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QUAND LE PATRIOTISME FLIRTE AVEC LE FASCISME

Rédigé par leral.net le Vendredi 31 Octobre 2025 à 23:50 | | 0 commentaire(s)|

EXCLUSIF SENEPLUS - Quand la colère du peuple sur qui s’exerce le pouvoir n’a plus d’espérance ; quand la jeunesse cherche la fierté nationale plus qu’un destin, le terrain devient fertile aux marchands de haine et de vérités alternatives

Né au Sénégal, à Thiès, ville insoumise et de culture, et aujourd’hui vivant en France, ayant eu la chance de parcourir plusieurs aires géographiques et d’observer la diversité des peuples, je me considère comme un internationaliste, marqué à gauche au sens de Léon Blum, c’est-à-dire fidèle à l’idéal d’égalité et de dignité humaine.

Je suis profondément ouvert aux vents féconds du monde. J’ai appris, au contact des continents et des hommes, à me méfier des mots chargés d’émotion, surtout lorsqu’ils prétendent unir. Car les mots qui rassemblent trop vite cachent souvent ceux qu’ils excluent. Le mot « patriote », par exemple, m’inspire une vigilance. Car les mots qui enflammes les foules portent parfois le germe du pire.

Le patriotisme, une passion à double tranchant

Derrière le mot « patriote », il y a souvent la main qui exclut au nom de la vertu, la voix qui ordonne au nom de l’amour, la peur qui se déguise en fierté. Ce mot qu’on voudrait noble a trop souvent servi à justifier l’exclusion, la haine, la domination. Il fut l’étendard des empires coloniaux, le cri des dictatures, la chanson des foules dociles. Sous couvert « d’aimer son pays », on a appris à détester les autres. Sous prétexte de défendre la patrie, on a censuré des journalistes et emprisonné des consciences.

Le Sénégal de Léopold Sédar Senghor, de Samir Abourizk, de Germaine Acogny, de Baba Maal ; cette terre de brassage où le sable du Sahel rencontre la houle atlantique, où les peuples, les langues et les croyances ont su cohabiter sans se nier, incarne cette complexité du sentiment national.

Pendant longtemps, « patriote » n’y était pas un mot figé : il était en mouvement. Il respirait dans la téranga, se chantait en pulaar, en wolof, en mandingue. Il était pluriel, vivant, métissé de nos différences politiques.

Mais c’est justement parce que j’aime ce pays de mes premières émotions que je me méfie de celles et ceux qui invoquent à tout bout d champ le mot « patriote » pour mieux exclure, vouer aux gémonies. Dans la bouche de ces gens, le mot « patriote » ne rassemble plus. Il trie, accuse, caricature. Il transforme la fraternité en frontière. Il est inscrit dans une vision manichéenne.

Quand l’amour de la patrie devient instrument de domination

L’histoire du monde, nous l’a enseigné avec brutalité : le patriotisme devient dangereux lorsqu’il glisse vers le culte du chef, la haine de l’autre et toutes les passions tristes qui nous habitent. De l’Europe fasciste des années 1930 aux régimes autoritaires d’Afrique, la dérive a toujours commencé par les mêmes mots : fierté, souveraineté, etc.

Des mots apparemment inoffensifs, mais lourds de menaces lorsqu’ils deviennent des armes pour faire taire. Derrière ces mots, la pensée est souvent amputée, la critique criminalisée et la lucidité marginalisée. Car les tyrans, eux aussi se drapent dans le drapeau de la souveraineté nationale. Les bourreaux, eux aussi, se disent patriotes.

Aujourd’hui, le danger prend d’autres visages. Sous toutes les latitudes, on assiste à la montée d’un fascisme sans uniforme, d’un autoritarisme qui emprunte au populisme sa ferveur et au capitalisme néolibéral sa froideur.

Les dirigeants qui se proclament patriotes flattent souvent les instincts nationaux tout en livrant les peuples à la prédation économique. Ils parlent de souveraineté tout en sollicitant l’aide au développement en catimini, dans le dos du « peuple patriote ». Ils promettent la dignité tout en étouffant les libertés. En Afrique, certains gouvernements reprennent les accents du patriotisme révolutionnaire pour mieux justifier leurs relents autoritaires. On invoque la « nation » contre l’Occident, mais on la trahit en muselant la presse, en emprisonnant les voix discordantes et en faisant taire les corps intermédiaires. Le drapeau souverainiste devient un paravent derrière lequel prospère les passions tristes. C’est le cas d’un pays situé au bord de l’océan Atlantique.

Le fascisme commence par les mots

Le fascisme n’est pas d’abord un régime politique : c’est une langue. Une manière de parler, de penser, de nommer le monde sans prendre en compte les complexités qu’il charrie, à l’aune de notre finitude. Il naît de la peur, se nourrit du ressentiment et prospère sur la paresse intellectuelle et morale. Il commence toujours par la parole : celle qui simplifie le réel, oppose « eux » et « nous », les bons contre les méchants, les patriotes contre les traîtres. Puis viennent la stigmatisation la désignation de l’ennemi intérieur et l’appel à l’ordre.

Quand la colère du peuple sur qui s’exerce le pouvoir n’a plus d’espérance ; quand la jeunesse cherche la fierté nationale plus qu’un destin, le terrain devient fertile aux marchands de haine et de vérités alternatives. Les démagogues surgissent, promettent monts et merveilles. Ils disent aimer la patrie, mais n’aiment qu’eux-mêmes à travers elle. Et ainsi, sous le vernis de l’amour, s’installe la haine. Que sous le nom de la patrie, on enterre la liberté d’expression et de la presse. Cette mécanique n’est pas abstraite. Elle travaille déjà la société sénégalaise. La suspicion envers la critique, le refus du désaccord, tout cela trahit une tentation autoritaire. Et le fascisme, ici comme ailleurs, avance masqué, le tout drapé dans la rhétorique du patriotisme, parfumé de morale et sanctifié par la peur.

A ce propos, Françoise Giroud avertissait sur ce monstre à travers ces mots : « Ainsi commence le fascisme. Il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte, quand il montre le bout de son nez, on dit : C'est lui ? Vous croyez ? Il ne faut rien exagérer ! Et puis un jour on le prend dans la gueule et il est trop tard pour l'expulser. »

Partant, le fascisme est une politique du ressentiment, une économie du désespoir. Il transforme la misère en colère, la colère en haine, la haine en identité.

Le courage de désobéir

Je refuse ce piège. Autrement dit, je refuse ce patriotisme de façade, cette liturgie du drapeau souverainiste qui transforme l’esprit critique en discipline de caserne. Mon patriotisme à moi ne se mesure pas à la ferveur du chant national, mais au respect des différences, à la dignité de chacun due à sa simple humanité. Il se reconnait dans l’école qu’on ouvre, non dans le slogan creux qu’on répète ; dans le pain qu’on partage, non dans la haine qu’on agite. Il s’enracine dans la téranga, cette hospitalité profonde qui n’est pas faiblesse, mais courage et altérité.

Pour le dire autrement, il s’imprègne de la philosophie de l’Ubuntu, telle qu’elle nous est enseignée par l’érudit Souleymane Bachir - l’enfant de Saint-Louis. Mon patriotisme trouve son prolongement dans ces mots : « Je suis parce que nous sommes. »

Pour un Sénégal debout et ouvert 

Oui, je suis Sénégalais, mais je regarde le monde sans trembler, j’accueille la différence et je fais de la diversité une force et non une faille. Aimer son pays, ce n’est pas le sanctifier. C’est au contraire le regarder en face, avec lucidité et exigence. Je pense que c’est vouloir le sauver de lui-même, de ses propres démons. Comme le disait brillamment François Mitterrand : « Quand on aime son pays, on le regarde et on ose le critiquer. »

Le Sénégal n’a pas besoin de patriotes qui crient plus fort que les autres, déshumanisent leurs adversaires politiques. Le pays de Mati Diop a besoin de consciences éveillées, de citoyens lucides, de femmes et d’hommes capables de dire non à l’injustice et à l’arbitraire, non aux passions tristes.

A l’aune de ma petite expérience humaine, aimer son pays, c’est vouloir qu’il tienne debout, non contre les autres, mais avec eux. C’est protéger, la démocratie, la liberté d’expression garantie par la Constitution comme on protège un feu fragile dans la nuit, en se souvenant que ce feu n’appartient à personne et qu’il éclaire pour tous.

Alors si aimer le Sénégal, c’est le vouloir grand, humaniste, juste et ouvert aux vents féconds du monde ; si aimer le Sénégal, c’est refuser toutes les frontières de la haine, de la division et de la déshumanisation ; si aimer le Sénégal c’est le voir à la hauteur de ses idéaux, de sa promesse, de ses valeurs inscrites dans notre devise et chantées dans notre hymne national ; si aimer le Sénégal s’inscrit dans l’idéal républicain et humaniste, alors oui, je suis patriote.

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Farid


Source : https://www.seneplus.com/politique/quand-le-patrio...