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DES BOTTES, DES BAÏONNETTES ET DES BÉNÉDICTIONS

Rédigé par leral.net le Vendredi 16 Mai 2025 à 01:08 | | 0 commentaire(s)|

EXCLUSIF SENEPLUS - C’est à se demander si Guy Marius ne croit pas qu’un képi anti-impérialiste vaut mieux qu’un bulletin de vote, qu’un colonel qui crie "à bas la Françafrique" est automatiquement un démocrate. Un anticolonialisme de basse-cour

Dans la grande foire panafricaine du XXIe siècle, il y a désormais un ticket gagnant : enfiler un treillis, dénoncer la France, citer Sankara, et promettre la "souveraineté retrouvée". Le peuple ? On s’en chargera plus tard. Les libertés ? Patience. Les élections ? On y pense… entre deux décrets de suspension des partis politiques.

Guy Marius Sagna, héraut autoproclamé de la dignité africaine, s’est récemment illustré en apportant, avec une candeur désarmante, sa bénédiction militante aux militaires du Burkina Faso. Un pays où les libertés publiques s’effilochent à grande vitesse, mais qui a en commun avec certains de ses voisins, de dire "non" à la France. Cela suffit, semble-t-il, pour passer du statut de despote en treillis à celui de héros panafricain. C’est à se demander si Guy Marius ne croit pas qu’un képi anti-impérialiste vaut mieux qu’un bulletin de vote, qu’un colonel qui crie "à bas la Françafrique" est automatiquement un démocrate, et qu’un militaire sans projet mais avec une posture « anti-occidentale » vaut plus qu’un civil maladroit mais élu. Peut-être devrait-on envisager, au Sénégal aussi, de confier l’État à ceux qui savent manier le micro autant que le fusil.

Mais revenons aux faits, ceux que l’on cache sous les incantations souverainistes.

Au Burkina Faso, Ibrahim Traoré a transformé le pays en laboratoire de la militarisation absolue. La presse est bâillonnée, les opposants mis sous silence, la Constitution rangée dans un tiroir. Ceux qui protestent disparaissent. Mais qu’importe, on a remplacé les baguettes françaises par les fusils russes. Et puis, Traoré parle de Thomas Sankara comme on parle d’un grand-père dont on trahit chaque valeur, mais qu’on invoque à chaque repas.

Au Mali, Assimi Goïta gouverne comme un roi sans couronne. Les journalistes ? Trop bavards. Les ONG ? Trop curieuses. Les civils ? Trop exigeants. On préfère les "partenaires sécuritaires" russes, qui, eux, ne posent pas de questions. Et si les morts s’accumulent dans le centre du pays, ce n’est qu’un dommage collatéral du patriotisme. Le Mali, selon les nouveaux codes, se redresse à coups de propagande et de censure.

En Guinée, Mamadi Doumbouya gouverne par décrets et communiqués. Pas besoin d’élections : il suffit d’un bon discours sur la refondation pour faire taire les critiques. On coupe Internet, on disperse les manifestations à balles réelles, on reporte les élections à la Saint-Glinglin. Mais rassurez-vous : c’est pour "assainir le pays". Rien que ça. Et à défaut de liberté, le peuple aura la satisfaction d’une belle cérémonie militaire tous les 2 octobre.

Quant au Niger, depuis qu’Abdourahmane Tiani a déposé le président élu, la junte s’essaie à l’art du slogan. "La France dehors", "Le peuple est avec nous", "L’Afrique se lève". Entre deux envolées lyriques, on oublie les droits humains, les libertés fondamentales, et les difficultés sociales croissantes. Le peuple ? Toujours debout, mais affamé. Les militaires ? Toujours au pouvoir, et bien nourris.

Face à ce tableau, notre « vigilant » député applaudit depuis Dakar, lui qui aurait crié au scandale si un seul de ces faits s’était produit au Sénégal, avant l’accession de sa coalition au pouvoir. Il célèbre ces régimes comme des bastions de dignité retrouvée. Il salue leurs courages face à l’Occident. Il acclame leurs discours et cautionne, par ricochet, leurs répréhensibles actions. Lui qui n’a jamais toléré une coupure d’Internet à Dakar, sous l’ancien régime, trouve soudain des vertus à la censure au Niger. Lui qui dénonçait l’arrestation d’un activiste à Ziguinchor, ferme les yeux sur les disparitions d’opposants à Ouagadougou. Lui qui exigeait la séparation des pouvoirs au Sénégal, n’en demande pas autant aux colonels de Bamako. Il embrasse l’autoritarisme qui flatte ses fantasmes idéologiques. Une attitude où la pantalonnade et le cynisme idéologique dament le pion à la cohérence militante. C’est à croire que l’anticolonialisme, dans certains cercles, est devenu une indulgence plénière. Il efface tout. Le manque de légitimité, les abus, la violence d’État. Un anticolonialisme de basse-cour, prêt à applaudir n’importe quel coq pourvu qu’il crie « France dégage ! ». La ficelle est grosse mais elle passe. Certains intellectuels, autrefois fiers lecteurs de Fanon et de Cabral, tombent dans le panneau avec une grâce presque touchante.

Mais une tyrannie anti-française reste une tyrannie ! Et applaudir des régimes qui confisquent les droits du peuple au nom de slogans creux, c’est renier l’essence même du combat pour la justice. Sankara, encore lui, ne disait pas seulement : "l’impérialisme est l’ennemi". Il disait aussi : "La démocratie doit être l’arme des peuples." Pas des colonels. Pas des comités militaires. Sankara n’était pas qu’un capitaine insurgé. C’était un intellectuel rigoureux, un travailleur infatigable, un dirigeant visionnaire, un homme qui parlait d’éducation, d’émancipation, de santé, de dignité féminine et non de pouvoir pour le pouvoir. Il refusait les honneurs, les limousines, les flatteries. Ce qu’on voit aujourd’hui, ce sont des militaires qui utilisent sa mémoire pour légitimer leur emprise. Mais leurs bilans sont tragiquement éloignés de ses idéaux. Que font réellement ces juntes pour la santé, l’éducation, la justice sociale ? Où sont les programmes pour la jeunesse, les femmes, les agriculteurs ? Combien de temps encore va-t-on applaudir des discours pendant que les libertés s’effondrent ? Et pourquoi ceux qui se disent proches du peuple se retrouvent-ils soudain à bénir ses bourreaux, dès lors que ces derniers pointent un doigt rageur vers Paris ? L’Afrique mérite mieux qu’une révolution de façade. Mieux que des drapeaux brandis et des radios fermées. Mieux que des « activistes » qui deviennent des supporters de dictateurs qui chantent la « bonne » chanson. La souveraineté ne se mesure pas au volume des slogans, mais à la capacité à garantir la liberté, la justice, la dignité pour tous.

À ceux qui, comme notre parlementaire de la CEDEAO, confondent révolte et réflexe, engagement et fanfaronnade, rappelons que l’indignation n’a de sens que si elle est constante. On ne peut pas « défendre » les droits à Dakar et les enterrer à Conakry. On ne peut pas exiger la démocratie chez soi et bénir la tyrannie ailleurs. Oui, la lutte contre le néocolonialisme est indispensable. Mais si c’est pour échanger une domination étrangère contre une oppression nationale, nous aurons perdu deux fois. Car une tyrannie ne devient pas vertu parce qu’elle crie plus fort contre l’Occident. Et une baïonnette ne donne pas raison simplement parce qu’elle brandit le drapeau de la souveraineté. Ce n’est pas trahir l’Afrique que de refuser d’applaudir ses bourreaux, fussent-ils habillés de patriotisme. C’est lui rester fidèle que de défendre, partout et toujours, les droits de ses enfants. L’Afrique n’a pas besoin de nouveaux maîtres. Elle a besoin de justice, de voix libres, de dirigeants redevables, de citoyens debout. L’Afrique a assez souffert des faux prophètes, des faux révolutionnaires, des faux sauveurs. Elle mérite une critique cohérente, exigeante, et fidèle à ses aspirations profondes. Et si certains veulent s’en remettre aux militaires pour restaurer la dignité, qu’ils n’oublient jamais que les bottes, elles, piétinent. Et ceux qui aiment l’Afrique, tant de fois blessée, doivent pouvoir le dire haut et fort même quand cela dérange les « héros » du jour. Parce qu’aimer l’Afrique, ce n’est pas la flatter. C’est la protéger. Contre tous les oppresseurs. Sans exception.

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Farid


Source : https://www.seneplus.com/politique/des-bottes-des-...