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Badr et Uhud : leçons de victoire et de défaite (Par Ahmadou Makhtar Kanté )

Rédigé par leral.net le Lundi 4 Juin 2018 à 19:30 | | 0 commentaire(s)|

 
« Allah vous a bien accordé la victoire à Badr
alors que vous étiez faibles » (Coran 3 : 123)

Introduction
C’est en l’an 2 de l’hégire, 17 Ramadan (mars 624), qu’a eu lieu la bataille emblématique de Badr qui a le plus marqué l’histoire de l’islam et des musulmans. Les versets révélés à ce sujet montrent à n’en pas douter la singularité de cette confrontation et la façon dont l’intervention divine s’est manifestée chez les musulmans résidents à Médine comme chez leurs ennemis mecquois. Un an plus tard, en l’an 3 de l’hégire (625), ce fut une défaite douloureuse que vécurent les musulmans lors de la Bataille d’Uhud. Dans les lignes qui suivent, le but est non pas de faire la narration de ces deux batailles sous le mode de l’émotion, mais plutôt d’en tirer quelques enseignements que nous espérons utiles pour nous et les générations à venir.

Au cœur de la bataille de Badr
Après toutes les souffrances endurées à la Mecque pendant environ 13 ans, la première communauté de musulmans émigre vers Yathrib qui deviendra Médine (la ville du prophète – saws). Mais quelques années avant, des musulmans dont Uthman qui sera le 4e calife, avaient rejoint l’Abyssinie. En cela, ces émigrés musulmans ont opté pour ce pays sur la base de la recommandation du prophète (saws) stipulant que le Négus de l’époque était un gouvernant juste qui accorde sa protection aux opprimés. En effet, au départ, le prophète (saws) a juste voulu réparer un tort, à savoir, récupérer des biens de musulmans spoliés par leurs parents mecquois avant l’hégire.

Ainsi, quand il eut vent d’une caravane conduite par Abu Sofiane en direction de la Syrie, un des grands dignitaires mecquois et farouche ennemi des musulmans, il envoya quelques hommes pour l’intercepter. C’était une caravane importante dans laquelle les notables de la plus puissante tribu de la Mecque, les Qurayshites, avaient investi beaucoup d’argent. Le but était donc de capturer la caravane qui a échappé à la vigilance des musulmans à l’aller. Mis au courant, Abu Sofiane finit par échapper en prenant un autre chemin que celui qu’il avait l’habitude de prendre au retour, pas sans avoir envoyé des hommes alerter les mecquois. Les choses auraient pu s’en arrêter là si ce n’est que les dignitaires mecquois ont trouvé là l’occasion de mettre en œuvre la « solution finale » relativement aux musulmans.

A cette fin, ils équipèrent un milliers d’hommes et se mirent en mouvement vers Badr. Abu Soufiane demanda à Abu Jahl chef des troupes mecquoises de rebrousser chemin, ce que refusa ce dernier imbu de sa haine viscérale des musulmans et de l’islam et assuré de pouvoir les vaincre facilement vu le rapport de force qui lui était si favorable. Du côté des musulmans, une divergence d’opinion se fit jour quand le prophète (saws) les consulta sur cette nouvelle donne afin de prendre la décision de retourner à Médine ou de combattre la troupe mecquoise. Cette situation est rapportée par le Coran : « C’est aussi par la vérité que ton Seigneur t’a fait sortir de ta demeure, malgré la répulsion d’une partie des croyants » (Coran 8 : 5) Certains considéraient inutile d’engager le combat vu que la caravane a échappé et d’autres penchaient pour le combat.

La bataille de Badr a été en réalité une épreuve à laquelle Allah dans son infinie sagesse décida de confronter le prophète (saws) et ses compagnons mecquois (émigrés - muhâjirûn) comme médinois (axillaires - ansâr) : « (Et rappelez-vous), quand Allah vous promettait qu’une des deux bandes sera à vous. Vous désiriez vous emparer de celle qui était sans armes, alors qu’Allah voulait par Ses paroles faire triompher la vérité et anéantir jusqu’au dernier les mécréants, afin qu’Il fasse triompher la vérité et dissiper le faux, n’en déplaise aux criminels » (Coran 8 : 6-7)   

Finalement, le prophète (saws) opta pour le combat quand il vit la détermination de ses compagnons et la légitimité du motif de sa sortie. Un musulman mecquois du nom d’Al-Miqdâd s’illustra par ces propos : « Nous ne te dirons pas ce qu’a dit le peuple de Moïse à Moïse : « Va donc, toi et ton Seigneur, et combattez tous deux. Nous restons là où nous sommes" Nous, nous combattrons à ta droite et à ta gauche, devant toi et derrière toi. » De leur côté, les musulmans médinois confirmèrent leur disposition à combattre avec le prophète (saws), s’alignant sur la réponse que Sa`d Ibn Mu`âdh apporta à la question du prophète (saws) sur leur décision en ces termes : «Nous avons cru en toi et souscrit à ton message. Nous avons attesté que ce que tu as apporté est la vérité et nous nous sommes engagés à t’écouter et à t’obéir. Poursuis donc l’objectif que tu veux, nous sommes avec toi. Par Celui Qui t’a envoyé, si tu partais en direction de cette mer et que tu entreprenais de la traverser nous la traverserions avec toi, sans qu’un seul homme parmi nous ne reste derrière… »  

La bataille opposa des musulmans au nombre de 313 sous équipés avec 2 chevaux et 70 dromadaires à 1000 mecquois bien armés avec 100 chevaux et 700 dromadaires et autres matériels de combat qui faisaient de ces derniers la plus puissante armée à l’époque dans cette partie de l’Arabie. Au final, la victoire fut du côté des musulmans comme le mentionne le Coran : « Allah vous a bien accordé la victoire à Badr alors que vous étiez faibles » (Coran 3 : 123)

Cette bataille qui pouvait sembler peu importante du point de vue de son ampleur, comparée à d’autres qui se passaient à cette époque par exemple du côté des romains (l’Empire byzantin) et des perses (l’Empire sassanide), les puissances régionales de l’époque, était pourtant décisive pour l’islam et l’avenir de l’humanité. Une défaite aurait eu des conséquences inestimables pour les musulmans de la première génération et personne ne pouvait prédire alors un relèvement et une continuation de l’appel islamique mondial. C’est conscient de cela que le prophète (saws) pria intensément son Seigneur et galvanisa grandement ses troupes : « Seigneur, voici Quraysh venue en grande pompe pour tenter de démentir Ton Messager. Seigneur, je Te demande la victoire que Tu m’as promise. Ô Allah, si ce petit groupe de fidèles venait à périr, nul ne T’adorerait sur terre. »

Et ce n’est pas pour rien que le Coran appela cette bataille, celle du Furqân (distinction, séparation, discernement) : « Et sachez que, de tout butin que vous avez ramassé, le cinquième appartient à Allah, au messager, à ses proches parents, aux orphelins, aux pauvres, et aux voyageurs (en détresse), si vous croyez en Allah et en ce que Nous avons fait descendre sur Notre serviteur, le jour du Discernement : le jour où les deux groupes s'étaient rencontrés, et Allah est Omnipotent » (Coran 8 : 41)

A la fin de la bataille, les musulmans comptaient 14 tués contre 70 de l’autre camp et avaient capturé 70 combattants mecquois. La singularité de cette bataille de Badr s’est illustrée aussi dans l’intervention divine qui ne se reproduira pas dans d’autres. Voici quelques illustrations des miracles qui s’y sont produits :

La veille de l’affrontement, une pluie fine survient emmenant de la fraicheur et de la purification spirituelle du côté des musulmans, de plus, elle contribua à aplanir le terrain rendant les déplacements plus faciles alors que du côté des combattants mecquois, il s’est agi d’effroi et d’embourbement : « Et quand Il vous enveloppa d’un sommeil sécurisant de Sa part, et du ciel Il fit descendre de l'eau sur vous afin de vous en purifier, d'écarter de vous la souillure du Diable, de raffermir vos cœurs et de raffermir vos pas! » (Coran 8 : 11).  

Sur ordre d’Allah, le prophète (saws) lance une poignée de sable qui aveugle les yeux des combattants mecquois : « Ce n'est pas vous qui les avez tués mais c'est Allah qui les a tués. Et lorsque tu lançais, ce n'est pas toi qui lançais : mais c'est Allah qui lançait, et ce pour soumettre les croyants à une bien belle épreuve de Sa part, vraiment Allah entend tout et est Omniscient » (Coran 8 : 17).   

Des anges participent au combat et même les coups qu’ils donnent sont mentionnés par le Coran : « Et ton Seigneur révéla aux Anges : "Je suis avec vous : affermissez donc les croyants. Je vais jeter l'effroi dans les cœurs des mécréants. Frappez donc au-dessus des cous et frappez-les sur tous les bouts des doigts » (Coran 8 : 12).  

Du côté des combattants mecquois, un effet miraculeux de perception fit qu’ils voyaient les musulmans aussi nombreux qu’eux, par contre, les musulmans voyaient leurs ennemis aussi peu nombreux qu’eux-mêmes : « Ce fut un signe pour vous que cette rencontre entre deux troupes dont l’une combattait dans le chemin d’Allah et l’autre était mécréante. Aux yeux des (mécréants), les (croyants) paraissaient le double de ce qu’ils étaient. Allah appuie par Son secours qui Il veut et, en cela, il y a une leçon à tirer par les esprits lucides » (Coran 3 : 13) ; « Et (souviens toi aussi) quand vous vous faisiez face, il les faisait paraitre peu nombreux à vous yeux, et diminuait votre nombre à leurs yeux : cela, pour qu’Allah exécute un décret qui devait se réaliser immanquablement. Et c’est vers Allah que sont ramenées toutes choses » (Coran 8 : 44) 

Il est utile de faire à présent un bref examen de ce que le prophète (saws) à a fait pour se donner toutes les chances de gagner la bataille : i) il envoie des espions et éclaireurs suivre le mouvement de la caravane, aussi il estime le nombre de combattants mecquois entre 900 et 1000 à partir De celui des dromadaires immolés par jour (9 à 10) ; ii) il accepte le plan de disposition que lui propose al hubâb ibn al mundhir consistant à occuper la zone de sorte à empêcher les combattants mecquois d’accéder aux puits de Badr ; iii) il s’assure que les musulmans médinois acceptent de combattre dans ce cas-ci qui n’était pas explicite dans le pacte d’allégeance qu’ils ont conclu avec lui avant l’hégire ; iv) il inaugure une nouvelle tactique de guerre en disposant les archers de telle sorte qu’ils pouvaient atteindre un bon nombre de combattants mecquois avant la mêlée générale ; v) il prie pour la victoire à haute voix. 

Enseignements-clés de la bataille de Badr

Le motif de la sortie du prophète (saws) n’était pas le combat mais Allah le Tout Sage en avait décidé autrement, c’était le temps de la clarification à travers cette épreuve car en quoi celle-ci trouve-t-elle sa valeur si on pouvait la prédire et l’anticiper ? 

Le prophète (saws) consulte ses compagnons comme le mentionne le Coran avant de prendre une décision. Ce mode de participation à la décision sur les affaires publiques sera par la suite considéré par les jurisconsultes musulmans comme un des piliers de la gouvernance islamique. En effet, si le prophète (saws) qui reçoit la révélation est invité, comme gouvernant, à concerter ses compagnons sur les affaires publiques, à fortiori, un autre devrait être soumis au même principe : « C’est par une miséricorde d’Allah que tu t’es montré conciliant à leur égard. Si tu avais été rude et avis eu le cœur dur, ils se seraient dispersés autour de toi. Alors, pardonne-leur, prie pour leur pardon et consulte-les à propos des affaires. Et lorsque tu as pris ta décision, mets ta confiance en Allah, car Allah aime ceux qui s’en remettent à lui » (Coran 3 : 159) ; « Ceux qui répondent à l'appel de leur Seigneur, accomplissent la Salât, se consultent entre eux à propos de leurs affaires, dépensent de ce que Nous leur attribuons. » (Coran 42 : 38).  

Le messager (saws) s’assure que les musulmans émigrés (al muhâjirûn) et les auxiliaires (al ansâr) sont suffisamment motivés pour affronter les combattants mecquois vu aussi que le rapport de force apparent leur était défavorable. Sans cela, la bataille était perdue d’avance. Quelle belle démonstration d’un génie formidable en termes de leadership ! 

Il invoque son Seigneur à haute voix, mettant ainsi du baume au cœur des combattants musulmans et s’en remet totalement à Lui pour le reste tout en prenant toutes les dispositions appropriées pour s’assurer la victoire. Rien à voir avec le fatalisme qui prédomine chez les musulmans de nos jours, et on apprend à travers les préparatifs du prophète (saws) et de ses compagnons relatifs à la bataille de Badr, le vrai sens de cette vertu cardinale de la spiritualité musulmane, à savoir, le Tawakkul (la confiance totale en Allah) : prendre toutes dispositions possibles pour ensuite prier et s’en remettre à Allah pour l’issue de ce qui est entrepris.

En effet, en envoyant des espions et autres éclaireurs, en procédant à une estimation du nombre de combattants mecquois, en validant le plan d’occupation du terrain proposé par l’expert al hubâb, en positionnant les archers d’une façon inédite, le prophète (saws) était en train de nous indiquer le chemin, à savoir, utiliser toutes les potentialités de la raison et de l’expérience humaine au service d’une cause islamique authentique.

Le prophète (saws) intègre un savoir technique de guerre qui lui était inconnu, et venant d’un connaisseur du domaine, à l’objectif islamique du moment, à savoir, gagner la bataille de Badr. Rien à voir avec cette frilosité et le traditionalisme, qui, au prétexte de la fidélité au texte fait que les musulmans sacralisent les moyens d’une époque et les tiennent pour immuables. A ce sujet, voici un commentaire fort instructif du Sheikh Muhammad Abû Shahbah « Et préparez-leur tout ce que vous pouvez comme force et comme cavalerie équipée, afin d’effrayer l’ennemi d’Allah et le vôtre, et d’autres encore que vous ne connaissez pas en dehors de ceux-ci mais qu’Allah connaît. Et tout ce que vous dépensez pour la Cause d’Allah vous sera remboursé pleinement et vous ne serez point lésés." (Coran 8 : 60) : « Muslim et d’autres rapportent que `Uqbah Ibn `Âmir dit : "J’ai entendu le Messager de Dieu - que la paix et les salutations de Dieu soient sur lui - dire sur le minbar : "Et préparez-leur tout ce que vous pouvez comme force...", "la force" n’est autre que le tir, "la force" n’est autre que le tir, "la force" n’est autre que le tir".

L’expression coranique fut à cet égard merveilleusement bien choisie, car on entend par la force les moyens qui la sous-tendent. Elle désigne tout ce qui réalise la force. Dès lors que la force passe par les armes de guerre et que les machines de guerre changent avec le temps, l’expression choisie est d’une extrême flexibilité et s’adapte quels que soient l’époque ou le lieu. En réalité, le mot commentant ce verset fut aussi éloquent que l’expression commentée car les deux proviennent de la même source. En effet, le tir est un mot également flexible et adapté à l’évolution des armes au fil du temps…» (Cf. http://www.islamophile.org/spip/L-interpretation-du-Coran-par-la.html)  

Dans le duel qui précède la mêlée, quand les mecquois récusent les musulmans médinois, le prophète (saws) laisse s’engager ses plus proches parents comme son cousin et gendre Ali et Hamza ibn abdil mutallib, son oncle paternel. Rien à voir avec les soi-disant révolutionnaires qui cachent leurs enfants et familles et les préparent au pouvoir après que les autres ont sacrifié leurs vies et biens pour la cause ! 

Le Coran est venu reprocher au prophète (saws) d’avoir fait l’option de proposer la formule rançon-liberté aux captifs de la bataille de Badr : « Il n’appartient pas à un Prophète de faire des captifs tant qu’il ne s’est pas affirmé en vainqueur sur terre. Vous voulez les biens de ce monde, mais Dieu veut [pour vous] la vie future. Dieu est Puissant, Sage. » Al-Anfal (8 : 67)

Pourtant rien ne le lui interdisait avant cette révélation, et le prophète (saws) a pris cette décision après avoir consulté ses compagnons. C’était donc une façon de dire aux musulmans de ne jamais mettre en avant des intérêts pécuniaires, car cela risquait de détourner leur intention de servir Dieu rien que pour son agrément. Alors, le prophète (saws) proposa la liberté aux captifs de Badr qui apprendraient à lire et écrire à 10 enfants musulmans.   

Du côté des mecquois, on se battait au nom de fausses divinités, pour maintenir un ordre politique et social injuste, pour le clanisme, pour la possession insatiable, rien que pour ce monde, pour la jouissance, pour que les hommes ne soient ni libres d’adorer le vrai Dieu ni d’établir des relations d’égale dignité et on comprend mieux pourquoi Badr n’était pas une bataille comme les autres et qu’elle fut comme le dit le Coran, la bataille où le vrai (al haqq) se distingua du faux (al bâtil).  

C’est l’appel islamique mondial en tant que tel qui était exposé à la menace mecquoise à Badr car c’est la crème de la première génération qui était en train de se battre pour son maintien, prête à tous les sacrifices. Mais, la petitesse des moyens et la faiblesse du nombre pouvaient faire penser à une défaite cuisante suivi d’un oubli rapide de ces « perturbateurs » de l’ordre traditionnel qurayshite, alors intervint Allah comme à Sa promesse pour faire vaincre son camp : « Ceux qui prennent pour alliés Allah, Son messager et les croyants, ce sont eux le parti d’Allah et ils seront vainqueurs » (Coran 5 : 56)

En vérité, ce jour de la bataille de Badr, an 2 du calendrier musulman correspondant à 624 du calendrier grégorien, les musulmans de la première génération ont tout donné, dans des conditions plus que critiques, pour que l’appel islamique subsiste afin que les promesses de l’islam irradient le monde entier pour le meilleur. Quand cette intention fut claire et les dispositions qui la confirment prises, Allah, le Tout Puissant et Tout Sage les soutint d’une façon unique dans l’histoire de l’islam, des musulmans et du monde.
Ahmadou Makhtar Kanté
Imam, écrivain et conférencier
Email : amakante@gmail.com
Fait à Dakar, le 04/06/2018 – Ramadan 1439H