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Département de Ziguinchor: Sindone, un village à l’accent portugais

Rédigé par leral.net le Mercredi 21 Février 2024 à 20:28 | | 0 commentaire(s)|

L’un des plus vieux villages de la Casamance, Sindone, a accueilli, durant 300 ans, des Portugais. Le seul bourg dans cette partie sud du Sénégal, où les populations usent du créole au même titre que celles de la proche Guinée-Bissau. À l’instar de beaucoup de villages de la verte Casamance, Sindone a été victime de l’irrédentisme […]

L’un des plus vieux villages de la Casamance, Sindone, a accueilli, durant 300 ans, des Portugais. Le seul bourg dans cette partie sud du Sénégal, où les populations usent du créole au même titre que celles de la proche Guinée-Bissau. À l’instar de beaucoup de villages de la verte Casamance, Sindone a été victime de l’irrédentisme casamançais. Cette localité pas comme les autres, avec une population en majorité chrétienne, regorge encore de quelques traces islamiques avec le séjour du grand conquérant et guide religieux, Elhadj Omar Foutiyou Tall. 

Logé presque dans la « gueule » de Ziguinchor et de Goudomp, Sindone est à mi-chemin de ces deux grandes villes. À 24 km de la capitale du sud et à 26 km de Goudomp, région de Sédhiou. Il est l’un des villages les plus anciens au Sénégal. Terre « portugaise », elle portait fièrement le nom de « terra de metadi ». À l’époque, en quittant Carabane pour rallier Sédhiou, Sindone était au milieu et il fallait impérativement y passer avant d’atteindre Sédhiou. L’histoire évoluant, les délimitations géographiques changeant, des verrous ont sauté. Trouvant le village stratégique dans un environnement géopolitique avec la colonisation, les Portugais en ont fait une terre d’accueil et s’y sont installés pendant 300 ans. Aujourd’hui encore, les vestiges de leur passage sont visibles dans le village qui était au bord du fleuve où les Portugais avaient installé des comptoirs commerciaux. De grosses pierres rouges, reliques d’anciens bâtiments et les restes des comptoirs, marqueurs du passage des Portugais, sont encore visibles. Cette longue présence des Portugais a fait que tous les villageois de Sindone parlent le « créole » contrairement aux autres villages où les langues locales s’imposent. Un créole aussi soutenu que celui parlé par la population bissau-guinéenne. « Ce n’est même pas le créole que l’on parle en Guinée-Bissau. Un vieil animateur de la radio bissau-guinéenne aimait à dire que si les gens voulaient entendre le vrai créole, il fallait qu’ils se rendent à Sindoné », explique M. Mathieu Badiane. De confession chrétienne en majorité, le bourg a accueilli des pères missionnaires. Parmi eux, l’un des plus célèbres, répondant au nom de père Esvon et dont la maison d’accueil s’appelait « casa di padro » (la maison du prêtre). Elle est aujourd’hui la propriété du diocèse. « Le père Esvon faisait souvent escale à Sindoné et y a même construit une chapelle », explique M. Badiane, agent sanitaire.

Des années plus tard, Sindone a accueilli d’autres ethnies de confession musulmane. Une diversité religieuse avec une population chrétienne, musulmane et animiste qui vit dans une parfaite harmonie avec la prédominance de la religion chrétienne. Le village s’est ainsi agrandi au fil des années. Mathieu Badiane renseigne que le foyer de Sindone a été créé par un père missionnaire spirituel du nom de Josaliyente, qui vit jusqu’à présent en France au foyer de Steno. Au Sénégal, il n’existe que deux foyers. Celui du Cap des Biches à Dakar et le foyer de charité de Sindone dirigé par un prêtre sénégalais du nom de Paul Bacary Mané qui a succédé au défunt père Ernest Amana, originaire de Afignam. « Le foyer reçoit toute personne sans distinction de race, de religion. Les gens viennent de partout pour une retraite spirituelle et mieux s’armer et répondre aux appels du Seigneur », renseigne M. Badiane.

Le passage de l’érudit musulman Elhadj Omar Foutiyou Tall… 

Selon les historiens, le conquérant et guide religieux Elhadj Omar Foutiyou Tall a séjourné à Sindone et les traces de son séjour sont encore visibles. Il se raconte qu’à son arrivée dans le village, pris par la fatigue, le saint homme s’est reposé à l’ombre d’un palmier qui a pris la forme d’un serpent. Depuis lors, le lieu est devenu sacré. Des pèlerins viennent de partout pour se recueillir à Sindone Santassou. Le village recèle aussi d’autres mystères avec ses génies protecteurs qui faisaient qu’il était devenu une terre de passage. Point stratégique, il a reçu les premiers habitants de Ziguinchor qui n’était pas si important du point de vue économique. Ce qui fait que beaucoup de ressortissants de Ziguinchor ont leurs parents originaires de Sindone. Il s’agit des familles Carvalho, Ndiaye, Fonseca.

Village dont les habitants sont majoritairement des ethnies diolas et baynouks, ces derniers en seraient les fondateurs. Venus de la zone de Diassine dans le Sédhiou, ils ont, plus tard, accueilli les Diolas. Les deux ethnies ont ainsi vécu dans une parfaite harmonie, vivant d’agriculture et cultivant le « riz paddy » pendant six mois avec des rizières qui produisaient abondamment du riz. Polarisant beaucoup de villages, celui de Baghagha est né de Sindone. Des années plus tard, les Diolas, les Manjaks, les Mandingues, les Mancagnes, les Peuls et les Laobés ont rejoint les Baynouks, ce qui fit que le village a connu une forte croissance démographique.

L’irrédentisme casamançais et ses dégâts 

Comme tous les villages de la Casamance, Sindone a payé un lourd tribut à la crise casamançaise, enregistrant des morts et des personnes victimes des mines. Certains quartiers de Sindone ont été désertés par leurs habitants qui sont allés chercher refuge aux abords de la Rn6 dans les quartiers tels que Ndambou et Tranquille. Face à une telle situation d’insécurité, l’école a été aussi transférée de Sindoné Centre aux Hlm. Village à l’élevage florissant, le vol de bétail a freiné son essor. « Les voleurs profitaient de la crise pour commettre leur forfait. Mais avec Caritas, on a connu un recul du vol dans le village », confie notre interlocuteur.

Arrosant un arbre, le chef de village de Sindone, René Jean Pierre Preira, la soixantaine, solide sur ses jambes et le teint noir, est aujourd’hui le patriarche. Il a succédé à son défunt père. Il souligne que leur origine, c’est dans le Diassine à Sédhiou. « Mon vrai nom de famille c’est Badjinka. C’est ici qu’on a changé de nom en portant celui de Pereira. C’est un lieu qui était habité par des Portugais qui y ont trouvé des Baynouks », confie-t-il. Le sexagénaire raconte que Sindone a connu trois grandes attaques en 1993 qui avaient fait fuir tout le village. « C’était une année électorale. On a assisté à un sauve-qui-peut ce jour-là. Quelques mois plus tard, une partie de la population est revenue. Elle pensait avoir retrouvé la quiétude. Deux ans plus tard, en 1995, les irrédentistes reviennent et font une autre attaque musclée. La dernière attaque remonte à 1998 où presque tous les jeunes ont fui sauf les vieux qui ont préféré rester et laisser tout entre les mains du Bon Dieu.

Après ces attaques des irrédentistes, les habitants sont revenus en masse. Le village qui ne comptait que deux quartiers, Ndambou et Tranquille, s’est retrouvé avec cinq nouveaux grands quartiers : Sindone Basse, Gohou, Hlm, Lagoua, Liberté et Santassou. En effet, avec l’accalmie, d’autres habitants des villages environnants sont venus chercher refuge à Sindone à l’instar des familles de Diattacounda, de Goudomp, de Singhère, etc.

Précarité, manque d’infrastructures… les maux de Sindoné 

Comme beaucoup de villages en Casamance, Sindone cherche à sortir de la précarité. Au niveau de l’électrification, il reste encore à faire. Le village n’ayant bénéficié que de 16 lampadaires. L’eau potable est aussi un problème majeur. Le village est alimenté par un forage mis en place par un partenaire dans le quartier de Santassou, Lagoua et Gohou. « L’eau courante, nous l’avons avec le château d’eau de Baghagha et Agnack. Nous avons notre château d’eau qui n’est pas alimenté. L’État et les grandes organisations doivent nous soutenir. Nous avons besoin de projets pour freiner l’exode rural et l’émigration irrégulière. Il y a beaucoup de jeunes Manjaks qui sont allés à l’aventure », révèle le chef du village.

En culotte et tee-shirt tout mouillé, un seau à la main, le jeune Sékou Danfa revient du fleuve. Il alterne la pêche et le transport de moto Jakarta. « Nous n’avons pas de boulot. Je me bats tous les jours pour survivre. Rien n’est facile dans cette zone. Aucune opportunité qui s’offre à nous. Personne ne nous soutient. Nous sommes obligés de nous battre pour ne pas rester d’éternels désœuvrés », dit-il en haussant les épaules avant de poursuivre son chemin. Un autre homme, la quarantaine, exerçant la profession de maçon, estime que la vie n’est pas du tout rose dans leur village. Ils se battent pour satisfaire leurs besoins primaires. Dans son bureau au poste de santé de Sindone, Mathieu Badiane, la soixantaine révolue, est un natif de ce village qu’il aime et connaît très bien pour y avoir vécu presque toute sa vie. « Je suis né et j’ai grandi à Sindone. J’ai fait toute ma vie ici. Sindoné est l’un des plus vieux villages du département de Ziguinchor et du Sénégal qui a vu sa première école en 1837. Nos parents parlaient couramment le français », dit-il avec fierté. Une école qui a formé les premiers cadres de la Casamance. Ici, malgré le temps qui passe, le créole demeure toujours la langue la plus parlée. Le mandingue vient en deuxième position. Les Baynouks, qui étaient l’ethnie majoritaire, sont devenus minoritaires dans le village.

Samba DIAMANKA (Correspondant)



Source : https://lesoleil.sn/departement-de-ziguinchor-sind...