L’agitation créée par la découverte de pétrole au Sénégal ne laisse personne indifférente. Jamais dans l’histoire de notre pays, la découverte d’une ressource naturelle n’a suscité autant de passions, de polémiques et d’idées reçues. Mais surtout d’inquiétudes et de peurs.
Comme beaucoup de mes concitoyens, le débat suscité par le pétrole m’inquiète et me chagrine beaucoup. A mon avis, la question des contrats et des parts qui occupe tout le débat, est certes importante, mais ne doit pas nous dévier de certaines autres préoccupations essentielles. A propos de ces contrats justement, le devoir de transparence de l’Etat en vers les populations est certes indiscutable, mais les dérives possessives entretenues par une certaine partie de l’opinion nationale ne sont pas de nature à favoriser un dialogue constructif et risquent de perturber outre mesure les prochaines concertations.
Pourtant d’autres ressources naturelles aussi précieuses que le pétrole, le zircon par exemple, sont, depuis bientôt une dizaine d’années, en train de charrier des sommes d’argent absolument faramineuses sans pour autant que personne ne s’en soucie. Alors, pourquoi et subitement le pétrole ? Mystère !
Pensez-vous, si rien ne change, que les revenus du pétrole régleront quelque chose que l’argent du zircon et d’autres ressources précieuses n’a pas permis de régler ?
Pour moi, c’est moins la ressource que la façon de la gérer qui détermine tout le reste. Tant que nous ne savons pas ce que nous avons et voulons, nos ressources continueront d’être dilapidées et exportées sans pour autant que nous puissions en tirer un réel profit.
Pis, j’ai de plus en plus l’impression que l’avenir de notre pays doit désormais être pensé et réfléchi sous l’angle de la seule ressource pétrolière. Or, les incertitudes et contradictions liées à la nouvelle économie pétrolière clairement démontrées par de sérieuses études d’intelligence économique, devraient nous pousser à plus de prudence et à entrevoir le modèle économique futur de notre pays sous un angle plus holistique.
La récente décision des pays de l’OPEP de réduire leur production de pétrole et l’option de certains groupes pétroliers de réduire leurs investissements, la multinationale française TOTAL par exemple, traduisent la grande frilosité qui caractérise le marché pétrolier mondial.
Alors que d’un côté la production de pétrole coûte de plus en plus cher (celui de schiste surtout) - au point d’obliger d’anciens pays producteurs à revoir à la baisse leurs objectifs de production -, de l’autre, le retour soudain des Etats-Unis dans le groupe des grands pays producteurs, perturbe les prévisions de production et de rentes et rend la concurrence de plus en plus rude. L’option du Président Trump de relancer la production pétrolière américaine devrait, dans les prochaines décennies, se traduire par des situations temporaires de surproduction et de chute Inévitable des prix du baril de pétrole.
Ce retour des Etats-Unis dans le marché pétrolier mondial pourrait incontestablement précipiter le monde vers le fameux pic pétrolier (peak oil) qui devrait inéluctablement être suivi par une longue période de baisse continue des productions et de la rente financière liée au pétrole. On connait maintenant bien la forte capacité du géant américain à provoquer des crises d’envergure planétaire et à les exploiter à son profit. L’embrasement provoqué en 2008 par la crise de son marché hypothécaire et dont les conséquences affectent jusqu’à présent nos économies, en est une parfaite illustration.
Certains grands penseurs comme l’américain James Howard Kunstler auteur d’un livre au titre glaçant intitulé « La fin du pétrole : le vrai défi du XXIème siècle », ont beaucoup théorisé sur le Peak oil dont les premiers signaux auraient commencé à se manifester depuis une dizaine d’années.
Sur un autre registre, la promotion de l’efficacité énergétique devrait se traduire par une dépendance de moins en moins importante au pétrole. Du côté de l’industrie automobile et des transports par exemple, le développement du véhicule électrique pourrait avoir comme principale conséquence, le remplacement progressif du moteur thermique, c’est-à-dire à allumage par compression, par le moteur électrique ; ce qui incontestablement, entraînera une diminution substantielle de l’utilisation des produits pétroliers dans ces secteurs économiques. C’est ce qu’on appelle la transition énergétique, entérinée en novembre 2016 par l’accord de Paris. Les pays développés surtout auront de moins en moins besoin de pétrole pour faire fonctionner leurs économies ou approvisionner en énergie leurs populations.
Mais attention ! Je ne suis pas en train de dire que le Sénégal n’a pas grand-chose à attendre de son pétrole. Non ! Mais les constats qui précèdent me confortent de jour en jour dans l’idée que nous devons être très vigilants et particulièrement créatifs pour profiter pleinement du peu de pétrole dont nous disposons. Autant le pétrole peut constituer une opportunité pour une économie jeune comme la nôtre, autant il peut être un piège tout aussi redoutable que celui de l’arachide. Annoncé au début du siècle dernier comme le futur moteur de l’économie nationale, l’arachide a fini par trahir tous les espoirs porté sur elle à cause d’une part, d’un marché mondial déréglé et farouchement concurrentiel, et d’autre part, du fait de choix politiques internes boîteux et sans réels intérêts pour les petits exploitants qui assurent l’essentiel de la production.
Le comble vient de la Chine qui, après avoir suscité tous les espoirs, nous a soudainement tourné le dos. Ce qui, aujourd’hui, plonge la filière arachidière dans une agonie mortelle. Il semble que l’Empire du milieu s’est lancé depuis quelques années dans une vaste opération de collecte de graines semencières pour doper sa production intérieure et aller à l’assaut du marché mondial de l’arachide et produits dérivés, avec probablement ses sinistres méthodes de dumping. Il n’est donc pas improbable qu’elle nous revienne plus tard, pour nous vendre de l’arachide à des prix défiant toute concurrence. Prudence, donc !
Pour ces quelques raisons que je viens d’évoquer - et qui détermineront certainement nos chance de succès dans le pétrole et le gaz -, je souhaiterais que le débat puisse être un peu plus attentif sur d’autres questions essentielles, mais surtout réaliste. Mon plus grand souhait est que trois au moins des questions qui me paraissent importantes, puissent être inscrites à l’ordre du jour du débat national sur le pétrole et le gaz souhaité par le Président la République son Excellence Macky Sall. Même s’il arrive que certains débatteurs pensent que ce n’est pas le lieu ou le moment pour en discuter, qu’elles puissent au moins être posées afin de préparer l’opinion publique à la recherche de réponses adéquates et constructives. Les deux premières concernent la destination envisagée de la production et l’utilisation prévue des revenus générés.
La destination questionne aussi bien les formes de valorisation prévues que le type de marché visé en priorité (national, sous-régional, régional, ou mondial) et l’utilisation des revenus les stratégies de réinvestissement et les formes de partages envisagées. Par rapport à cette seconde question, l’expérience de certains états arabes - où les revenus du pétrole ont servi à financer les secteurs sociaux et à appuyer la petite économie par le biais de subventions et d’aides diverses - peut nous être particulièrement précieuse. Dans tous les pays où le pétrole est devenu une source de malédictions (rebellions, guerres civiles, grand banditisme), cette question a rarement fait l’objet d’une préoccupation sérieuse, si elle n’a pas été tout simplement ignorée.
La troisième question concerne les mécanismes prévus pour atténuer les impacts de la production pétrolière sur l’environnement, et les écosystèmes et communautés littoraux en particuliers (offshore). Pour moi, les études d’impacts sont utiles, mais ne suffisent pas et doivent être complétées par des clauses contractuelle claires et précises.
Pour prendre en charge ces questions essentielles, une commission nationale chargée de l’organisation des concertations et du suivi des recommandations qui en seront issues ne serait pas, à mon avis, de trop. Composées de l’ensemble des sensibilités socio-économiques et politiques du pays, elle permettrait non seulement d’instaurer une relation de confiance entre l’Etat et les représentants des populations, mais surtout d’avoir un cadre de réflexion unifié sur le pétrole et le gaz. Les initiatives existantes (Cos-petrogaz par exemple) sont très pertinentes, mais semblent très cloisonnées et peu accessibles à l’opinion publique.
Je crois également qu’il temps que notre pays se dote d’une forte cellule d’intelligence stratégique chargée de réfléchir sur ces questions d’avenir qui nous interpelleront forcément.
En fin, j’invite tous les acteurs à faire preuve de discernement et à ne pas se laisser influencer par certains discours de cette subite pensée unique pétrolière et autres « pétrophéties ».
Bonnes concertations !
Dr Ousmane THIAM
Géographe-aménagiste
Spécialiste d’économie du développement
Comme beaucoup de mes concitoyens, le débat suscité par le pétrole m’inquiète et me chagrine beaucoup. A mon avis, la question des contrats et des parts qui occupe tout le débat, est certes importante, mais ne doit pas nous dévier de certaines autres préoccupations essentielles. A propos de ces contrats justement, le devoir de transparence de l’Etat en vers les populations est certes indiscutable, mais les dérives possessives entretenues par une certaine partie de l’opinion nationale ne sont pas de nature à favoriser un dialogue constructif et risquent de perturber outre mesure les prochaines concertations.
Pourtant d’autres ressources naturelles aussi précieuses que le pétrole, le zircon par exemple, sont, depuis bientôt une dizaine d’années, en train de charrier des sommes d’argent absolument faramineuses sans pour autant que personne ne s’en soucie. Alors, pourquoi et subitement le pétrole ? Mystère !
Pensez-vous, si rien ne change, que les revenus du pétrole régleront quelque chose que l’argent du zircon et d’autres ressources précieuses n’a pas permis de régler ?
Pour moi, c’est moins la ressource que la façon de la gérer qui détermine tout le reste. Tant que nous ne savons pas ce que nous avons et voulons, nos ressources continueront d’être dilapidées et exportées sans pour autant que nous puissions en tirer un réel profit.
Pis, j’ai de plus en plus l’impression que l’avenir de notre pays doit désormais être pensé et réfléchi sous l’angle de la seule ressource pétrolière. Or, les incertitudes et contradictions liées à la nouvelle économie pétrolière clairement démontrées par de sérieuses études d’intelligence économique, devraient nous pousser à plus de prudence et à entrevoir le modèle économique futur de notre pays sous un angle plus holistique.
La récente décision des pays de l’OPEP de réduire leur production de pétrole et l’option de certains groupes pétroliers de réduire leurs investissements, la multinationale française TOTAL par exemple, traduisent la grande frilosité qui caractérise le marché pétrolier mondial.
Alors que d’un côté la production de pétrole coûte de plus en plus cher (celui de schiste surtout) - au point d’obliger d’anciens pays producteurs à revoir à la baisse leurs objectifs de production -, de l’autre, le retour soudain des Etats-Unis dans le groupe des grands pays producteurs, perturbe les prévisions de production et de rentes et rend la concurrence de plus en plus rude. L’option du Président Trump de relancer la production pétrolière américaine devrait, dans les prochaines décennies, se traduire par des situations temporaires de surproduction et de chute Inévitable des prix du baril de pétrole.
Ce retour des Etats-Unis dans le marché pétrolier mondial pourrait incontestablement précipiter le monde vers le fameux pic pétrolier (peak oil) qui devrait inéluctablement être suivi par une longue période de baisse continue des productions et de la rente financière liée au pétrole. On connait maintenant bien la forte capacité du géant américain à provoquer des crises d’envergure planétaire et à les exploiter à son profit. L’embrasement provoqué en 2008 par la crise de son marché hypothécaire et dont les conséquences affectent jusqu’à présent nos économies, en est une parfaite illustration.
Certains grands penseurs comme l’américain James Howard Kunstler auteur d’un livre au titre glaçant intitulé « La fin du pétrole : le vrai défi du XXIème siècle », ont beaucoup théorisé sur le Peak oil dont les premiers signaux auraient commencé à se manifester depuis une dizaine d’années.
Sur un autre registre, la promotion de l’efficacité énergétique devrait se traduire par une dépendance de moins en moins importante au pétrole. Du côté de l’industrie automobile et des transports par exemple, le développement du véhicule électrique pourrait avoir comme principale conséquence, le remplacement progressif du moteur thermique, c’est-à-dire à allumage par compression, par le moteur électrique ; ce qui incontestablement, entraînera une diminution substantielle de l’utilisation des produits pétroliers dans ces secteurs économiques. C’est ce qu’on appelle la transition énergétique, entérinée en novembre 2016 par l’accord de Paris. Les pays développés surtout auront de moins en moins besoin de pétrole pour faire fonctionner leurs économies ou approvisionner en énergie leurs populations.
Mais attention ! Je ne suis pas en train de dire que le Sénégal n’a pas grand-chose à attendre de son pétrole. Non ! Mais les constats qui précèdent me confortent de jour en jour dans l’idée que nous devons être très vigilants et particulièrement créatifs pour profiter pleinement du peu de pétrole dont nous disposons. Autant le pétrole peut constituer une opportunité pour une économie jeune comme la nôtre, autant il peut être un piège tout aussi redoutable que celui de l’arachide. Annoncé au début du siècle dernier comme le futur moteur de l’économie nationale, l’arachide a fini par trahir tous les espoirs porté sur elle à cause d’une part, d’un marché mondial déréglé et farouchement concurrentiel, et d’autre part, du fait de choix politiques internes boîteux et sans réels intérêts pour les petits exploitants qui assurent l’essentiel de la production.
Le comble vient de la Chine qui, après avoir suscité tous les espoirs, nous a soudainement tourné le dos. Ce qui, aujourd’hui, plonge la filière arachidière dans une agonie mortelle. Il semble que l’Empire du milieu s’est lancé depuis quelques années dans une vaste opération de collecte de graines semencières pour doper sa production intérieure et aller à l’assaut du marché mondial de l’arachide et produits dérivés, avec probablement ses sinistres méthodes de dumping. Il n’est donc pas improbable qu’elle nous revienne plus tard, pour nous vendre de l’arachide à des prix défiant toute concurrence. Prudence, donc !
Pour ces quelques raisons que je viens d’évoquer - et qui détermineront certainement nos chance de succès dans le pétrole et le gaz -, je souhaiterais que le débat puisse être un peu plus attentif sur d’autres questions essentielles, mais surtout réaliste. Mon plus grand souhait est que trois au moins des questions qui me paraissent importantes, puissent être inscrites à l’ordre du jour du débat national sur le pétrole et le gaz souhaité par le Président la République son Excellence Macky Sall. Même s’il arrive que certains débatteurs pensent que ce n’est pas le lieu ou le moment pour en discuter, qu’elles puissent au moins être posées afin de préparer l’opinion publique à la recherche de réponses adéquates et constructives. Les deux premières concernent la destination envisagée de la production et l’utilisation prévue des revenus générés.
La destination questionne aussi bien les formes de valorisation prévues que le type de marché visé en priorité (national, sous-régional, régional, ou mondial) et l’utilisation des revenus les stratégies de réinvestissement et les formes de partages envisagées. Par rapport à cette seconde question, l’expérience de certains états arabes - où les revenus du pétrole ont servi à financer les secteurs sociaux et à appuyer la petite économie par le biais de subventions et d’aides diverses - peut nous être particulièrement précieuse. Dans tous les pays où le pétrole est devenu une source de malédictions (rebellions, guerres civiles, grand banditisme), cette question a rarement fait l’objet d’une préoccupation sérieuse, si elle n’a pas été tout simplement ignorée.
La troisième question concerne les mécanismes prévus pour atténuer les impacts de la production pétrolière sur l’environnement, et les écosystèmes et communautés littoraux en particuliers (offshore). Pour moi, les études d’impacts sont utiles, mais ne suffisent pas et doivent être complétées par des clauses contractuelle claires et précises.
Pour prendre en charge ces questions essentielles, une commission nationale chargée de l’organisation des concertations et du suivi des recommandations qui en seront issues ne serait pas, à mon avis, de trop. Composées de l’ensemble des sensibilités socio-économiques et politiques du pays, elle permettrait non seulement d’instaurer une relation de confiance entre l’Etat et les représentants des populations, mais surtout d’avoir un cadre de réflexion unifié sur le pétrole et le gaz. Les initiatives existantes (Cos-petrogaz par exemple) sont très pertinentes, mais semblent très cloisonnées et peu accessibles à l’opinion publique.
Je crois également qu’il temps que notre pays se dote d’une forte cellule d’intelligence stratégique chargée de réfléchir sur ces questions d’avenir qui nous interpelleront forcément.
En fin, j’invite tous les acteurs à faire preuve de discernement et à ne pas se laisser influencer par certains discours de cette subite pensée unique pétrolière et autres « pétrophéties ».
Bonnes concertations !
Dr Ousmane THIAM
Géographe-aménagiste
Spécialiste d’économie du développement