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“Deux chefs pour une seule Nation : le Sénégal dans la tempête du double pouvoir ?”, Par Ndiawar Diop


Rédigé par leral.net le Jeudi 13 Novembre 2025 à 15:44 | | 0 commentaire(s)|

République à deux têtes : Sonko commande, Diomaye obéit ? ou Quand la révolution devient régime : le pouvoir se fissure à la tête !

“Anyways!

La scène politique sénégalaise vit depuis quelques jours, un tournant inédit, presque tragiquement prévisible. Ousmane Sonko, Premier ministre et leader charismatique du Pastef, a franchi une nouvelle étape dans son bras de fer avec les institutions, en s’en prenant publiquement à deux membres influents du gouvernement et de la coalition au pouvoir. Devant une foule acquise à sa cause lors du Téra-Meeting du 8 novembre 2025, il a accusé le ministre Abdourahmane Diouf de surfacturation et contesté la légitimité d’Aminata Touré à la tête de la coalition « Diomaye Président ». Le lendemain, le Président Bassirou Diomaye Faye, dans une décision aussi rapide que symbolique, a tranché dans le vif : destitution d’Aïda Mbodj, proche de Sonko et confirmation d’Aminata Touré à la coordination de la majorité présidentielle.

Ce coup d’éclat a révélé au grand jour une dualité longtemps contenue : celle d’un président légalement élu et d’un Premier ministre politiquement plus populaire que lui. Dans l’imaginaire collectif, Ousmane Sonko reste l’incarnation de la résistance, le tribun du peuple, l’homme qui a fait trembler le régime de Macky Sall et tenu le pays en haleine pendant une décennie. Bassirou Diomaye Faye, lui, demeure pour beaucoup, “le frère d’armes devenu chef d’État”, un président issu du combat, mais attaché à l’ordre républicain. Or, la République a ses règles et l’histoire enseigne que lorsqu’un chef de gouvernement veut gouverner à la place du chef de l’État, la crise n’est jamais loin.

Le Sénégal traverse aujourd’hui cette zone grise où les frontières entre pouvoir exécutif et leadership politique se brouillent. Ousmane Sonko, fort de sa majorité écrasante à l’Assemblée nationale (130 députés sur 165), détient la capacité de faire ou de défaire toute politique publique. Son influence sur la jeunesse, sur les mouvements citoyens et sur la rue sénégalaise, lui confère une légitimité parallèle, presque révolutionnaire. En face, Bassirou Diomaye Faye, élu sous la bannière « Diomaye Président » (coalition composée de plusieurs partis et mouvements extérieurs au Pastef), incarne la légalité et la continuité de l’État. Il doit composer avec un Premier ministre devenu figure messianique, mais aussi avec des partenaires économiques internationaux méfiants, un contexte social tendu et des dossiers brûlants hérités du régime précédent.

Le danger de cette dualité, c’est qu’elle place le pays au bord d’une « cohabitation interne ». Si la fracture se confirme, le Sénégal pourrait connaître un blocage institutionnel inédit : un président juridiquement fort face à un Premier ministre politiquement surpuissant. L’histoire mondiale regorge de précédents similaires. En Russie, le tandem Medvedev–Poutine n’a tenu que parce qu’un seul pôle décidait réellement. En Turquie, le duel Erdogan–Davutoğlu s’est soldé par la mise à l’écart du Premier ministre. En France, les cohabitations ont survécu parce qu’un équilibre constitutionnel clair les encadrait. Au Sénégal, cette clarté fait défaut : la Constitution de 2019 prévoit que le président détermine la politique de la Nation. Mais sur le terrain, c’est bien Ousmane Sonko qui, depuis ses tribunes, semble en fixer les contours.

Les conséquences de cette confusion sont déjà palpables. Le FMI observe avec inquiétude les déclarations anti-coopération du Premier ministre, notamment son affirmation que « le Sénégal peut fonctionner sans aide internationale ». De telles sorties, dans un pays dépendant d’un financement extérieur représentant près de 40 % de ses investissements publics, peuvent fragiliser la crédibilité économique du gouvernement et faire fuir les investisseurs. Le risque est triple : financier, politique et social. Financier, car la dette et les taux d’intérêt du Sénégal pourraient s’alourdir ; politique, parce que l’instabilité au sommet érode la confiance ; social, enfin, parce que le peuple attend des solutions, pas des querelles de leadership.

Dans ce bras de fer, chacun avance avec ses forces et ses failles. Sonko a pour lui le peuple, la ferveur et la capacité d’entraîner les masses. Mais il est prisonnier de ses fronts multiples : guerre ouverte avec la presse, bras de fer avec les partenaires étrangers, règlement de comptes avec les anciens dignitaires du régime Sall, et maintenant, confrontation larvée avec son propre président. Trop de fronts épuisent même les plus solides. Diomaye Faye, quant à lui, dispose de la légitimité constitutionnelle, du contrôle de la diplomatie et du soutien discret d’une partie de l’élite républicaine qui craint le désordre. Mais il manque encore de charisme populaire et risque, s’il ne s’affirme pas, d’apparaître comme un “président de papier” face à son Premier ministre tonitruant.

L’opposition, quant à elle, observe avec gourmandise cette guerre des frères ennemis. Elle n’a rien à faire : il lui suffit d’attendre que la majorité s’autodévore. Déjà, certains anciens du PDS et du camp Macky Sall, murmurent que “l’histoire se répète”, qu'Ousmane Sonko est en train de connaître ce que lui-même dénonçait hier : l’arrogance du pouvoir, la tentation de l’absolu et le mépris de la presse et de la contradiction.

Ce qui se joue aujourd’hui, n’est pas seulement un conflit de personnes, mais une épreuve de maturité démocratique. Le Sénégal a bâti sa réputation sur la stabilité et la continuité institutionnelle. Voir son exécutif se déchirer sur la place publique, met en péril cet acquis. Si le tandem ne retrouve pas rapidement une entente claire, le pays risque une paralysie de l’action publique, un gel des financements internationaux et une lassitude sociale, dont les conséquences pourraient être imprévisibles.

La solution réside dans un pacte de gouvernance. Un engagement écrit et public entre le Président et son Premier ministre, fixant les champs de compétence, la discipline de communication, la gestion des dossiers économiques et la stratégie diplomatique. Sans ce garde-fou, l’État sera happé par la confusion. Les Sénégalais, eux, n’en ont cure des ego : ils veulent voir baisser les prix, fonctionner les hôpitaux, payer leurs factures et retrouver la paix après des années de tension.

En vérité, l’histoire retiendra qu'Ousmane Sonko a tenu le pays en haleine pendant dix ans, notamment lors de l’affaire Adji Sarr qui a déchiré la société et coûté la vie à des dizaines de jeunes Sénégalais. Cette aura révolutionnaire lui confère une puissance politique unique. Mais gouverner n’est pas résister. Gouverner, c’est composer, arbitrer, parfois céder pour mieux durer. Diomaye Faye, lui, devra apprendre à imposer sa présidence, sans trahir son frère de lutte, mais sans trahir non plus la République.

Car si le tandem venait à éclater, le Sénégal risquerait de retomber dans un cycle de crises : manifestations, démissions, perte de confiance internationale, et peut-être, au bout du chemin, un désenchantement collectif. L’histoire enseigne que les révolutions qui ne se transforment pas en institutions, finissent par se consumer. Et le Sénégal n’a pas besoin d’un brasier : il a besoin d’un État fort, apaisé et juste."






Par Ndiawar Diop

Ousseynou Wade