Il s’avérerait très injuste de commencer ce texte par « Il était une fois, une dame peuhl », car Hadjia Aïssa Diori était une réalité. Restant unique en son genre, elle ne nous laissera jamais l’occasion de faire coïncider sa vie à un conte de fée, ni sa mort à une tragédie. La petite fille naquit dans une quelconque région d’un des plus pauvres territoires coloniaux français. Toutes les conditions menant à une vie des plus anonymes et des plus ordinaires se trouvent bien assemblées. Toutes ? Non ! Car ALLAH dota cette fille d’une beauté inégalée, d’un charme certain, d’un divin charisme et d’une grande intelligence. Heureux concours des choses ! L’enfant grandit dans un milieu aristocratique peuhl. La culture et la tradition de ce milieu constituant un terreau fécond, Aïssa en sort adolescente, pétrie de sagesse (’Tabital Pulako") et d’une immense capacité d’adaptation. Sa rencontre avec Diori lui servira de tremplin pour assimiler instruction et raffinement. Son prestige rayonnera à travers le monde.
Côtoyant les grands de ce monde (Elisabeth II, Haïlé Sélassié, Nasser, De Gaulle, Johnson...), Madame Diori impose respect et admiration. Aux côtés de son époux, elle entamera, sans bousculer, l’émancipation féminine par le travail et la rigueur, dans cette région afro-musulmane. En ce début des années 60, son soutien à la cause des noirs américains étonne plus d’un. Dans sa fulgurante ascension, Hadjia élèvera sous ses ailes des foules entières, dont la mauvaise graine qui gangrènera le système et s’en prendra nuitamment à sa vie, ce 15 avril.
Aujourd’hui, sa fille Hado témoigne sur son assassinat afin que cessent les ragots et que triomphe la vérité. Les principaux responsables sont morts dans des conditions étonnantes. Pendant ses quarante-cinq minutes d’agonie, Hadjia resta consciente et sereine : digne et fière jusqu’au dernier souffle. Devant la panique générale du palais envahi et l’abjecte sauvagerie des putschistes, Hadjia afficha sa foi, en réclamant de l’eau pour son visage et de la prière. Nulle plainte, aucune ! Comme si elle s’y attendait.
"A voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse,
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse."
Auteur : ISSA IBRAHIM Dja-Apharou, 21/09/2007.
L’assassinat de la Présidente première partie (Ce qui n’a pas été dit).
Quinze avril 1974, quinze avril 2022 : quarante huit ans déjà ! La douleur est toujours aussi forte. J’éprouve la même peine à revenir sur les atroces évènements qui nous ont marqués à jamais, mes frères, ma sœur, et le reste de notre grande famille.
D’aucuns diront pourquoi maintenant ? Je répondrai simplement que le temps atténue les blessures, mais ne change rien au terrible souvenir qui m’assaille périodiquement : comme une très grave blessure, cicatrisée en surface et qui continue à faire souffrir à chaque occasion : anniversaire, évocation de maman dans une discussion en famille, photos dans un album de famille…
Je tiens à préciser que ce témoignage est personnel et n’engage que moi. Les faits sont relatés tels que je les ai vécus en 1974.
Retrouvailles
Avril 1974 : j’étais étudiante en quatrième année de médecine à la faculté de médecine et de pharmacie d’Abidjan. A la veille des congés universitaires de Pâques, comme il le faisait souvent les week-ends, le Président Félix Houphouët Boigny me fait venir à sa résidence de Cocody pour un déjeuner en famille. Il faut préciser que le président me vouait une affection particulière du fait des relations notamment chaleureuses qu’il avait toujours entretenues avec mon père. Ces relations avaient débuté en politique, à la naissance du RDA et s’étaient transformées en amitié sincère.
Au cours du déjeuner, il me demanda si je souhaitais passer les vacances de Pâques à Niamey. Ma réponse à celui que j’appelais respectueusement « Tonton » fut positive. Comment pouvait-elle en être autrement quand s’offrait la belle perspective d’aller passer quelques jours auprès de mes parents ?
Toutes les dispositions ont donc été prises afin que je puisse partir dans l’après-midi du quatorze avril 1974.( …) J’arrive à Niamey sans encombre, ce quatorze avril. Maman m’accueille personnellement, signe de sa joie de me revoir. Nous regagnons le palais.
Il va sans dire que le bonheur des retrouvailles était immense. Nos discussions s’engagent aussitôt dans la voiture. Arrivée au palais, j’ai fait un petit coucou à papa qu’absorbaient quelques exercices de golf. Ce voyage était aussi motivé par un décès : une amie proche, étudiante en France, ayant perdu son frère à Niamey, maman la faisait venir de Paris le lendemain pour les cérémonies de deuil en famille. Maman était donc contente que je sois aux côtés de cette amie pour la soutenir dans l’épreuve. Au nom de notre amitié, elle n’a cessé de rendre visite quotidiennement à sa famille et m’y a amenée le soir de mon arrivée.
Au palais, j’ai dit à maman ma surprise de ne pas voir les armes qui habituellement garnissaient les grandes ouvertures donnant sur l’entrée principale. Au moment de leur mise en place, je me souviens que j’avais contesté d’une certaine manière leur installation au niveau des appartements privés. L’affaire ne relevant naturellement pas de ma compétence, nous en étions restés là. Puis, j’ai pris l’habitude de les voir en place sans jamais les apprécier. Sans plus rien à en dire non plus. Maman a tout de même objecté à ma remarque en disant que, de toute façon, je n’appréciais guère le Commandant Sani Souna Sido (alors chef d’état major adjoint) et qu’il n’y avait rien de surprenant à ce que je n’approuve pas davantage ses décisions. Je dois préciser que pour maman, Sani était plus qu’un homme de confiance. C’était pour ainsi dire un fils pour elle. Pensez donc : il détenait ses chéquiers, avait procuration pour effectuer en son nom diverses opérations bancaires, etc.
Je passe une bonne partie de la nuit à discuter de choses et d’autres avec maman, jusqu’aux environs de deux heures du matin, dans une ambiance d’heureuses retrouvailles. Dans leur chambre, mes frères et sœur devaient dormir depuis longtemps. Seul notre frère aîné, déjà père de famille, vivait hors du palais.
Vers vingt-deux heures, le commandant Sani arrive au palais. Il s’entretient un instant avec maman. Mon grand frère Abdoulaye nous rejoint vers vingt-trois heures et s’en retourne chez lui quelque temps après. Se justifiant d’une importante réunion pour le seize avril, papa se met au lit et demande à maman de poursuivre notre discussion dans ma chambre. Nous y sommes encore vers deux heures du matin. Constatant l’heure avancée, maman me propose d’aller me coucher. Je devais en effet aller à l’aéroport accueillir mon amie, le matin à l’arrivée de son vol en provenance de Paris.
Par surprise
J’ai juste eu le temps de me mettre en chemise de nuit lorsque les premiers crépitements se font entendre. Ma chambre donnant sur l’entrée principale, j’ai jeté un coup d’œil par la fenêtre. Et là, stupéfaite ! J’aperçois des blindés marchant sur le palais. Ils avaient vraisemblablement forcé le portail. Je sus plus tard que, le commandant Sani Souna préparant son coup depuis longtemps, avait pris la précaution de placer ses hommes pour faciliter l’ouverture du portail. Les évènements s’accélèrent bien vite. Une certaine confusion s’installe. Réveillés par ces bruits insolites, mes frères et quelques cousins qui habitaient avec nous se précipitent au salon que nous avions quitté quelque temps plus tôt ; papa et maman aussi. Maman n’avait pas eu le temps de se changer et portait encore sa tenue de ville. Papa prend le téléphone et constate que la ligne est coupée. Il tente de se rendre sur le balcon pour voir se qui se passe. Et là, maman et moi, nous l’en empêchons en lui disant ce qui est désormais une évidence : les militaires ont décidé de s’en prendre à lui et qu’un coup d’état était manifestement en cours. Dans la confusion, j’observe que ma petite sœur manquait. Je décide alors d’aller la chercher dans sa chambre, contiguë au salon. Je n’étais pas encore revenue au salon lorsque le bruit assourdissant d’une grenade qui explosait tout à côté s’est fait entendre. Il m’oblige alors à retourner sur mes pas pour mettre à l’abri, dans leur salle de bain, ma petite sœur et la cousine qui partageait sa chambre. Deux de nos cousins, Sani et Koireyga, surnommée « Visse », touchés par une rafale ou par les éclats de la grenade, succombent sur le champ. Mon petit frère Moussa est grièvement blessé au flanc gauche. Mon frère Moumouni et mon cousin Maoudé tentent de le relever. Moumouni crie : « Maman, maman, Moussa est blessé ! » Elle sort précipitamment de sa chambre sans aucune arme, quand elle a entendu l’appel de Moumouni. C’est alors que, avant qu’elle n’ait pu rejoindre ses enfants, que le sergent Niandou la fauche d’une rafale de mitraillette et la transperce d’un coup de baïonnette.
Moumouni et Maoudé, seuls témoins du drame, couchent Moussa sur le lit de la chambre des parents. Il continuait à saigner énormément. Puis Moumouni revient vers maman qui, allongée sur la moquette, se vide de son sang et rend l’âme quarante-cinq minutes environ, plus tard. Elle est restée consciente jusqu’à la fin puisqu’elle a pu demander à mon frère Moumouni de lui donner des nouvelles de Sadjo, sa mère, de Toumba, sa sœur, d’Abdoulaye et de Hado. Moumouni lui répondit qu’ils étaient tous là car elle nous croyait tous morts.
Ensuite, elle demanda à Moumouni de prendre une bouteille d’eau dans le petit réfrigérateur de leur salle à manger. Enfin, elle lui demanda de lui laver les mains, de lui rincer la bouche, de lui passer de l’eau sur le visage et les bras, et de réciter quelques versets du Coran. Avec le recul, Moumouni comprit qu’elle voulait qu’il lui fasse ses ablutions. Elle rendit l’âme dans le bras de Moumouni.
Il est très important de mentionner qu’à aucun moment de cette tragique nuit, maman n’a porté une arme ; contrairement aux rumeurs diffusées par ceux qui se sentent obligés par leur conscience de justifier l’injustifiable en se prévalant d’une soi-disant légitime défense. Il s’agit bel et bien d’un assassinat prémédité et minutieusement préparé.
À l’irruption des militaires, papa qui n’a pas été autorisé à se changer, leur dit : « je suis le seul responsable politique. Ne faites pas de mal à ma famille. » C’est le Lt Cyril Gabriel, ami intime de mon frère Abdoulaye qui dirigeait le commando venu attaquer les appartements privés. Il fit descendre papa. Il connaissait très bien les lieux pour s’y être souvent fourré avec mon frère. Triste ironie du sort, ce garçon qui avait été d’abord refusé à l’Ecole Militaire de Coëtquidan doit son acceptation finale grâce à l’intervention de papa, sous insistance d’Abdoulaye.
Le sergent Niandou, exécuteur de la sinistre besogne, tenaillé sans d
oute par les remords, nous a rapporté devant témoins, chez Abdoulaye, que Sani Souna Sido lui a donné l’ordre de tuer maman et de me tuer également. Toujours d’après ses dires, les militaires devant attaquer l’appartement privé « étaient drogués par leurs supérieurs. » Il a dû contempler son œuvre pendant moins de deux ans, car il n’a pu survivre plus longtemps.
Si nous revenons aux alentours de vingt-deux heures, heure à laquelle Sani Souna Sido est venu voir maman, il avait déjà donné l’ordre de la tuer et venait voir si son satanique plan était bien en place. Mon arrivée d’Abidjan par vol spécial n’était pas prévu et pouvait avoir une incidence capable de gêner l’exécution de son programme. Comment a-t-il pu discuter paisiblement avec maman, sachant qu’il avait déjà commandité sa mort ? Lui seul détenait le secret de cette recette. Privé de liberté quinze mois après son coup, il disparaîtra dans des conditions énigmatiques trois ans plus tard.
Au petit jour, les militaires nous firent descendre, armes en main. En arrivant à la hauteur de la porte de la salle à manger des parents, j’aperçois un corps recouvert d’un drap blanc. Je m’y précipite et je vois Moussa.
Témoignage de Hado Ramatou DIORI HAMANI. Le 21/09/2007.
Source Koinai.net
L’assassinat de la Présidente : deuxième partie (Ce qui n’a pas été dit)
Written by Témoignage de Hado Ramatou DIORI HAMANI.
Wednesday, 10 October 2007
Je vis Moussa porté par deux militaires, il était pâle, très pâle, très affaibli. J’étais atterrée, consternée, mais j’ai demandé aux deux militaires où ils l’emmenaient ; ils daignèrent me répondre en précisant qu’ils le transportaient à l’hôpital. J’ai voulu les suivre, j’ai, bien entendu, reçu une réponse négative.
Dans le petit salon gisaient les corps de nos deux cousins morts. Les militaires nous firent descendre et le cauchemar continua. Au bas de l’escalier se trouvait le corps d’un des gardes de corps de papa, le sergent Badje. Plus loin le corps d’un oncle maternel, Moussa Kao, celui d’une tante de maman et d’autres… C’était vraiment une vision cauchemardesque et nous avions tous l’impression d’un cauchemar et que nous allions nous réveiller, mais hélas…
Nous avons été conduits dans la cour du Palais puis nous avons été escortés par des militaires devant le grand portail du Palais, là nous avons été alignés comme du bétail, et le lieutenant Ousseïni donna l’ordre de nous liquider, oui ce fut son expression : « liquidez les enfants ». J’étais occupée à essayer de calmer ma sœur cadette qui venait d’apprendre, comme tous ceux qui ne le savaient pas encore, que maman n’était plus de ce monde. Et c’était la désolation, la consternation, la stupeur. Hadiza n’arrêtait pas de réclamer Maman, Moumouni ne disait pas un mot, il resta ainsi pendant plusieurs jours, et jusqu’à ce jour il a encore des séquelle de ces terribles moments.
Il y eut un contre-ordre donné par Cyril Gabriel : « Qui vous a dit de tuer les enfants ? Conduisez-les chez leur grand-mère. » Il s’agissait de notre grand-mère maternelle qui était avec nous au Palais. Nous sommes arrivées auprès de notre grand-mère maternelle qui ne savait pas que sa fille était morte, et ne l’a su que beaucoup plus tard. Les militaires s’attelaient à entasser les corps les uns sur les autres. Les militaires demandèrent à notre grand-mère et à son époux de les suivre. Ils les firent monter à bord d’une land-Rover pick-up.
Certains parmi nous avaient aperçu un corps couvert par un drap blanc qui fut mis à l’arrière d’une land-rover. Plus tard nous sûmes qu’il s’agissait de maman. La voiture transportant les grands-parents les conduisit à l’aéroport militaire de Niamey. Ma grand-mère nous relata ce qui suit : « Il y avait une forte odeur d’alcool et une certaine agitation. Sous le hangar elle aperçut un corps recouvert par un drap blanc ; on leur demanda d’embarquer à bord d’un avion. Le corps fut également embarqué et déposé dans l’allée centrale. » C’est au cours du vol que ma grand-mère sut que sa fille était morte et que c’était son corps qui gisait dans l’allée centrale de l’avion car au cours d’une secousse, le drap bougea et elle aperçut les cheveux puis le visage, les pieds de sa fille…Imaginez sa douleur à un moment précis, Allahou Akbar. Elle aurait pu elle aussi mourir d’une attaque cardiaque.
Une fois l’avion arrivé à Doutchi, les militaires refusèrent de laisser leur brancard et le corps de maman fut posé à même le sol, puis fut déposé sur le plancher d’une voiture venue les chercher pour les amener à Togone où maman fut préparée selon les rites de l’islam par ma grand-mère pour son dernier voyage, vers son seigneur tout –puissant. Ma grand-mère me remit les habits que maman portait. Ils sont toujours en ma possession avec leurs preuves, les impacts de balles (cinq), l’ impact de l’arme blanche, le sang…
Pendant longtemps je ne pouvais pas les regarder sans avoir les larmes aux yeux. Mon père apprit la nouvelle du décès de ma mère par la radio, ce fut un choc affreux et terrible pour lui, seul dans sa cellule ; il perdit 15 kilogrammes, pour preuve la couverture du magazine Jeune Afrique avec l’interview réalisée par Siradou Diallo.
Nous revenons au Palais ce lundi 15 avril 1974, nous les enfants avons été escortés du Palais chez Abdoulaye notre frère aîné, nous étions pour les filles en chemise de nuit et pieds nus, il n’était pas question de nous laisser prendre des chaussures et encore moins nous laisser nous habiller ; nous lui apprîmes la triste réalité, il était effondré. Moussa était à l’hôpital de Niamey ; le pauvre était dans une salle avec des brûlés ; quand je le vis je ne pus contenir ma douleur, mon indignation. Le chirurgien, un français, me fit savoir qu’il allait procéder à une laparotomie car Moussa se plaignait de l’abdomen. Je discutais avec lui de l’inutilité de cette intervention. Je compris que pour la junte militaire, Moussa était un témoin gênant alors qu’il ignorait et la mort les circonstances de l’assassinat de maman. Les témoins étaient Moumouni et Maoudé. Nous avons vécu des moments horribles, à la limite du supportable. En ce qui me concerne, j’ai essayé d’être forte pour réconforter Adiza qui n’arrêtait pas de pleurer et de réclamer sa mère. Pour Moumouni qui était en état de choc.
Quand je sentais que je faiblissais alors je m’enfermais dans la salle de bains et je laissais libre cours à mes larmes, puis après avoir repris courage je m’en remettais à Dieu notre créateur et la foi en lui m’a énormément aidé. Des journées que nous avons vécues jusqu’à ce que je puisse repartir sur Abidjan avec Moussa, Moumouni et Adiza, de l’assignation à résidence d’Abdoulaye à son licenciement, de l’affectation de mon oncle Boubacar (douanier) à Agadez, de la restriction des visites des parents , des amis, des humiliations jusqu’aux vexations ne sont pas l’objet de ce manuscrit. Je voulais comme je l’ai précisé au début, lever le voile sur l’assassinat de ma chère et regrettée mère Hadja Aïssa Diori (que Dieu l’ait en sa sainte miséricorde).
S’il n’y avait pas intention d’assassiner, pourquoi une fois toutes les barrières franchies et arrivées aux appartements privés :
utiliser des grenades,
pourquoi tirer sur ma mère jusqu’à ce qu’elle s’affaisse,
pourquoi utiliser la baïonnette,
pourquoi l’avoir laissée se vider de son sang pendant 45 minutes ?
Je ne réclame pas justice mais j’accuse et mes doigts sont pointés en direction de ceux qui ont commandité, prémédité, ce lâche assassinat. Qui pourrait être le cerveau machiavélique, auteur principal de ce crime des plus odieux ?
Pourrait-il s’agir d’un homme, d’un groupe d’homme ou d’une personne étrangère ? J’espère que, maintenant, au Niger comme ailleurs la vérité, puisque c’est de cela qu’il s’agit, puisse éclater au grand jour.
Aissa Diori la maman du Niger est martyr,
Que son âme repose en paix.
Mansour Elh Amani
Côtoyant les grands de ce monde (Elisabeth II, Haïlé Sélassié, Nasser, De Gaulle, Johnson...), Madame Diori impose respect et admiration. Aux côtés de son époux, elle entamera, sans bousculer, l’émancipation féminine par le travail et la rigueur, dans cette région afro-musulmane. En ce début des années 60, son soutien à la cause des noirs américains étonne plus d’un. Dans sa fulgurante ascension, Hadjia élèvera sous ses ailes des foules entières, dont la mauvaise graine qui gangrènera le système et s’en prendra nuitamment à sa vie, ce 15 avril.
Aujourd’hui, sa fille Hado témoigne sur son assassinat afin que cessent les ragots et que triomphe la vérité. Les principaux responsables sont morts dans des conditions étonnantes. Pendant ses quarante-cinq minutes d’agonie, Hadjia resta consciente et sereine : digne et fière jusqu’au dernier souffle. Devant la panique générale du palais envahi et l’abjecte sauvagerie des putschistes, Hadjia afficha sa foi, en réclamant de l’eau pour son visage et de la prière. Nulle plainte, aucune ! Comme si elle s’y attendait.
"A voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse,
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse."
Auteur : ISSA IBRAHIM Dja-Apharou, 21/09/2007.
L’assassinat de la Présidente première partie (Ce qui n’a pas été dit).
Quinze avril 1974, quinze avril 2022 : quarante huit ans déjà ! La douleur est toujours aussi forte. J’éprouve la même peine à revenir sur les atroces évènements qui nous ont marqués à jamais, mes frères, ma sœur, et le reste de notre grande famille.
D’aucuns diront pourquoi maintenant ? Je répondrai simplement que le temps atténue les blessures, mais ne change rien au terrible souvenir qui m’assaille périodiquement : comme une très grave blessure, cicatrisée en surface et qui continue à faire souffrir à chaque occasion : anniversaire, évocation de maman dans une discussion en famille, photos dans un album de famille…
Je tiens à préciser que ce témoignage est personnel et n’engage que moi. Les faits sont relatés tels que je les ai vécus en 1974.
Retrouvailles
Avril 1974 : j’étais étudiante en quatrième année de médecine à la faculté de médecine et de pharmacie d’Abidjan. A la veille des congés universitaires de Pâques, comme il le faisait souvent les week-ends, le Président Félix Houphouët Boigny me fait venir à sa résidence de Cocody pour un déjeuner en famille. Il faut préciser que le président me vouait une affection particulière du fait des relations notamment chaleureuses qu’il avait toujours entretenues avec mon père. Ces relations avaient débuté en politique, à la naissance du RDA et s’étaient transformées en amitié sincère.
Au cours du déjeuner, il me demanda si je souhaitais passer les vacances de Pâques à Niamey. Ma réponse à celui que j’appelais respectueusement « Tonton » fut positive. Comment pouvait-elle en être autrement quand s’offrait la belle perspective d’aller passer quelques jours auprès de mes parents ?
Toutes les dispositions ont donc été prises afin que je puisse partir dans l’après-midi du quatorze avril 1974.( …) J’arrive à Niamey sans encombre, ce quatorze avril. Maman m’accueille personnellement, signe de sa joie de me revoir. Nous regagnons le palais.
Il va sans dire que le bonheur des retrouvailles était immense. Nos discussions s’engagent aussitôt dans la voiture. Arrivée au palais, j’ai fait un petit coucou à papa qu’absorbaient quelques exercices de golf. Ce voyage était aussi motivé par un décès : une amie proche, étudiante en France, ayant perdu son frère à Niamey, maman la faisait venir de Paris le lendemain pour les cérémonies de deuil en famille. Maman était donc contente que je sois aux côtés de cette amie pour la soutenir dans l’épreuve. Au nom de notre amitié, elle n’a cessé de rendre visite quotidiennement à sa famille et m’y a amenée le soir de mon arrivée.
Au palais, j’ai dit à maman ma surprise de ne pas voir les armes qui habituellement garnissaient les grandes ouvertures donnant sur l’entrée principale. Au moment de leur mise en place, je me souviens que j’avais contesté d’une certaine manière leur installation au niveau des appartements privés. L’affaire ne relevant naturellement pas de ma compétence, nous en étions restés là. Puis, j’ai pris l’habitude de les voir en place sans jamais les apprécier. Sans plus rien à en dire non plus. Maman a tout de même objecté à ma remarque en disant que, de toute façon, je n’appréciais guère le Commandant Sani Souna Sido (alors chef d’état major adjoint) et qu’il n’y avait rien de surprenant à ce que je n’approuve pas davantage ses décisions. Je dois préciser que pour maman, Sani était plus qu’un homme de confiance. C’était pour ainsi dire un fils pour elle. Pensez donc : il détenait ses chéquiers, avait procuration pour effectuer en son nom diverses opérations bancaires, etc.
Je passe une bonne partie de la nuit à discuter de choses et d’autres avec maman, jusqu’aux environs de deux heures du matin, dans une ambiance d’heureuses retrouvailles. Dans leur chambre, mes frères et sœur devaient dormir depuis longtemps. Seul notre frère aîné, déjà père de famille, vivait hors du palais.
Vers vingt-deux heures, le commandant Sani arrive au palais. Il s’entretient un instant avec maman. Mon grand frère Abdoulaye nous rejoint vers vingt-trois heures et s’en retourne chez lui quelque temps après. Se justifiant d’une importante réunion pour le seize avril, papa se met au lit et demande à maman de poursuivre notre discussion dans ma chambre. Nous y sommes encore vers deux heures du matin. Constatant l’heure avancée, maman me propose d’aller me coucher. Je devais en effet aller à l’aéroport accueillir mon amie, le matin à l’arrivée de son vol en provenance de Paris.
Par surprise
J’ai juste eu le temps de me mettre en chemise de nuit lorsque les premiers crépitements se font entendre. Ma chambre donnant sur l’entrée principale, j’ai jeté un coup d’œil par la fenêtre. Et là, stupéfaite ! J’aperçois des blindés marchant sur le palais. Ils avaient vraisemblablement forcé le portail. Je sus plus tard que, le commandant Sani Souna préparant son coup depuis longtemps, avait pris la précaution de placer ses hommes pour faciliter l’ouverture du portail. Les évènements s’accélèrent bien vite. Une certaine confusion s’installe. Réveillés par ces bruits insolites, mes frères et quelques cousins qui habitaient avec nous se précipitent au salon que nous avions quitté quelque temps plus tôt ; papa et maman aussi. Maman n’avait pas eu le temps de se changer et portait encore sa tenue de ville. Papa prend le téléphone et constate que la ligne est coupée. Il tente de se rendre sur le balcon pour voir se qui se passe. Et là, maman et moi, nous l’en empêchons en lui disant ce qui est désormais une évidence : les militaires ont décidé de s’en prendre à lui et qu’un coup d’état était manifestement en cours. Dans la confusion, j’observe que ma petite sœur manquait. Je décide alors d’aller la chercher dans sa chambre, contiguë au salon. Je n’étais pas encore revenue au salon lorsque le bruit assourdissant d’une grenade qui explosait tout à côté s’est fait entendre. Il m’oblige alors à retourner sur mes pas pour mettre à l’abri, dans leur salle de bain, ma petite sœur et la cousine qui partageait sa chambre. Deux de nos cousins, Sani et Koireyga, surnommée « Visse », touchés par une rafale ou par les éclats de la grenade, succombent sur le champ. Mon petit frère Moussa est grièvement blessé au flanc gauche. Mon frère Moumouni et mon cousin Maoudé tentent de le relever. Moumouni crie : « Maman, maman, Moussa est blessé ! » Elle sort précipitamment de sa chambre sans aucune arme, quand elle a entendu l’appel de Moumouni. C’est alors que, avant qu’elle n’ait pu rejoindre ses enfants, que le sergent Niandou la fauche d’une rafale de mitraillette et la transperce d’un coup de baïonnette.
Moumouni et Maoudé, seuls témoins du drame, couchent Moussa sur le lit de la chambre des parents. Il continuait à saigner énormément. Puis Moumouni revient vers maman qui, allongée sur la moquette, se vide de son sang et rend l’âme quarante-cinq minutes environ, plus tard. Elle est restée consciente jusqu’à la fin puisqu’elle a pu demander à mon frère Moumouni de lui donner des nouvelles de Sadjo, sa mère, de Toumba, sa sœur, d’Abdoulaye et de Hado. Moumouni lui répondit qu’ils étaient tous là car elle nous croyait tous morts.
Ensuite, elle demanda à Moumouni de prendre une bouteille d’eau dans le petit réfrigérateur de leur salle à manger. Enfin, elle lui demanda de lui laver les mains, de lui rincer la bouche, de lui passer de l’eau sur le visage et les bras, et de réciter quelques versets du Coran. Avec le recul, Moumouni comprit qu’elle voulait qu’il lui fasse ses ablutions. Elle rendit l’âme dans le bras de Moumouni.
Il est très important de mentionner qu’à aucun moment de cette tragique nuit, maman n’a porté une arme ; contrairement aux rumeurs diffusées par ceux qui se sentent obligés par leur conscience de justifier l’injustifiable en se prévalant d’une soi-disant légitime défense. Il s’agit bel et bien d’un assassinat prémédité et minutieusement préparé.
À l’irruption des militaires, papa qui n’a pas été autorisé à se changer, leur dit : « je suis le seul responsable politique. Ne faites pas de mal à ma famille. » C’est le Lt Cyril Gabriel, ami intime de mon frère Abdoulaye qui dirigeait le commando venu attaquer les appartements privés. Il fit descendre papa. Il connaissait très bien les lieux pour s’y être souvent fourré avec mon frère. Triste ironie du sort, ce garçon qui avait été d’abord refusé à l’Ecole Militaire de Coëtquidan doit son acceptation finale grâce à l’intervention de papa, sous insistance d’Abdoulaye.
Le sergent Niandou, exécuteur de la sinistre besogne, tenaillé sans d
oute par les remords, nous a rapporté devant témoins, chez Abdoulaye, que Sani Souna Sido lui a donné l’ordre de tuer maman et de me tuer également. Toujours d’après ses dires, les militaires devant attaquer l’appartement privé « étaient drogués par leurs supérieurs. » Il a dû contempler son œuvre pendant moins de deux ans, car il n’a pu survivre plus longtemps.
Si nous revenons aux alentours de vingt-deux heures, heure à laquelle Sani Souna Sido est venu voir maman, il avait déjà donné l’ordre de la tuer et venait voir si son satanique plan était bien en place. Mon arrivée d’Abidjan par vol spécial n’était pas prévu et pouvait avoir une incidence capable de gêner l’exécution de son programme. Comment a-t-il pu discuter paisiblement avec maman, sachant qu’il avait déjà commandité sa mort ? Lui seul détenait le secret de cette recette. Privé de liberté quinze mois après son coup, il disparaîtra dans des conditions énigmatiques trois ans plus tard.
Au petit jour, les militaires nous firent descendre, armes en main. En arrivant à la hauteur de la porte de la salle à manger des parents, j’aperçois un corps recouvert d’un drap blanc. Je m’y précipite et je vois Moussa.
Témoignage de Hado Ramatou DIORI HAMANI. Le 21/09/2007.
Source Koinai.net
L’assassinat de la Présidente : deuxième partie (Ce qui n’a pas été dit)
Written by Témoignage de Hado Ramatou DIORI HAMANI.
Wednesday, 10 October 2007
Je vis Moussa porté par deux militaires, il était pâle, très pâle, très affaibli. J’étais atterrée, consternée, mais j’ai demandé aux deux militaires où ils l’emmenaient ; ils daignèrent me répondre en précisant qu’ils le transportaient à l’hôpital. J’ai voulu les suivre, j’ai, bien entendu, reçu une réponse négative.
Dans le petit salon gisaient les corps de nos deux cousins morts. Les militaires nous firent descendre et le cauchemar continua. Au bas de l’escalier se trouvait le corps d’un des gardes de corps de papa, le sergent Badje. Plus loin le corps d’un oncle maternel, Moussa Kao, celui d’une tante de maman et d’autres… C’était vraiment une vision cauchemardesque et nous avions tous l’impression d’un cauchemar et que nous allions nous réveiller, mais hélas…
Nous avons été conduits dans la cour du Palais puis nous avons été escortés par des militaires devant le grand portail du Palais, là nous avons été alignés comme du bétail, et le lieutenant Ousseïni donna l’ordre de nous liquider, oui ce fut son expression : « liquidez les enfants ». J’étais occupée à essayer de calmer ma sœur cadette qui venait d’apprendre, comme tous ceux qui ne le savaient pas encore, que maman n’était plus de ce monde. Et c’était la désolation, la consternation, la stupeur. Hadiza n’arrêtait pas de réclamer Maman, Moumouni ne disait pas un mot, il resta ainsi pendant plusieurs jours, et jusqu’à ce jour il a encore des séquelle de ces terribles moments.
Il y eut un contre-ordre donné par Cyril Gabriel : « Qui vous a dit de tuer les enfants ? Conduisez-les chez leur grand-mère. » Il s’agissait de notre grand-mère maternelle qui était avec nous au Palais. Nous sommes arrivées auprès de notre grand-mère maternelle qui ne savait pas que sa fille était morte, et ne l’a su que beaucoup plus tard. Les militaires s’attelaient à entasser les corps les uns sur les autres. Les militaires demandèrent à notre grand-mère et à son époux de les suivre. Ils les firent monter à bord d’une land-Rover pick-up.
Certains parmi nous avaient aperçu un corps couvert par un drap blanc qui fut mis à l’arrière d’une land-rover. Plus tard nous sûmes qu’il s’agissait de maman. La voiture transportant les grands-parents les conduisit à l’aéroport militaire de Niamey. Ma grand-mère nous relata ce qui suit : « Il y avait une forte odeur d’alcool et une certaine agitation. Sous le hangar elle aperçut un corps recouvert par un drap blanc ; on leur demanda d’embarquer à bord d’un avion. Le corps fut également embarqué et déposé dans l’allée centrale. » C’est au cours du vol que ma grand-mère sut que sa fille était morte et que c’était son corps qui gisait dans l’allée centrale de l’avion car au cours d’une secousse, le drap bougea et elle aperçut les cheveux puis le visage, les pieds de sa fille…Imaginez sa douleur à un moment précis, Allahou Akbar. Elle aurait pu elle aussi mourir d’une attaque cardiaque.
Une fois l’avion arrivé à Doutchi, les militaires refusèrent de laisser leur brancard et le corps de maman fut posé à même le sol, puis fut déposé sur le plancher d’une voiture venue les chercher pour les amener à Togone où maman fut préparée selon les rites de l’islam par ma grand-mère pour son dernier voyage, vers son seigneur tout –puissant. Ma grand-mère me remit les habits que maman portait. Ils sont toujours en ma possession avec leurs preuves, les impacts de balles (cinq), l’ impact de l’arme blanche, le sang…
Pendant longtemps je ne pouvais pas les regarder sans avoir les larmes aux yeux. Mon père apprit la nouvelle du décès de ma mère par la radio, ce fut un choc affreux et terrible pour lui, seul dans sa cellule ; il perdit 15 kilogrammes, pour preuve la couverture du magazine Jeune Afrique avec l’interview réalisée par Siradou Diallo.
Nous revenons au Palais ce lundi 15 avril 1974, nous les enfants avons été escortés du Palais chez Abdoulaye notre frère aîné, nous étions pour les filles en chemise de nuit et pieds nus, il n’était pas question de nous laisser prendre des chaussures et encore moins nous laisser nous habiller ; nous lui apprîmes la triste réalité, il était effondré. Moussa était à l’hôpital de Niamey ; le pauvre était dans une salle avec des brûlés ; quand je le vis je ne pus contenir ma douleur, mon indignation. Le chirurgien, un français, me fit savoir qu’il allait procéder à une laparotomie car Moussa se plaignait de l’abdomen. Je discutais avec lui de l’inutilité de cette intervention. Je compris que pour la junte militaire, Moussa était un témoin gênant alors qu’il ignorait et la mort les circonstances de l’assassinat de maman. Les témoins étaient Moumouni et Maoudé. Nous avons vécu des moments horribles, à la limite du supportable. En ce qui me concerne, j’ai essayé d’être forte pour réconforter Adiza qui n’arrêtait pas de pleurer et de réclamer sa mère. Pour Moumouni qui était en état de choc.
Quand je sentais que je faiblissais alors je m’enfermais dans la salle de bains et je laissais libre cours à mes larmes, puis après avoir repris courage je m’en remettais à Dieu notre créateur et la foi en lui m’a énormément aidé. Des journées que nous avons vécues jusqu’à ce que je puisse repartir sur Abidjan avec Moussa, Moumouni et Adiza, de l’assignation à résidence d’Abdoulaye à son licenciement, de l’affectation de mon oncle Boubacar (douanier) à Agadez, de la restriction des visites des parents , des amis, des humiliations jusqu’aux vexations ne sont pas l’objet de ce manuscrit. Je voulais comme je l’ai précisé au début, lever le voile sur l’assassinat de ma chère et regrettée mère Hadja Aïssa Diori (que Dieu l’ait en sa sainte miséricorde).
S’il n’y avait pas intention d’assassiner, pourquoi une fois toutes les barrières franchies et arrivées aux appartements privés :
utiliser des grenades,
pourquoi tirer sur ma mère jusqu’à ce qu’elle s’affaisse,
pourquoi utiliser la baïonnette,
pourquoi l’avoir laissée se vider de son sang pendant 45 minutes ?
Je ne réclame pas justice mais j’accuse et mes doigts sont pointés en direction de ceux qui ont commandité, prémédité, ce lâche assassinat. Qui pourrait être le cerveau machiavélique, auteur principal de ce crime des plus odieux ?
Pourrait-il s’agir d’un homme, d’un groupe d’homme ou d’une personne étrangère ? J’espère que, maintenant, au Niger comme ailleurs la vérité, puisque c’est de cela qu’il s’agit, puisse éclater au grand jour.
Aissa Diori la maman du Niger est martyr,
Que son âme repose en paix.
Mansour Elh Amani