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En Israël, le double malaise d’une immigration en baisse et de départs en hausse

Rédigé par leral.net le Vendredi 24 Octobre 2025 à 11:26 | | 0 commentaire(s)|

En deux années de guerre, Israël a constaté la forte baisse de l’immigration juive (l’alyah), avec une exception en ce qui concerne la France comme pays d’origine. L’émigration de citoyens israéliens atteint dans le même temps, un niveau inégalé. Un double phénomène qui se traduit par un solde migratoire négatif préoccupant pour les autorités de l’État hébreu. Et qui, au-delà, questionne un pays se concevant comme un refuge pour les Juifs du monde entier.


En Israël, le double malaise d’une immigration en baisse et de départs en hausse
« Un véritable tsunami », c’est en ces termes que le député israélien d’opposition Gilad Kariv qualifie la vague d’émigration que connaît son pays depuis plusieurs années. Le Parlementaire préside la Commission de l'immigration, de l'intégration et de la diaspora au sein de la Knesset (le Parlement d'Israël) qui débattait ce lundi 20 octobre d’un rapport spécial commandé sur ce sujet.

Le constat est sans appel : entre 2020 et 2024, Israël a vu partir plus de citoyens qu’il n’en a vu arriver au titre de la Loi du retour qui permet à chaque Juif d’obtenir la citoyenneté israélienne. Le solde négatif s’élève à 145 900 individus sur cette période. Un chiffre conséquent pour un pays d’environ 10 millions d’habitants.

En 2023, plus de 82 000 Israéliens ont quitté leur pays. Certains ont fait ce choix après les attaques du Hamas du 7 octobre 2023. D’autres avaient décidé d'un départ dans les mois précédents, alors que le très controversé projet de réforme judiciaire du gouvernement de Benyamin Netanyahu, fracturait le pays. Alors que des foules manifestaient contre ce qu’elles qualifiaient de « coup d'État judiciaire », un nombre significatif d’Israéliens choisissaient l’exil.

« Une véritable menace stratégique »

Ces derniers mois, RFI a enquêté sur cette tendance au nom chargé de sens : le départ des Israéliens est appelé « yérida » (« descente » en hébreu), là où l’immigration est valorisée en tant qu’ « alyah » (« montée »). « J'ai grandi ici. Je rêve en hébreu. Je connais la langue. Je connais les gens. Toute ma famille est ici. Et aujourd'hui, nous sommes à la recherche d'une nouvelle maison », nous a ainsi confié Nathan Landau, 40 ans, qui envisage le départ pour des raisons politiques, inquiet « du centre israélien qui se déplace vers la droite, et de la façon dont des choses comme le nettoyage ethnique [des Palestiniens] semblent totalement normales pour les Israéliens aujourd'hui ».

Nathan est l’un des Israéliens qui témoignent dans un podcast consacré à la société israélienne que RFI mettra prochainement en ligne. On y entendra également Cian, qui s’est récemment installée à Lisbonne. La capitale portugaise est devenue l’une des destinations privilégiées des émigrés israéliens. La quinquagénaire estime que le mot « yérida » (« descente ») n’a plus le caractère péjoratif qu’il revêtait autrefois. Cian se dit en rupture avec le gouvernement israélien actuel, mais pas avec Israël : « Je reste très liée mon pays, mais je ne pourrais pas vivre là-bas. Entendre les sirènes... Je ne pourrais pas gérer cela, tout ce stress. Je suis partie, car je ne pense pas qu’une personne, un être humain, doive vivre comme cela. »

« Je déteste ce que je crois savoir des actions de l’armée israélienne à Gaza et dans les territoires occupés », nous a aussi confié Hanna Kahana, née en Israël, d’où elle a décidé de partir malgré ses 90 ans. Elle a obtenu la nationalité du pays d’origine de ses parents, l’Autriche. Mais c’est au Portugal que Hanna a dit vouloir s’établir, lorsqu’elle s’est exprimée au micro de Justine Fontaine de RFI.

Le coût de la vie en Israël est aussi l’une des raisons citées par les « yordim » (« ceux qui descendent » et donc qui émigrent), en plus de l’évolution politique et du contexte sécuritaire. Pour le démographe israélien Sergio Della Pergola, professeur émérite de l’Université hébraïque de Jérusalem, il faut mentionner une autre tendance : « une diminution des retours après un an, deux ans, quinze ans d’absence. C’est-à-dire des Israéliens qui aimeraient rentrer dans leur patrie, mais qui pensent que ça n’est pas encore le moment ».

Selon le député Gilad Kariv, président de la Commission de l'immigration, de l'intégration et de la diaspora du Parlement israélien, « de nombreux Israéliens choisissent de construire leur avenir en dehors d'Israël, et ils sont de moins en moins nombreux à choisir de revenir au pays. Ce phénomène met en péril la solidité de la société israélienne et doit être considéré comme une véritable menace stratégique ».

L’alyah en forte baisse

À ce flux nouveau de départs s’ajoute un phénomène tout aussi préoccupant pour les autorités israéliennes : la forte baisse de l’immigration (l’alyah). Selon l’Agence juive pour Israël, l’organisme qui promet et accompagne le processus d’immigration des Juifs en Israël, 14 554 personnes ont déjà immigré cette année (de janvier à août 2025). Le total annuel devrait donc s’établir en deçà des 32 281 nouveaux immigrants de 2024. Ils étaient 47 013 en 2023 et 76 621 en 2022. Un pic lié à la guerre en Ukraine, avec une forte représentation des Juifs russes et ukrainiens parmi les nouveaux immigrants de 2022.

Les pays d’origine des nouveaux immigrants restent les mêmes : la Russie en tête, France et États-Unis ensuite. Dans un contexte général de forte baisse, l’alyah en provenance de France connaît une courbe particulière : cette année, 2 254 personnes ont déjà émigré à destination d’Israël, contre 1 531 pour la même période (janvier-août) en 2024.

« Tout le monde autour de moi réfléchit au départ », nous dit un jeune Français qui prépare actuellement une alyah pour 2026. Témoignant anonymement, il nous raconte sa décision, prise dans les mois qui ont suivi les attaques meurtrières du Hamas en Israël le 7-Octobre 2023. Étudiant à l’époque, il se souvient de « l’augmentation des attaques, des agressions physiques » et des autres actes antisémites sur le sol français. L’étudiant juif déplore « l’incapacité de la France de traiter ce sujet de manière saine et apaisée » et, au niveau personnel, découvre « des amitiés plus fragiles » que ce qu’il pensait. Jusqu’au jour où « je me suis fait agresser verbalement, cela a joué un grand rôle dans ma prise décision ».

Que ressent-on lorsqu’on se prépare à émigrer en Israël dans un contexte de diminution globale de l’alyah et alors qu’un nombre inédit de citoyens israéliens font le choix inverse, celui de quitter le pays ? « Je ne vais pas en Israël pour son gouvernement, mais pour la nation, pour le pays », répond celui qui dit se sentir « toujours Français » et qui en conservera la nationalité en devenant israélien. « En Israël, il demeure un dénominateur commun que je ne trouve plus en France », dit-il, convaincu que la vague de départs d’Israéliens est liée « à un réflexe post-7-Octobre » et qu’il faut s’attendre à une tendance « encore plus forte » d’alyah à l’image de la sienne. L’Agence juive pour Israël ne comptabilise par les « échecs » de l’alyah, impossible de savoir combien de nouveaux immigrants renoncent à leur projet d’intégration en Israël.

Perte d’attractivité

Face à cette tendance déclinante, l’Agence juive pour Israël et le ministère israélien de l’Intégration renforcent les programmes existants : « pour faciliter l’intégration professionnelle, les études, le logement », détaille Ygal Palmor, directeur des relations internationales de l’Agence juive pour Israël, selon lequel : « nous organisons des journées d’information à l’étranger pour faire connaître les dispositifs qui existent ». Des réunions sont régulièrement proposées en France, en Ukraine, aux États-Unis, « pour aller vers les candidats à l’alyah, pour être à l’écoute plutôt que venir d’en haut pour leur expliquer les choses », conclut Ygal Palmor.

« Si l’économie israélienne peut décoller après la guerre, alors Israël retrouvera son rôle de pays attractif et pourra retenir sa population », envisage le démographe Sergio Della Pergola, pour qui « cela dépend du processus de normalisation politique et militaire. Dans le cas contraire, cela va causer des troubles importants pour l’économie et la stabilité ».

RFI