qui permet
aux médias de se positionner dans ce monde devenu de plus en plus concurrentiel et il
faut le reconnaitre aussi d’augmenter leurs bénéfices.
Nous avons tous notre propre opinion sur ce fait social barbare que représentent
les meurtres conjugaux tout comme les infanticides dans le pays. Mais, contrairement à
l’opinion que nous nous sommes forgés, ce sont les informations médiatiques qui forgent
notre opinion. Je ne dis pas non plus que les médias ne doivent pas informer les
populations sur les évènements qui se passent dans le pays, mais ils doivent aussi, par
souci de ne pas consciemment ou inconsciemment faire l’apologie de ces meurtres, être
plus vigilants sur la façon de traiter et de véhiculer l’information.
Lorsque le phénomène des meurtres conjugaux est évoqué dans les médias
sénégalais, la plupart des intervenants tentent de l’expliquer d’une manière très simpliste
en évoquant la polygamie, la jalousie ou même des problèmes de santé mentale, sans
pour autant chercher à comprendre les véritables raisons de ces crimes.
Par exemple, lors dans une émission de télévision sénégalaise, une personne
évoquant le cas de l’homme qui a tué sa femme, se permettant de dire par la suite que peut-
être le meurtrier n’était pas conscient au moment des faits. Sur un autre cas plus récent,
celui de la mort de Khadim Ndiaye, brulé vif par son épouse Aida Mbacké enceinte au
moment des faits, un meurtre que beaucoup de médias ont qualifié de crise de jalousie
alors même que l’enquête est en cours. Il n’y a rien de plus dangereux que de tenir de tels
propos dans des émissions de télévision que beaucoup de Sénégalais regardent.
Nous vivons dans un monde hypermédiatisé, un monde où les informations
proviennent de partout et de manière spontanée. De ce fait, la plupart des gens n’ont pas
le temps ou même ne prennent pas la peine de vérifier si les informations que nous
transmettent les médias, sont avérées ou pas, s’il n’y a pas eu de déformation des faits, de
manipulation d’information. A défaut de pouvoir expérimenter nous-mêmes, nous
transposons systématiquement l’expérimentation des médias pour en faire la nôtre.
Ainsi, notre perception de la réalité sociale est beaucoup plus celle des médias, que la
nôtre et c’est à partir de ce moment que les dérives les plus fatales peuvent survenir
partout dans le pays.
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Nous reconnaissons tous le rôle des médias dans la société sénégalaise et dans la
construction de notre démocratie, mais n’oublions pas que sans les médias, il n’y aurait
pas eu de guerre en Irak, il n’y aurait pas eu de génocide au Rwanda, il n’y aurait pas eu
de conflits dans beaucoup de pays.
Cette capacité des médias à provoquer des évènements tragiques a été largement
reconnue par les tribunaux de Nuremberg et de La Haye. Les juges n’ont pas hésité à
condamner plusieurs journalistes et directeurs de médias pour crime contre l’humanité,
dans le cadre des génocides juifs et tutsis, alors qu’ils n’ont tué personne de leurs propres
mains, mais tenu des propos qui ont généré des passions meurtrières.
Si les médias ont été capables de provoquer des évènements aussi tragiques et
meurtriers, imaginez ce que le système médiatique sénégalais est capable de faire sur le
traitement des meurtres conjugaux, si des mesures strictes ne sont pas prises le plus
rapidement possible.
Dans tous les pays où certains événements ont été hypermédiatisés, cela a fini par
amplifier les choses au lieu de les atténuer. Par exemple, aux États-Unis, c’est lorsque les
médias ont commencé à beaucoup parler du phénomène de la pédophilie, que le
phénomène a pris de l’ampleur. Ce simple exemple doit nous appeler de manière urgente,
à réfléchir sur la façon dont les médias sénégalais doivent traiter le phénomène des
meurtres conjugaux, sans pour autant prendre « inconsciemment » le risque de faire
l’apologie de ce crime barbare.
Dr. Demba SECK
Sociologue des médias et des TIC
Chercheur à la chaire de recherche sur les enjeux socioculturels du numérique en
éducation
Université du Québec à Montréal/Canada
public et peuvent exercer une influence importante sur la perception que la population se fait d’un sujet donné. Depuis quelques décennies, surtout avec le développement des
Technologies de l’information et de la communication, nous vivons dans un monde
dominé par l’information pour ne pas dire un monde hypermédiatisé.
Les journalises ont un grand rôle à jouer dans ce nouveau monde de l’information. Mais
qu’est-ce qu’un journaliste ?
Le journaliste, c’est un professionnel qui se forge une crédibilité en rapportant des
opinions, des histoires, des rumeurs des faits, etc. dont il tente de vérifier toute la validité
avant de les rapporter au public. De ce point de vue, le travail du journaliste est un travail
noble. Cependant, puisqu’un journaliste travaille pour une entreprise de presse, où
l’information est soumise à un certain nombre de critères, auxquels s’ajoutent ses propres
critères, l’information qu’il cherche à véhiculer, sera des plus subjectives.
En d’autres termes, avant de couvrir un évènement, les journalistes ont déjà leurs
propres opinions sur le sujet. Cette opinion est déjà forgée auparavant par
l’environnement médiatique auquel ils appartiennent. Elle est donc personnelle et va
orienter toute la construction de l’information, où seulement l’information allant dans le
même sens que leur opinion préfabriquée sera retenue. Nous savons tous qu’il est presque
impossible aujourd’hui de parler d’objectivité dans le travail journalistique. Quand les
journalistes choisissent l’orientation de leurs articles et les informations qu’ils cherchent
à relayer, ils prennent déjà position. Ce qui nous amène à poser la question de savoir
jusqu’où va la fiabilité des informations que les journalistes nous livrent quotidiennement
et les conséquences de ces informations sur notre quotidien.
2
Aujourd’hui, avec le développement des TIC et la multiplication des médias
audiovisuels, numériques, de la presse écrite, des médias sociaux etc., un spectacle
nouveau s’est imposé et peu à peu a envahi les foyers sénégalais. À cause de la
concurrence qui existe dans le monde des médias, certains médias sénégalais focalisent
davantage leurs contenus sur le sensationnel, le spectaculaire ou bien même sur
l’extraordinaire, pour attirer le plus de public possible. Or, ce qui est extraordinaire, c’est
ce qui sort de l’ordinaire, c’est-à-dire ce qui n’est pas dans le quotidien des sénégalais, ce
que les familles sénégalaises ne vivent pas tous les jours au sein de leurs foyers. De ce
point de vue, il y a un véritable problème quant aux informations qu’elles reçoivent à la
maison et qui ont un impact sur leur vécu.
Il est difficile de nos jours au Sénégal de passer une journée sans que l’on vous
annonce dans les médias, des cas meurtres conjugaux et partout dans le pays, au point
même que c’est devenu un véritable problème de santé publique. Mais ce que l’on
constate, c’est que depuis que les médias ont commencé à parler de ce phénomène, cela a
pris de l’ampleur alors que tout le monde s’attendait à ce que cela diminue ou même
disparaisse. C’est le contraire qui s’est produit. Ce qui nous amène donc à réfléchir sur la
responsabilité des médias et sur la manière dont les journalistes construisent et véhiculent
les informations autour de ce phénomène qui hante aujourd’hui la vie de beaucoup de
couples sénégalais.
A chaque fois qu’un média sénégalais traite une information sur le sujet, il sait déjà que
cela va attirer l’attention du public et il lui sera très difficile de résister à la tentation de
mettre cela en page UNE.
C’est ce que l’on appelle l’apologie des quatre « S » : le sexe, le show business, le sport
et le sang. Si le sexe, le show business, le sport sont très lucratifs pour les médias
sénégalais, le sang avec tout ce que craint le public, est de loin, le plus lucratif de tous.
Je ne suis pas en train de dire que les médias sénégalais font l’apologie des meurtres
conjugaux pour réussir leurs affaires, mais nous devons reconnaitre aujourd’hui que les
Sénégalais adorent discuter et se renseigner sur tout ce qui leur fait peur : les meurtres
conjugaux, les infanticides, les viols, le terrorisme etc. tout y passe, avec l’intérêt, non
pas de rassurer le public, mais plutôt d’amplifier ce phénomène de peur. Ce qui permet
aux médias de se positionner dans ce monde devenu de plus en plus concurrentiel et il
faut le reconnaitre aussi d’augmenter leurs bénéfices.
Nous avons tous notre propre opinion sur ce fait social barbare que représentent
les meurtres conjugaux tout comme les infanticides dans le pays. Mais, contrairement à
l’opinion que nous nous sommes forgés, ce sont les informations médiatiques qui forgent
notre opinion. Je ne dis pas non plus que les médias ne doivent pas informer les
populations sur les évènements qui se passent dans le pays, mais ils doivent aussi, par
souci de ne pas consciemment ou inconsciemment faire l’apologie de ces meurtres, être
plus vigilants sur la façon de traiter et de véhiculer l’information.
Lorsque le phénomène des meurtres conjugaux est évoqué dans les médias
sénégalais, la plupart des intervenants tentent de l’expliquer d’une manière très simpliste
en évoquant la polygamie, la jalousie ou même des problèmes de santé mentale, sans
pour autant chercher à comprendre les véritables raisons de ces crimes.
Par exemple, lors dans une émission de télévision sénégalaise, une personne
évoquant le cas de l’homme qui a tué sa femme, se permettant de dire par la suite que peut-
être le meurtrier n’était pas conscient au moment des faits. Sur un autre cas plus récent,
celui de la mort de Khadim Ndiaye, brulé vif par son épouse Aida Mbacké enceinte au
moment des faits, un meurtre que beaucoup de médias ont qualifié de crise de jalousie
alors même que l’enquête est en cours. Il n’y a rien de plus dangereux que de tenir de tels
propos dans des émissions de télévision que beaucoup de Sénégalais regardent.
Nous vivons dans un monde hypermédiatisé, un monde où les informations
proviennent de partout et de manière spontanée. De ce fait, la plupart des gens n’ont pas
le temps ou même ne prennent pas la peine de vérifier si les informations que nous
transmettent les médias, sont avérées ou pas, s’il n’y a pas eu de déformation des faits, de
manipulation d’information. A défaut de pouvoir expérimenter nous-mêmes, nous
transposons systématiquement l’expérimentation des médias pour en faire la nôtre.
Ainsi, notre perception de la réalité sociale est beaucoup plus celle des médias, que la
nôtre et c’est à partir de ce moment que les dérives les plus fatales peuvent survenir
partout dans le pays.
4
Nous reconnaissons tous le rôle des médias dans la société sénégalaise et dans la
construction de notre démocratie, mais n’oublions pas que sans les médias, il n’y aurait
pas eu de guerre en Irak, il n’y aurait pas eu de génocide au Rwanda, il n’y aurait pas eu
de conflits dans beaucoup de pays.
Cette capacité des médias à provoquer des évènements tragiques a été largement
reconnue par les tribunaux de Nuremberg et de La Haye. Les juges n’ont pas hésité à
condamner plusieurs journalistes et directeurs de médias pour crime contre l’humanité,
dans le cadre des génocides juifs et tutsis, alors qu’ils n’ont tué personne de leurs propres
mains, mais tenu des propos qui ont généré des passions meurtrières.
Si les médias ont été capables de provoquer des évènements aussi tragiques et
meurtriers, imaginez ce que le système médiatique sénégalais est capable de faire sur le
traitement des meurtres conjugaux, si des mesures strictes ne sont pas prises le plus
rapidement possible.
Dans tous les pays où certains événements ont été hypermédiatisés, cela a fini par
amplifier les choses au lieu de les atténuer. Par exemple, aux États-Unis, c’est lorsque les
médias ont commencé à beaucoup parler du phénomène de la pédophilie, que le
phénomène a pris de l’ampleur. Ce simple exemple doit nous appeler de manière urgente,
à réfléchir sur la façon dont les médias sénégalais doivent traiter le phénomène des
meurtres conjugaux, sans pour autant prendre « inconsciemment » le risque de faire
l’apologie de ce crime barbare.
Dr. Demba SECK
Sociologue des médias et des TIC
Chercheur à la chaire de recherche sur les enjeux socioculturels du numérique en
éducation
Université du Québec à Montréal/Canada