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Canicules: comment les vagues de chaleur pèsent-elles sur l'économie en Europe?

Rédigé par leral.net le Samedi 16 Août 2025 à 11:15 | | 0 commentaire(s)|

Les vagues de chaleur vécues chaque année par de nombreux pays européens ont un impact non négligeable sur la santé économique des pays. Entre incendies destructeurs, hausse des dépenses en santé et baisse de productivité : de nombreux facteurs mettent la croissance des pays sous pression.


Canicules: comment les vagues de chaleur pèsent-elles sur l'économie en Europe?
Une vaste partie du Vieux Continent continue à faire face cette semaine à une importante vague de chaleur, au cœur d’un été 2025 une nouvelle fois « record » en Europe. Avec des incendies en Espagne, au Portugal, en Grèce et en Italie, une vigilance rouge pour canicule en France, des températures qui dépassent les 30°C dans les pays nordiques et qui battent des records dans les Balkans… C’est l’Europe toute entière qui souffre de la chaleur en ce mois d’août.

Les températures anormalement élevées ont des répercussions directes sur la santé et sur l’environnement, mais pas uniquement. L’importance des épisodes caniculaires, leurs durées et leurs fréquences mettent aussi à rude épreuve l’économie des pays du monde entier. À tel point que certains spécialistes estiment que ces épisodes prolongés coûtent plusieurs points de PIB à certaines nations et des milliards d’euros.

Le PIB mondial affecté par les vagues de chaleur

Selon une analyse menée par des économistes d’Allianz Trade, publiée le 1er juillet 2025, les vagues de chaleur qui frappent l’Europe depuis le mois de mai pourraient causer une baisse du PIB dans plusieurs pays européens : de -0,1% en Allemagne à -1,4% en Espagne. À l’échelle mondiale, la croissance subirait, elle, une perte de -0,6% en 2025.

En cause : une baisse de la productivité, mais aussi « une augmentation des coûts de santé, une modification des flux touristiques, un risque accru de feux de forêts, une forte pression sur les infrastructures énergétiques… Tous ces effets doivent être pris en compte pour estimer le coût réel des vagues de chaleur », liste David Garcia Leon, scientifique et conseiller auprès du ministère espagnol de l’Agriculture, et auteur d'une étude sur les conséquences économiques des vagues de chaleur en Europe, publiée en 2021 avec le Centre commun de recherche de la Commission européenne.

Cette étude indiquait que le PIB européen avait été entaché d’une perte de 0,3% à 0,5% au cours des années 2003, 2010, 2015 et 2018, « années marquées par des températures anormalement élevées », en raison des vagues de chaleur. Les chercheurs estiment que ces conséquences sur les PIB pourraient être multipliées par près de cinq en Europe d'ici à 2060.

La Banque mondiale affirmait, elle, fin juin, que les villes d'Europe et d'Asie centrale (ECA) « ont connu une hausse forte et constante des températures au cours des dernières décennies, qui devrait tripler le nombre déjà élevé de décès liés à la chaleur (des dizaines de milliers) et réduire le PIB annuel d'environ 2,5 % d'ici à 2050 ».

Sous forte chaleur, une capacité de travail diminuée
Les répercussions économiques des vagues de chaleur sont nombreuses. Les canicules ont des incidences directes sur la santé, sur l’environnement (sécheresses, incendies…), ou encore sur le travail.

Selon David Garcia Leon et les autres auteurs de l'étude du Centre commun de recherche de la Commission européenne, « les chaleurs extrêmes nuisent à la capacité de travail des individus, entraînant une baisse de la productivité, et par conséquent la production économique ». En effet, quand le thermomètre grimpe, la productivité baisse. En 2019, l’Organisation internationale du travail indiquait dans un rapport intitulé « Travailler sur une planète plus chaude », que la productivité d’un travailleur « ralentit déjà à des températures supérieures à 24°-26°C ». Au-delà des 33°-34°C, et pour une intensité de travail modérée, elle « chute de 50% ».

Andreas Flouris, l’un des autres auteurs de l’étude du Centre commun de recherche de la Commission européenne, professeur de physiologie à l'université de Thessalie, en Grèce, confirme, lui aussi, que la productivité des travailleurs est affectée lors d’une canicule. « Davantage de personnes s'absentent du travail, elles doivent prendre des congés en raison des problèmes de santé potentiels liés à la chaleur, mais aussi parce que, même lorsqu'elles travaillent, la chaleur les ralentit ou les oblige à prendre davantage de pauses. En conséquence, leur productivité diminue », explique-t-il.

Lorsque les températures sont trop élevées par rapport à ce que le corps peut tolérer sans souffrir d’altération physiologique, on parle alors d’une situation de « stress thermique ». Celle-ci met en danger les travailleurs, et les contraint à une productivité moindre. Selon l’OIT, « d'ici à 2030, plus de deux pour cent du nombre total d’heures de travail dans le monde devrait être perdu chaque année, soit parce qu’il fait trop chaud pour travailler, soit parce que les travailleurs doivent travailler à un rythme plus lent ». Une perte d’heures de travail qui correspondrait à celle de 80 à 136 millions de postes à plein temps.

Agriculture, tourisme et construction, des secteurs particulièrement touchés
Lors des vagues de chaleur, les secteurs de la construction et de l’agriculture sont en première ligne, et sont plus susceptibles de tourner au ralenti. « Ces secteurs dépendent fortement du travail en extérieur. L’exposition directe à des températures élevées et aux rayons du soleil augmente le risque de stress thermique, de déshydratation et de capacité de travail », reprend David Garcia Leon. « Modifier les horaires de travail et augmenter les pauses peut aider, mais dans certains cas, les tâches ne peuvent pas être reprogrammées ou déplacées en intérieur. »

« Les vagues de chaleur, qu’on observe de plus en plus au cours des dernières années, représentent véritablement une menace pour les secteurs du tourisme et pour ceux de l’agriculture », explique Enrico Somaglia, secrétaire général de la Fédération européenne des syndicats de l'alimentation, de l'agriculture et du tourisme (EFFAT). « Il y a un risque pour la santé et la sécurité du travailleur, avec des cas de maladies liées à la chaleur, des personnes qui perdent la vie en faisant leur travail… », poursuit le secrétaire général de l’EFFAT.

Ludovic Voet, secrétaire confédéral à la Confédération européenne des syndicats, confirme que les secteurs qui nécessitent du travail en extérieur sont les plus affectés. « Les travailleurs de la construction ou de l’agriculture sont exposés aux fortes chaleurs, les livreurs à vélo aussi […] Il y a un risque de surmortalité lié au stress thermique, il y a aussi beaucoup plus d’accidents », rappelle-t-il. Alors la fermeture anticipée des entreprises, ou la réduction du temps de travail, peuvent être des solutions pour préserver la santé des travailleurs, mais il y a, là aussi, des conséquences économiques.

Avec des canicules qui intensifient la « désertification de certaines régions du sud de l’Europe », Enrico Somaglia pointe aussi des risques « pour la sécurité de l’emploi dans l’agriculture et le tourisme ».

Surmortalité, frais de santé… Un coût sanitaire important
En 2022, une étude menée conjointement par Santé publique France et l’université d’Aix Marseille estimait que les canicules survenues en France entre 2015 et 2020 ont coûté entre 22 et 37 milliards d'euros. La majeure partie des dépenses était liée à des arrêts maladies ou à des décès. Selon l’étude, c’est la surmortalité qui a coûté le plus cher : entre 15,9 milliards d’euros, lorsqu’elle est exprimée en années de vies perdues, et 30,2 milliards d’euros lorsqu’elle est exprimée à partir des décès en excès.

La surmortalité est l’une des conséquences connues des canicules. En 2023, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) indiquait, dans une étude, que plus de 61 000 décès survenus en Europe à l’été 2022, l’un des plus chauds jamais enregistrés sur le continent, étaient à imputer à la chaleur. Selon l’Inserm, l’augmentation de la fréquence des vagues de chaleur et « en l’absence d’une réponse adaptative efficace », l’Europe pourrait faire face « à une moyenne de plus de 68 000 décès en excès chaque été d’ici 2030 et de plus de 94 000 d’ici 2040 ».

Andreas Flouris confirme : dans le monde, « des centaines de milliards de dollars sont dépensés à cause de l’augmentation des frais de santé pour les travailleurs en raison du stress thermique ». L’Organisation mondiale du travail estime que plus de 361 milliards de dollars américains pourraient être économisés chaque année, en mettant en place les mesures de sécurité adéquates pour davantage protéger les travailleurs, et ainsi limiter les dépenses liées aux décès et au traitement médical des travailleurs blessés.

Alors que l’Europe est le continent qui se réchauffe le plus vite sur la planète, les scientifiques et les syndicats s’inquiètent pour l'instant de voir les conditions empirer pour les travailleurs, et les conséquences économiques s’aggraver à l’avenir. « Nos économies, nos maisons et nos infrastructures ne sont pas encore adaptées », explique Andreas Flouris.

« Il y a besoin de mettre un cadre législatif en place. On appelle à une directive européenne pour établir des températures maximales pour le travail, pour arrêter le travail quand on est dans des températures inacceptables pour les corps, pour la santé et la sécurité des travailleurs », termine Ludovic Voet.

RFI