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Morts non identifiés: Les anonymes de la morgue

Rédigé par leral.net le Mardi 7 Décembre 2021 à 17:27 | | 0 commentaire(s)|

À la morgue, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Certains cadavres sont dans l’infortune de l’anonymat, dans « l’ombre » des tiroirs frigorifiques. On les appelle les « corps inconnus » jusqu’à ce qu’ils soient identifiés. Ou peut-être jamais ! Ce sont des accidentés de la route, des malades mentaux, des nouveau-nés, des sans domicile fixe…Et bien d’autres individus qui ont probablement perdu leurs attaches. Soleil...


Ils sont les « inconnus de la morgue » ; des corps inertes comme d’autres. Ou presque ! Ces « inconnus » sont des accidentés de la route, du travail ou encore des sans domicile fixe, des « âmes » errantes de leur vivant. Les morgues en reçoivent souvent, les nécropoles aussi.

Ibrahima Diassy, gestionnaire du cimetière musulman de Yoff, a blanchi sous le harnais. Cet univers macabre, il l’explore depuis des lustres. Il en dit ceci : « On appelle ces corps des « inconnus » bien que certains finissent par être identifiés ». Assis à son bureau, teint noir, cheveux bien peignés, M. Diassy souligne que ce sont souvent des accidentés de la route, des malades mentaux dont on n’arrive pas à retrouver les proches. « Quand il y a un cas, en général ce sont les sapeurs-pompiers qui les acheminent vers les morgues des hôpitaux où chaque établissement dispose d’un délai de conservation avant leur inhumation», ajoute-t-il.

Sous l’ombre d’un arbre devant la morgue en réfection, le gestionnaire Sana Bodian révèle que les inconnus « bébés » sont les cas les plus fréquents qu’il rencontre. « Je vois souvent des mort-nés abandonnés, des bébés issus de grossesses non désirées. Mais il y a également d’autres plus âgés », déclare l’homme en service depuis deux ans à l’hôpital Abass Ndao. Dans son uniforme bleu foncé, Bodian dit n’avoir pas oublié le jour où il a reçu « un corps sans vie ». Il s’agissait d’un homme âgé d’une quarantaine d’années, un inconnu. « C’était une matinée, des hommes du marché Sahm l’ont acheminé vers notre morgue. Venu retirer de l’argent à la banque, il a piqué une crise avant de rendre l’âme. Je n’ai toujours pas vu ses proches. Ces cas sont classés dans le registre des inconnus ».

État de décomposition

Il est fréquent de voir des insertions dans la presse y ayant trait, comme celle datant de juillet 2012 faite par l’hôpital Principal de Dakar : « Un homme âgé de 20 ans environ, de teint un peu clair, de grande taille et de forte corpulence a été admis au service des urgences de l’hôpital Principal de Dakar […]. Toute personne pouvant aider à retrouver ses parents est priée de prendre contact avec l’hôpital […] ». Récemment, dans les colonnes du quotidien « Enquête » du 25 février 2021, une annonce immortalisait le visage d’un défunt suivi de ces mots : « La personne est décédée à l’hôpital de Fann le mercredi 24 février 2021 à 14h30mn. Elle s’était présentée le même jour. L’homme est âgé de 70 ans. Prendre contact avec la morgue de l’hôpital ».

Mais l’identification de ces inconnus n’est pas toujours évidente. En 2011, le journal « Le Quotidien » écrivait qu’« un jour, à la suite d’un communiqué paru dans la presse, des parents se sont manifestés et sont venus jusqu’à la morgue pour identifier le corps. Mais une fois sur place, ils étaient moins sûrs. Le frère était incapablede le reconnaître car cela faisait longtemps qu’il ne l’avait pas vu. Charge-t-il ainsi son oncle de venir l’identifier. Mais, ils ne sont jamais revenus ».

Selon le docteur Mouhamed Chérif Dial, médecin pathologiste à l’Hôpital général Idrissa Pouye (Hogip), certains « inconnus » peuvent se présenter dans un état de dégradation ou de décomposition avancée, ou déchiquetés parfois par un long passage dans l’eau. S’ouvre ainsi le cycle de l’anonymat post mortem.

Des cadavres identifiés après l’enterrement

Au Sénégal, la durée de dépôt légal d’un corps dans une morgue d’hôpital est de 45 jours. Passé ce délai, l’hôpital entame une procédure d’inhumation de ces « corps inconnus ». Le permis d’inhumation est nécessaire pour enterrer un corps au Sénégal. Dans les termes de l’article 74 du Code de la famille, il est stipulé : « Dans les communes et les chefs-lieux d’arrondissement, aucune inhumation n’est faite sans un permis d’inhumer délivré sur papier libre et sans frais par l’officier de l’état civil. Celui-ci ne peut le délivrer que sur production d’un certificat médical constatant le décès ou après s’être transporté auprès du défunt pour s’assurer du décès ».

Une fois le permis d’inhumation délivré, les morgues des hôpitaux préparent les corps des « inconnus » et les acheminent vers les cimetières. Celui de Yoff en reçoit souvent, selon le gestionnaire des lieux. « Quand on m’amène un corps accompagné d’un permis d’inhumation du procureur ou d’un officier, j’autorise son enterrement. Nous représentons un des principaux lieux d’inhumation de ces types de corps (les inconnus). Parfois, c’est après l’enterrement que l’identification de l’inconnu se fait », précise Ibrahima Diassy, en service au cimetière de Yoff depuis 2003.

Au cimetière catholique de Saint-Lazard, le gestionnaire Habib Sagna en dit ceci : « Bien qu’il soit inconnu, on l’enterre sur la présentation d’un permis d’inhumer en bonne et due forme ». Les cimetières catholiques de Saint-Lazard et musulman de Yoff accueillent des corps inconnus provenant des hôpitaux de Dakar. En service depuis 2013, M. Sagna renseigne qu’« il y a six mois, on y a amené deux corps, un Nigérian et un Ghanéen. On ne connaissait pas leurs proches avant mais ceux qui les ont acheminés ont présenté leurs permis pour que l’enterrement soit possible. Heureusement, quelques mois après, ils ont pu être identifiés ».

.Des fosses communes aux espaces dédiés

S’agissant de l’enterrement de ces « inconnus », Ibrahima Diassy, gestionnaire du cimetière de Yoff, indique qu’« au début, on les enterrait dans des fosses communes. Leur enterrement n’était pas aussi organisé qu’aujourd’hui ». Les épitaphes de ces inconnus portent parfois leurs noms, délivrés par la morgue de l’hôpital. Certains n’ont que des numéros en attendant qu’ils soient identifiés par les proches. Au cimetière de Yoff, un espace leur est dédié.

1101 corps d’inconnus enterrés depuis 2012 entre Dakar, Thiès et Diourbel

Des volontaires s’activent pour l’inhumation des « inconnus ». C’est le cas de l’Association pour la perfection et la miséricorde (Apm) qui s’en occupe depuis 2012. Lamine Mandiang en est le secrétaire général. Il révèle que dans les régions de Dakar, de Thiès et de Diourbel, 1101 corps inconnus ont été inhumés et enterrés par l’association musulmane depuis 2012. M. Mandiang estime que « nous avons tous droit à une sépulture honorable ».