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Du Mali à sa mort dans le sud de la France, la vie simple d'Aboubakar Cissé

Rédigé par leral.net le Jeudi 1 Mai 2025 à 11:17 | | 0 commentaire(s)|

Du Mali à sa mort dans le sud de la France, la vie simple d'Aboubakar Cissé
Les chaussures d'Aboubakar Cissé sont toujours rangées près de l'entrée de cette mosquée de la région du Gard, où ce jeune Malien de 22 ans les avait laissées avant d'être lardé de dizaines de coups de couteau, en pleine prière, par un autre jeune qu'il ne connaissait pas.

Quelques jours après ce meurtre d'une rare violence, qui a provoqué de fortes tensions au sein de la classe politique française, l'AFP est retournée à la Grand-Combe, ancienne cité minière à environ 70km d'Avignon, à la rencontre de ceux qui ont croisé la route de celui que l'on surnommait "Bouba".

"Les baskets, elles sont impeccables. On les garde, peut-être que quelqu'un en aura besoin", explique Salim Touazi, président de cette petite mosquée.

Aboubakar Cissé, né au Mali en 2003 et arrivé en France une quinzaine d'années plus tard, aurait sans doute apprécié, lui qui donnait des coups de main au Centre social protestant, une association d'aide aux démunis, et apportait de temps en temps une pizza aux fidèles de la mosquée, malgré un manque de moyens que personne n'ignorait.

"Il faisait les cinq prières. Il venait à pied, s'éclairant avec son téléphone quand il faisait noir. C'était le meilleur d'entre nous, mais on ne le connaissait pas plus que ça", explique Issa (NDLR: les personnes citées par leur prénom ont refusé de donner leur nom de famille), autre fidèle de la mosquée Khadidja.

Originaire de la région de Kayes (sud-ouest du Mali), Aboubakar Cissé ne racontait pas comment il était arrivé en France, vers 2018.

Il se retrouve dans le Gard en 2019, après un passage à Montreuil, en banlieue parisienne: "Il est parti sans nous dire où il allait, il ne voulait pas être une charge", se souvient cet oncle.

- "Avide d'apprendre" -
Mineur non accompagné, il est alors hébergé dans une famille d'accueil et suit quatre mois de cours de français, de calcul et d'écriture à l'Ecole sans frontières, à Alès. "Il était avide d'apprendre. Je pense qu'au pays, il n'avait fait que l'école coranique", se souvient la présidente de l'association, Sophie de Chastellier.

C'est elle qui lui propose d'intégrer un CAP maçonnerie en novembre 2020, au lycée professionnel privé Pasteur de la Grand-Combe, ville d'un peu moins de 5.000 habitants, sinistrée depuis la fermeture des charbonnages.

"Il était très fort en calcul mental. Pour la langue et la lecture des plans, c'était plus compliqué", se souvient Philippe Diet, son professeur pendant deux ans.

"Après, on n'a plus vraiment eu de nouvelles", poursuit Christine Lopez-Thomas, la directrice adjointe de l'établissement.

A la pizzeria Napoli, le patron lui garde spécialement des cartons à plier pour qu'il accepte quelques billets. "Il refuse systématiquement l'aumône", confirme un autre fidèle de la mosquée.

On sait qu'il vivait ici ou là, "presque SDF", selon un témoin.

"Il parlait à tout le monde, mais il était seul. Il avait perdu ses papiers mais refusait qu'on l'accompagne au consulat. Sans papiers, on ne pouvait pas lui attribuer un logement", explique Annie Arcangioli, adjointe à la maire de La Grand-Combe.

Le 25 avril, il assiste à la première prière, à la mosquée. Puis, comme chaque semaine, il reste seul pour faire le ménage, bénévolement, avant la grande prière du vendredi, à la mi-journée.

Vers 08h30, un jeune homme aux cheveux noirs ébouriffés entre dans le lieu de culte, sans enlever ses chaussures, un lourd sac noir en bandoulière.

C'est Olivier Hadzovic, un français de 21 ans, né dans une famille bosnienne. Une partie de sa famille s'est récemment installée de l'autre côté de la ville, dans un logement social, face à la caserne des pompiers.

"Bouba" ne se méfie pas de cet homme qui semble lui demander comment prier et qui, au moment où il s'agenouille, lui assène plusieurs dizaines de coups de couteau avant de repartir.

- "Ton Allah de merde..." -
Olivier Hadzovic se livre finalement dimanche soir, en Italie, près de Florence.

Si, sur la foi des images muettes des caméras de surveillance, le procureur de la République d'Alès, Abdelkrim Grini, avait d'abord décrit vendredi "un fidèle donnant plusieurs coups de couteau à un autre fidèle", le scénario d'un assassinat motivé par la haine de l'islam émerge le lendemain.

"Je l'ai fait, (...) ton Allah de merde", lâche à deux reprises le meurtrier, dans la vidéo qu'il a lui-même filmée, face à sa victime agonisante.

Devant les policiers italiens, il nie pourtant avoir agi par haine de l'islam, ne se souvenant pas avoir filmé. Il aurait seulement "tué la première personne qu'il a trouvée".

Olivier Hadzovic pourrait être remis à la France "à la mi-mai", selon son avocat italien. Il sera alors interrogé à Nîmes, pour "meurtre avec préméditation et à raison de la race ou de la religion".

Mardi soir, Sekou Cissé, 19 ans, frère cadet d'Aboubakar, qui vit en Bretagne, et leur oncle, se sont discrètement rendus à la mosquée de La Grand-Combe, où quatre bouquets de fleurs témoignent encore du drame.

Un peu plus tôt, Yoro Cissé s'était exprimé au coeur de l'Assemblée nationale, invité par des députés de gauche, après une minute de silence pour son cousin: "On veut se sentir en sécurité", explique le jeune homme, "la France, c'est un pays que nous on aime. On veut se sentir comme tout le monde".

AFP