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"C'était lui et moi", une victime de violences conjugales témoigne

Rédigé par leral.net le Mardi 3 Septembre 2019 à 15:35 | | 0 commentaire(s)|

L'emprise, les insultes, les coups de son compagnon. C'est ce que raconte Julie Dénès dans "Une Poule sur un mur", premier roman autobiographique publié quatorze ans après les faits dénoncés. Un témoignage tristement d'actualité alors que s'ouvre le Grenelle des violences conjugales, ce mardi 3 septembre.


"C'était lui et moi", une victime de violences conjugales témoigne
«Elle ne bouge plus, elle a mal. Un mal qu'elle connaît trop, celui qui vous tue de l'intérieur, vous poursuit, vous accable et vous culpabilise.» Dans Une Poule sur un mur (1), Julie Dénès raconte l'emprise d'un homme dont elle est tombée amoureuse, la relation toxique, les coups, les viols et les sévices qui en ont découlé.

Une spirale infernale dont cette femme de 39 ans a réussi à se libérer au bout de plusieurs années. Aujourd'hui juriste, engagée dans la défense des droits de l'homme, et mère de deux enfants, l'auteure dit avoir trouvé l'équilibre et le bonheur grâce à l'homme qui partage désormais sa vie, aux antipodes de son passé. En publiant ce récit - qui se lit comme un thriller psychologique -, Julie Dénès espère aider d'autres victimes, et libérer la parole.

Vous avez 22 ans quand vous rencontrez Éric*. Il est séducteur, beau parleur, et vous tombez sous son charme. Puis vient le premier coup, le premier viol. Comment, avec le recul, expliquez-vous cet engrenage ?
J’arrive dans une ville que je ne connais pas, je suis seule, et je n’ai jamais vécu d'histoire d'amour. J’ai beau être forte et ambitieuse, j’éprouve un grand besoin de tendresse. Quand je rencontre Éric, il correspond à tout ce que j’aime. Mais très vite, je vais me retrouver coincée dans un cercle infernal. Il va me programmer selon ses besoins et ses envies, jusqu'à me séquestrer à mon propre domicile. Je deviens un objet sexuel qu’il utilise à sa guise et qu’il bouscule quand ça ne va plus. Si la première année a été «supportable», la suivante s'est avérée bien plus cauchemardesque.

Un cauchemar qui dure...
Oui, je lui trouve des excuses, j'en viens même à m’en vouloir quand il me reproche de ne pas être suffisamment présente pour lui... C'est très compliqué de se défaire de son emprise, car il joue avec mes points faibles, en l'occurrence, mon manque de confiance en moi. C’est un cercle terrible, car à l’époque je n’ai personne sur place. Il me coupe peu à peu de mon entourage. J'étais enfermée dans cette relation, chose que je réaliserai bien plus tard. Et pendant tout ce temps-là, je prends les miettes de ce qu’il veut bien me donner.

Vous parviendrez finalement à mettre un terme à cette relation.
Le déclic a eu lieu le 1er janvier 2004, alors que nous passions la soirée ensemble. C’est d’ailleurs à partir de ce moment précis que je me suis mise à chanter pour la première fois cette comptine, «une poule sur un mur», dont le livre tire son nom. C'est à cette période que j’ai commencé à planifier ma fuite. Je devais trouver une solution, je savais que c’était lui ou moi. Au bout de huit mois, j'ai réussi.

Pouvez-vous revenir sur cette comptine et sa signification pour vous ?
Je n'ai pas souvenir de l'avoir chantée lorsque j'étais enfant, elle est venue comme ça. Mais elle renvoie sûrement à l'insouciance, à un univers heureux dans lequel j'avais envie de me réfugier quand les mots et les coups devenaient insupportables.

Pourquoi ne pas avoir prévenu vos proches ?
D’un naturel plutôt timide, je parle peu. Je n’aime pas faire de la peine, encore moins à mes parents. Je ne voulais surtout pas les rendre tristes parce que j’avais mal agi et que j’avais fait le mauvais choix. C’est ce que je pensais à l’époque. Je me sentais responsable, et je voulais leur épargner tout ça. La quasi-totalité de mon entourage a appris mon histoire peu avant la sortie du livre.
 

Vous y racontez qu'avant votre relation toxique avec Éric, vous aviez été victime d'un viol - en 1999. Des années plus tard, vous avez cherché à porter plainte. Mais le policier qui vous reçoit alors, met en doute votre version.
En effet, le policier m’a posé de nombreuses questions qui montraient qu'il doutait de mon récit. Et de m'interroger, notamment, sur la manière dont j’étais habillée ce soir-là, pourquoi j’étais avec lui… L'agent m’a aussi expliqué qu’étant donné que je voulais devenir juriste, cela risquerait de compromettre ma carrière. Il a donc insisté pour que l’affaire soit classée sans suite. Cet épisode m'a empêché de porter plainte contre Éric, par peur de revivre la même situation.

Que diriez-vous, aujourd’hui, à ce policier ?
Que l’on ne peut pas faire un métier pareil si l’on n'est pas formé, pas sensibilisé à recevoir un tel témoignage. En agissant ainsi, il a participé à la destruction qui a suivi le viol. Pour effectuer ce métier, il faut éprouver un minimum d’empathie. Il m’a condamnée à une double peine, en me rendant coupable.

Je me suis réappropriée mon corps et pardonnée

Quelles initiatives pourraient être, selon vous, mises en place pour améliorer le recueil de la parole des victimes ?
Les victimes ne devraient pas avoir à se déplacer, car se rendre au poste de police s'avère être une épreuve très délicate et souvent difficile. Il faudrait pouvoir leur offrir la possibilité d’effectuer une pré-plainte sur Internet (un projet à l'étude pour les victimes de violences sexuelles, NDLR), par exemple. Je pense également qu'un réel accompagnement devrait être instauré, avec des gens formés et à l’écoute. Enfin, d'une manière plus globale, les violences conjugales devraient être, à mon sens, prises en compte dans l'éducation et l'approche de la sexualité.

Avez-vous peur des hommes, de vos sentiments ?
Je n'ai plus peur d'exprimer les choses, ni de parler de ce que j'ai vécu, ni du regard des autres - qui peut être parfois, terrible. Je n'ai plus peur des hommes et je n'éprouve plus le sentiment de devoir répondre à leurs attentes, à leurs besoins, sans que j'en éprouve réellement l'envie. Je me suis réappropriée mon corps et pardonnée. C'est grâce à ça que je suis allée de l'avant. La seule chose que je regrette, c'est la prescription. Aujourd'hui, je me sens suffisamment forte pour porter plainte, mais c'est trop tard, les faits sont prescrits.

Quel message aimeriez-vous transmettre aux femmes victimes des mêmes violences ?
Je pense qu'il est important de rappeler l'existence du numéro 3919. Il faut leur dire qu'elles n'ont pas à avoir honte, peur, ni à se sentir coupable. Nous, les femmes, ne sommes pas «infirmières» : on ne peut pas aider les personnes qui nous infligent ces douleurs, même si on pense les aimer, et que ce qu'ils ressentent est pathologique. Enfin, il faut porter plainte, ne pas rester seule, et surtout, répéter aux victimes que ce n'est pas de leur faute.

* Le prénom a été modifié.

Photo d'illustration Source: madame.lefigaro.fr