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Rédigé par leral.net le Mercredi 11 Janvier 2012 à 12:18 | | 0 commentaire(s)|

Après l’adoption d’une petite Constitution provisoire en Tunisie et la formation du gouvernement, la coalition formée par Ennahdha, le Congrès pour la République et Ettakatol peut enfin se mettre au travail. Mais l’enchevêtrement des prérogatives pourrait lui compliquer la tâche.

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Sidi Bouzid, le 17 décembre 2011. À la cérémonie marquant le premier anniversaire du déclenchement de la révolution tunisienne par l’immolation de Mohamed Bouazizi, il n’y avait ni portrait du nouveau chef de l’État ni slogan à sa gloire. Signe que l’ère du leader tout-puissant est bel et bien révolue, il n’y avait pas un seul « président » à la tribune officielle, mais trois, côte à côte : Moncef Marzouki, président de la République ; Mustapha Ben Jaafar, président de l’Assemblée nationale constituante (ANC) ; et Hamadi Jebali, président (c’est l’expression en arabe) du gouvernement. Un protocole conforme à l’esprit de la coalition formée après les élections du 23 octobre par leurs partis respectifs – le Congrès pour la République (CPR, gauche nationaliste), Ettakatol (gauche) et Ennahdha (islamiste) –, et qui traduit l’équilibre voulu par la « petite Constitution » provisoire organisant les pouvoirs publics et adoptée par l’ANC, seule et ultime dépositaire de la souveraineté populaire. Aux termes de cette miniloi fondamentale temporaire, les deux chefs de l’exécutif, Marzouki et Jebali, sont tenus d’agir de concert, sous le contrôle de l’ANC. Un système original mais qui n’en a pas moins soulevé des critiques.

atives des trois triumvirs sont tellement enchevêtrées que les ténors de l’opposition, après avoir reproché à l’ANC de n’avoir pas conféré au chef de l’État suffisamment de pouvoir, se sont mis à relever tout ce qui, à leurs yeux, constitue de sa part des « empiètements » sur les attributions du gouvernement. Il est vrai que le nouveau président a surpris tout le monde par un départ en trombe, pendant que Jebali planchait sur la composition du gouvernement. Lors de sa première semaine à la magistrature suprême, Marzouki s’est ainsi rendu, en toute discrétion, dans plusieurs villes du pays pour visiter des familles de martyrs (sur les tombes desquels il s’est recueilli) et des blessés de la révolution, ou pour saluer de vieux militants anti-Ben Ali qui ne pouvaient plus se déplacer ; mais cela, nul ne peut le lui reprocher. Il a reçu successivement, en l’absence de Jebali, les membres du Conseil supérieur des armées et ceux du Conseil supérieur des forces de sécurité intérieure, mais aussi les représentants de l’opposition, du patronat et de la principale centrale syndicale, appelant à une trêve sociale et politique de six mois afin de favoriser la relance de l’économie. Il a également annoncé que les « palais », hormis celui de Carthage, seraient vendus aux enchères et que l’argent récolté serait versé dans un fonds pour l’emploi.

En matière de politique étrangère, Marzouki a manqué à deux reprises au devoir de réserve auquel est traditionnellement tenu un chef de l’État. La première fois en qualifiant, dans les colonnes du JDD (daté du 18 décembre), de « considérations culturalistes » les propos de l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine, alors que celui-ci, peu suspect de racisme, n’avait fait que déclarer que la France devait s’abstenir de prendre parti pour l’une des chapelles tunisiennes rivales. Sa seconde imprudence a été sa présence, le 19 décembre, au congrès du Conseil national syrien (opposition), qui s’est tenu à Tunis avec sa bénédiction et où il a appelé Bachar al-Assad à s’exiler en Russie.

Complémentarité

Autre couac, plus compréhensible celui-là : l’hommage qu’il a rendu à l’armée pour avoir défendu la révolution et assuré la sécurité du pays… en omettant de citer le rôle des forces de l’ordre. Il se reprendra plus tard en expliquant, avec son franc-parler coutumier, qu’il avait tellement souffert de la police sous Ben Ali qu’il en a gardé, dans son inconscient, une mauvaise image, reconnaissant qu’elle méritait aussi d’être saluée.

Le triumvirat Marzouki-Jebali-Ben Jaafar et le gouvernement ont manifestement encore beaucoup à apprendre. C’est la première coalition au pouvoir dans l’histoire de la Tunisie, après plus d’un demi-siècle de culture du parti unique. La dictature a été remplacée par un système où c’est l’ANC qui gouverne et délègue à chacune des composantes du triumvirat des attributions exécutives, souvent partagées. Ce qui ne constitue pas un problème pour Marzouki. « Les prérogatives, estime-t-il, ce n’est pas le plus important. […] Nous sommes capables de nous asseoir autour d’une table, de discuter et de déterminer ensemble le sort du pays. C’est cela le miracle tunisien. Il faut aussi une concertation avec l’opposition pour trouver ensemble des solutions aux problèmes économiques et sociaux, et résoudre la question du chômage. » S’il est un argument permettant d’accorder un préjugé favorable aux triumvirs, c’est celui de leur complémentarité : Marzouki incarne la conception militante de l’exercice du pouvoir, Jebali le pragmatisme islamiste et Ben Jaafar l’indispensable pondération.

Dans ces conditions, il est difficile d’imaginer que la coalition puisse être menacée d’éclatement de l’intérieur d’ici à la fin de 2012. Les trois alliés ont appris à se connaître pendant les « années de braise » et sont d’accord sur les grandes lignes de la politique gouvernementale, tout en laissant à chacun sa liberté durant les débats à venir sur la future Constitution. Seul danger potentiel : la poursuite des sit-in, manifestations et autres grèves qui aggraveraient un peu plus la situation économique et sociale et auraient des prolongements sécuritaires par définition imprévisibles.


Abdelaziz Barrouhi, à Tunis
Jeune Afrique