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1983-2008 - Histoire du troc nébuleux d’un avion de la marine nationale : Vol arme d'un coucou

Un avion tout neuf, acquis grâce à la coopération canadienne, pour le compte de la Marine nationale, a été troqué par l’armée de l’Air, contre un vieux coucou peu adapté aux missions qui lui étaient assignées, et pas en état de voler. Après une embardée sur la piste de l’aéroport de Dakar, l’avion, un Pilatus Britten, a été déclassé sur l’aérodrome militaire de Dakar. Entre temps, la hiérarchie militaire a pris le temps de faire payer cette panne à deux militaires, dont la plus grande faute avait été, en son temps, de s’opposer à l’échange qu’ils jugeaient préjudiciable pour les intérêts du pays. Dans toute cette histoire, il ne manque malheureusement qu’un commentaire officiel de la hiérarchie militaire, ou des autorités civiles.


Rédigé par leral.net le Vendredi 6 Février 2009 à 18:29 | | 0 commentaire(s)|

1983-2008 - Histoire du troc nébuleux d’un avion de la marine nationale : Vol arme d'un coucou
C’est un exploit de plus à mettre à l’actif de la vaillante Armée de l’air sénégalaise. Leur prouesse a consisté à se défaire d’un avion de qualité, pour l’échanger contre un vieux coucou, bon à rien d’autre qu’à placer dans un hangar de l’aérodrome militaire de Dakar. L’Armée de l’air sénégalaise a troqué un Twin Otter sorti des usines canadienne de la compagnie De Havilland, contre un vieux Pilatus Britten Norman décati, ramassé, quasiment, au Luxembourg, et bon pour la casse. Cette histoire a connu son épilogue (provisoire ?), en septembre de l’année dernière, avec la relaxe de deux officiers subalternes, à qui on reprochait, entre autres, d’avoir voulu attirer l’attention de leur hiérarchie sur cette inconséquence.

PROLOGUE PROMETTEUR
L’histoire commence en 1983, lorsque la Marine du Sénégal reçoit du Canada, un avion Twin Otter tout neuf, destiné à la surveillance côtière. Dans le cadre d’un protocole destiné à promouvoir ce que l’on appelle, une pêche responsable et durable, le gouvernement a signé, avec l’Agence canadienne pour le développement international (Acdi), un accord pour l’acquisition d’un aéronef de surveillance des côtes allant de la Mauritanie à la Sierra Leone, en passant par le Sénégal et les deux Guinées. L’avion a été fabriqué en deux exemplaires, l’autre étant destiné aux services de la marine du Bengladesh.
La Marine sénégalaise n’étant pas équipée pour piloter l’appareil, ni a fortiori, assurer son entretien, un accord a été trouvé avec l’Armée de l’air qui devait en assurer la gestion, sous le contrôle des services de la Marine. C’est ainsi que la Marine programmait des sorties, qui étaient effectuées par des pilotes de l’air, avec l’avion. L’entretien était assuré à Dakar, après toutes les 100 heures de vol. L’avion passait les visites techniques dans les hangars de l’Armée de l’Air, à Dakar. Le Quotidien a appris qu’au début, des techniciens canadiens faisaient le déplacement à Dakar, pour assister à la visite de maintenance, mais quelque temps après, ils ont arrêté.
Il était prévu qu’après 5 000 heures de vol, l’avion devait retourner à l’usine, au Canada, pour une révision générale, beaucoup plus complète. Ce nombre d’heure a été atteint en 1989, mais l’avion n’a pas pu faire le déplacement. Selon des sources bien informées, il semble que la compagnie De Havilland demandait, pour l’entretien, 600 millions de francs Cfa. «A l’époque, les autorités ont jugé que ce montant était trop élevé. Et contre l’avis des militaires qui utilisaient l’avion, elles ont décidé d’envoyer l’avion en France, dans les locaux de la société Sicas.»

DJIBO KA IGNORAIT TOUT
L’avion est resté plus de sept mois en France, avant de revenir au Sénégal. Les spécialistes de l’aéronautique déclarent que malgré tout ce temps, l’appareil n’a pas été remis à neuf. Ils en veulent pour preuve que, sur le chemin de retour, il a dû faire trois escales avant d’arriver.
Confrontés à la force majeure, les mécaniciens militaires qui ont réceptionné l’avion, ont dû commencer à travailler avec les moyens de bord, en faisant des interventions au coup par coup. L’avion a continué à voler tant bien que mal, jusqu’en 2001, avant d’être cloué au sol, faute de maintenance sérieuse. Il s’est retrouvé parqué à un coin de l’aérodrome militaire de Dakar.
Les choses sont restées en l’état, jusqu’en 2003, lorsqu’un businessman de nationalité luxembourgeoise, nommé Zellair, est passé par là. L’individu, qui était en affaires avec certains secteurs du pouvoir, était à Dakar pour négocier la fourniture d’hélicoptères de combat à l’Armée. Au cours d’une visite sur la piste d’aviation, il est tombé net sur le Twin Otter de la Marine, qui se faisait oublier sur ce coin de l’aéroport militaire. Informé de la situation de l’avion, il a expliqué aux autorités civiles et militaires, qu’il avait la possibilité de leur trouver un autre aéronef de remplacement, en état de voler, en échange de l’appareil qui ne servait plus à personne. Contre l’avis du personnel subalterne, la hiérarchie militaire a accepté le marché, et emporté l’adhésion des autorités civiles.
Le ministre d’Etat Djibo Leyti Ka, qui était en charge de l’Economie maritime à l’époque, se souvient que les militaires avaient sollicité son accord pour opérer au troc. Il explique qu’il n’avait jamais vu le Twin Otter canadien, ni non plus le Pilatus Britten britannique. Il indique que son rôle dans l’affaire s’est limité à donner son accord, ainsi qu’à débloquer les sommes demandées par la hiérarchie militaire pour convoyer les appareils.

LE CRASH
Le Twin Otter a été remis à Zellair, en sus d’un certain bonus financier, dont malheureusement, Le Quotidien n’a pu connaître le montant. C’était, paraît-il, nécessaire pour convoyer l’avion au Luxembourg et ramener l’avion de remplacement.
En juin 2004, le Pilatus Britten Norman, a atterri à Dakar-Yoff. Malheureusement, l’avion était un vieux coucou, qui datait déjà à l’époque, d’une trentaine d’années. Pour les besoins de sa nouvelle mission, il avait subi quelques modifications majeures au Luxembourg. Alors qu’à l’origine, il était équipé d’un moteur à piston, l’avion a été équipé au Luxembourg, d’un turboréacteur, censé le rendre plus rapide et plus mobile. Néanmoins, les militaires chargés de son entretien à Dakar, n’ont pas mis beaucoup de temps pour se rendre compte que les transformations n’étaient pas bonnes. Le turboréacteur était beaucoup trop puissant pour l’appareil, et rendait celui-ci difficile à manier. De ce fait, expliquent les militaires, l’avion était sous-utilisé, parce qu’il n’était pas du tout pratique.
Quoi qu’il en soit, un jour de septembre 2007, le jeudi 6 précisément, un équipage fait une sortie pour intercepter une embarcation partie de Saint-Louis, avec une cargaison de clandestins. Cependant, en cours de route, l’un des réacteurs de l’avion a eu des problèmes de transmission de carburant. Avec un seul réservoir en fonctionnement, le gauche, l’appareil a dû rebrousser chemin au plus vite, pour regagner sa base à Dakar. Les témoins se rappellent que ce jour, c’est moteurs éteints que l’avion a atterri sur la piste, en panne totale.
Le lendemain, vendredi 7 septembre, après quelques réparations, les pilotes ont voulu effectuer un vol d’essai. Malheureusement, l’appareil a fait une embardée et quitté la piste. Il a embouti un appareil de l’armée de l’Air, un Fokker 27, qui a subi des destructions irréfragables. Et dans la foulée, il a plus ou moins gravement blessé deux militaires, les adjudants-majors Bocar Tombon Goudiaby, et Djiby Ciré Aw, qui ont fini hospitalisés à l’hôpital Principal. Depuis lors, l’avion n’a plus pu décoller.
Quant aux pilotes hospitalisés, ils ont été attraits par leur hiérarchie, devant un tribunal militaire, pour «défaut de maîtrise». Ces deux pilotes avaient été de ceux qui, bien avant, avaient critiqué le troc de ces deux avions, parce que jugeant que le Pilatus Britten était de performances moindres, et était beaucoup trop vieux par rapport aux qualités du Twin Otter. Cette opposition a été aussi considérée comme une marque de mauvaise volonté dans le maniement de l’appareil, et leur a valu de nombreux mois d’arrêt. Ce n’est que l’année suivante, le 26 septembre 2008, que le tribunal militaire les a relaxés. Néanmoins, ces deux militaires n’ont reçu aucune indemnisation de longs mois de prison qu’ils ont eu à effectuer.

LES AUTORITES NE SAVENT RIEN
Interpellé sur la gestion de cette affaire, à savoir, cet échange d’appareils, aussi bien que les sanctions infligées à deux pilotes, le colonel Ousmane Sar, de la Direction de l’information et des relations publiques de l’Armée (Dirpa), n’a pu fournir d’explications. Il a expliqué que le colonel Tamba qui, à l’époque des faits, dirigeait l’Armée de l’air, a depuis quitté ses fonctions, et n’était plus facilement joignable.
Il a demandé du temps pour joindre ce dernier. Malheureusement, deux semaines plus tard, le colonel de la Dirpa n’a pu donner d’information supplémentaire. Quant à l’ancien ministre de l’Economie maritime, Djibo Ka, comme dit plus haut, sa seule responsabilité a été de donner son aval pour libérer une ligne de crédit nécessaire pour permettre à l’Armée de l’Air de faire transférer le Twin Otter, parce que les militaires l’ont assuré que c’était la chose à faire. Depuis lors, plus rien.

source le quotidien

Pape Alé Niang