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Ces femmes cairotes qui s'inquiètent pour leurs droits

Rédigé par leral.net le Mardi 26 Juin 2012 à 08:59 | | 0 commentaire(s)|

De nombreuses égyptiennes craignent que l'arrivée des islamistes au pouvoir ne menace leurs libertés, dans un pays profondément divisé sur des questions comme le divorce, le harcèlement sexuel ou encore l'excision.


Ces femmes cairotes qui s'inquiètent pour leurs droits
Envoyé spécial au caire

Dimanche soir, tandis qu'une foule immense célébrait place Tahrir l'élection de Mohammed Morsi, Hadil el-Sheikh a choisi de rester chez elle. «Un peu déçue», la jeune femme n'était guère d'humeur à fêter un résultat qui, à ses yeux, «fragilise les droits de la femme égyptienne». Malgré leurs déclarations rassurantes, elle redoute en effet que les Frères musulmans ne s'attaquent à certains acquis de l'ère Moubarak pour satisfaire la frange la plus conservatrice de leur électorat.


Comme de nombreuses femmes d'Égypte, notamment parmi les plus éduquées, cette employée de banque de 29 ans, non voilée et vêtue à l'occidentale, a observé avec inquiétude les premiers pas des islamistes au Parlement. Certains se sont distingués en proposant de réformer la «khola», une disposition qui permet aux femmes de divorcer sans l'accord de leur mari, «afin de protéger l'institution familiale». D'autres, d'obédience salafiste, ont réclamé l'abaissement de l'âge du mariage pour les filles ou la légalisation de l'excision. Autant de «ballons d'essai» qui ont vite été abandonnés devant la bronca des féministes et des libéraux.

«Il ne faut pourtant pas s'y tromper, plaide Nehad Abu el-Komsan, présidente du Centre égyptien pour les droits de la femme. Les Frères musulmans jouent un jeu qui consiste à se présenter comme des libéraux tout en poussant les salafistes à avancer des projets de loi rétrogrades. Effrayés par l'augmentation du nombre de divorces, ils sont convaincus que les droits de la femme représentent une menace pour l'équilibre de la société.»

Pays de tradition conservatrice, l'Égypte a adopté dans les années 2000 plusieurs lois progressistes sur le statut de la femme. L'âge légal du mariage est passé de 16 à 18 ans, le harcèlement sexuel et l'excision sont devenus des infractions pénales, les droits des mères divorcées vis-à-vis de leurs enfants ont été consolidés. «Moubarak ne s'intéressait pas particulièrement à ces questions mais il les a toujours abordées comme autant de points négociables, explique Nehad Abu el-Komsan. Autrement dit, il lâchait sur les droits de la femme pour ne pas avoir à le faire sur la torture ou sur la liberté d'expression.»

«L'ignorance et la pauvreté»

Sitôt arrivés au Parlement, les élus du parti Justice et liberté, émanation des Frères musulmans, ont réclamé la suppression du Conseil des droits de la femme, créé par Suzanne Moubarak, qui à leurs yeux incarnait trop clairement l'ancien régime. Un signal ambigu que Mohammed Morsi, soucieux d'éviter les procès en obscurantisme, s'est employé à corriger début juin: «Des lois protégeant les femmes existent déjà et je n'entends pas les modifier, qu'il s'agisse de l'âge légal du mariage, de la khola ou de l'excision.»

«Cette controverse sur les droits de la femme est le fruit d'une campagne méthodique de l'ancien régime pour tenter de discréditer les Frères musulmans», se défend pour sa part la député islamiste Azza el-Garf, devenue la bête noire des féministes depuis qu'elle s'est déclarée favorable à la révision de sept textes encadrant le mariage, le divorce et la garde des enfants au motif qu'ils seraient «nuisibles à la société». «La vérité, c'est que nous n'avons déposé aucun projet de loi en ce sens car notre priorité est de favoriser l'émancipation des femmes par le développement économique du pays», jure-t-elle aujourd'hui, sans convaincre ses nombreux détracteurs.

Comme nombre de féministes, Hadil el-Sheikh estime ainsi que la récente montée de l'islamisme fait peser sur les Égyptiennes une pression qui n'existait pas autrefois. «Il y a cinq ans, la banque qui m'emploie interdisait aux femmes voilées de se trouver en contact avec les clients, raconte-t-elle. Aujourd'hui, il me suffit de sortir en robe pour essuyer des regards plus ou moins hostiles des passants, et parfois des remarques menaçantes.»

Issue d'une famille très pieuse, Imen Mohamed incarne un autre visage de la femme égyptienne. Âgée de 23 ans, portant le voile mais ne dédaignant pas une certaine coquetterie, elle rêve de marcher sur les traces de Mona Chazly, célèbre présentatrice de talk-shows dont elle apprécie «la tenue respectable» et «le langage toujours soutenu». «Bien plus que l'islamisme, plaide-t-elle, c'est l'ignorance et la pauvreté qui favorisent l'oppression des femmes égyptiennes.» À l'entendre, leur statut ne serait nullement menacé par l'arrivée au pouvoir des Frères musulmans.



Par Cyrille Louis