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(En) Silence, la COVID 19 tue au Sénégal ! (Falilou Bâ, Enseignant-chercheur à l’ESEA, ex ENEA)

Rédigé par leral.net le Lundi 13 Juillet 2020 à 02:00 | | 0 commentaire(s)|

Encore 1 mort, encore 2, encore 3, 4 morts encore pour aujourd’hui. Voilà ce que nous dénombrons chaque jour en termes de morts, après lecture du bulletin journalier de la COVID-19, délivré par le Ministère de la Santé et de l’Action sociale du Sénégal….


(En) Silence, la COVID 19 tue au Sénégal ! (Falilou Bâ, Enseignant-chercheur à l’ESEA, ex ENEA)

De 1, de 2, de 3, de 4, tel est le (dé)compte à rebours d’une hécatombe programmée.

Depuis la levée des mesures et l’option prise par les autorités sénégalaises de (dé)laisser les sénégalais (sur)vivre avec le virus le 2 juillet 2020, voilà le bilan macabre journalier que notre pays a enregistré, en termes de compatriotes morts de ou avec la COVID-19, en nombre absolu.

Jour 2/7 3/7 4/7 5/7 6/7 7/7 8/7 9/7 10/7 11/7 12/7 Moy

Nbre
de morts 5 4 4 4 3 1 4 2 2 2 3 3,1

En à peine 11 de jours de libéralisation, le Sénégal a ainsi dénombré au total 34 morts, avec une moyenne de 3,1 morts par jour de ou avec le coronavirus. Face à la montée en puissance de la force disséminatrice de notre adversaire COVID-19, ce verdict est traduit, en langage juridique, en un procès à (dé)charge à travers l’accusation (in)directe suivante, qui est servie à tous les acteurs de la lutte contre la pandémie, en présence :

Tous coupables : certains encore plus que d’autres.

- Exit le personnel de santé, (dés)armé, qui se (dé)bat depuis le premier jour avec des armes médicales dérisoires sur un terrain de guerre où la prévention est l’arme principale, et qu’il ne maîtrise pas forcément. Un combat donc, perdu d’avance, dès lors que l’issue n’est pas (pour le moment) curative.


Voilà un personnel de santé balancé, en première ligne de front, comme chair à canon alors qu’il devait être placé en dernière ligne comme troupe de renforts. Sous ce rapport, déjà, cette force d’appui constituée du personnel de santé, est non coupable mais plutôt à plaindre. Les cris de détresse qui s’élèvent de plus en plus dans les rangs des troupes médicales, ne sonnent-il pas comme des signes prémonitoires du risque de capitulation ?

- Coupables, nos gouvernants, quant à eux, le sont par une erreur d’appréciation. Après s’être donné les moyens pour mobiliser des milliards (1000), les mauvaises tactiques dans la répartition et dans la distribution, au début, de ce trésor de guerre, ont plutôt fini par démobiliser une bonne partie des bénéficiaires légitimes, déçus.

Coupables, nos gouvernants le sont aussi par négligence. Avec comme preuve accusatrice, la tergiversation qui a entouré la mise sur pied, à la place d’un comité de pilotage initialement annoncé, d’un comité de suivi des fonds de la COVID 19. Faible d’un statut administratif et juridique dégradé, ledit comité est finalement réduit à un rôle ingrat de surveillants passifs en lieu et place d’administrateurs actifs.

Mais coupables les gouvernants le sont aussi par incohérence, au vu des contradictions relevées dans les choix stratégiques de la gestion de la maladie. Durcissement des mesures alors qu’il y avait encore zéro décès le 23 mars, assouplissement des mesures alors que 19 décès sont enregistrés le 12 mai, relâchement des mesures au moment où on décompte 49 décès le 4 juin, et abandon total des mesures, avec 121 morts le 2 juillet. Quel autre résultat sanitaire pouvait-on espérer obtenir, avec un plan de guerre si anachronique.

Qui, certes, se défend au plan économique mais, qui perd toute consistance au niveau médical. Aucun autre résultat si ce n’est cette hécatombe programmée et prévisible de l’explosion de cas graves et de morts liés à la COVID-19 au Sénégal ? Une course macabre qui va continuer, qui va s’accélérer inéluctablement, en raison de l’escalade des décisions sanitaires prises actuellement, relative à la non-prise en charge systématique de tous les infectés et affectés du Coronavirus. Une prémonition annoncée, (re)liée au choix aux gouvernants de se dé-responsabiliser, de plus en plus, de la maladie pour sur-responsabiliser, de plus en plus, la population au travers les nouvelles mesures suivantes en application :

 Les malades asymptomatiques sont désormais pris en charge à domicile. Seuls les cas symptomatiques sont admis au niveau des centres de traitement ainsi que les cas graves ;
 Tous les cas contacts ne sont plus systématiquement prélevés. Ne sont, juste, prélevés que les contacts à risque, c’est-à-dire ceux âgés de plus de 60 ans et les contacts qui ont une maladie chronique. Au cas où ces cas contacts à risque s’avèrent négatifs, ils sont alors laissés à domicile en surveillance. Ceux qui après les jours qui suivent sont suspects, c’est-à-dire, présentant des symptômes, sont prélevés encore et testés…

Une série de levée de boucliers, curieusement accompagnée par une libération de l’ennemie COVID-19 dans la troupe, pas ou peu préparée, avec le fameux slogan ‘’vivre avec le virus’’.

- Les organisations internationales, nationales et locales de base se sont rendues, par cette non-préparation adéquate de la troupe d’acteurs de terrain (r)envoyés sur le terrain de la lutte, coupables. Occupées qu’elles sont à (des)organiser la riposte communautaire alors qu’elles pensent, de bonne foi, être en train de très bien l’organiser.

Leur culpabilité se situe au niveau de l’absence dans la rigueur procédurale avec laquelle elles devaient entourer la riposte communautaire, au niveau de laquelle elles se sont positionnées. Au contraire, elles n’ont pas encore pris suffisamment le soin de doter leur dispositif communautaire d’une stratégie, d’une démarche et d’un contenu communautaires, mûris dans sa conception et planifiés dans son déroulement. En lieu et place d’un engagement communautaire, nous assistons ainsi, beaucoup plus, à un (dés)engagement communautaire caractérisé davantage par de l’activisme et du bruit.

Coupables aussi, sont ces organismes d’obédience communautaire et sociale, par désir de visibilité et de positionnement remarqué. Tant certaines, d’entre elles, semblent s’inscrire dans l’intervention communautaire, plus comme un effet de mode à adopter, pour être dans le temps de la COVID et non en mode de combat de survie et de sauvetage de la population, de plus en plus condamnée ou auto-condamnée en ce temps de pandémie. Car …

- Les populations sénégalaises, aussi, sont coupables. En faisant montre d’autant de laxisme révoltant, parfois. Par l’inobservance des gestes barrières édictés afin de se protéger et de protéger leurs proches, elles mettent délibérément leur vie et la vie de leur entourage en sursis face au risque de l’infection de la COVID-19 et face au risque de la mort.

Coupables, elles le sont ainsi par (in)conscience fatale. Mais une culpabilité due à leur situation de (dé)laissées en rade et pour compte dans cette guerre de la sensibilisation, par ceux-là même qui sont officiellement chargés par la République, de les préparer à prendre conscience, à prendre connaissance et à faire prendre les actions attendues, pour vaincre la maladie.

De ce point de vue, les populations sénégalaises, que nous sommes, doivent demander des comptes à ces responsables à qui est confiée la responsabilité de nous rendre responsables face à la maladie. Mais à l’analyse des causes de l’irresponsabilité notée chez les populations, ne fait-il pas de doute que, dans ce cas, sont bel et bien responsables et au premier chef :

les acteurs de la communication de lutte contre le Coronavirus. À plaindre où plutôt à blâmer pour (in)capacité à bâtir une communication efficace contre la COVID-19 ?

La réponse à cette question brille par son évidence. D’autant qu’en pleine guerre de sensibilisation contre le Coronavirus, nous nous rendons compte au fil des jours, que notre ennemie avance à un rythme rapide et foudroyant, sur nos positions. Il gagne du terrain sur nous et nous nous retrouvons, de plus en plus, complètement débordés. Le sentiment qui nous anime alors, dans ces moments de débandade, est que nous sommes vraiment mal barrés.

La posture désespérée et suicidaire du Sénégalais qui ne porte plus de masque, ne se lave plus les mains, ne respecte plus la distanciation physique… correspondrait, en geste et en parole, au reflexe et à la réflexion suivants : à quoi bon chercher encore à résister, si la partie est perdue d’avance. Un état d’esprit défaitiste et un sentiment de perdants, nés du constat que dans ce combat technique et tactique sur le front de la communication de guerre, qui est notre seul rempart : notre (sur)vie est placée entre les mains de communicateurs plutôt que de communicants.

Cette nuance dans ces statut et stature entre ces deux catégories d’acteurs, est loin d’être un détail à négliger, comme veulent bien nous le faire croire tous ces communicateurs (amateurs). Car, c’est précisément à ce niveau que nous sommes en train de perdre la bataille de la communication qui doit nous sauver de la COVID-19. Mais ce n’est pas du tout grave dans notre pays si particulier, le Sénégal, où souvent le laisser-aller bien sénégalais a tendance à amener le Sénégalais à tout relativiser ; jusqu’à l’essentiel, sa vie dans la situation actuelle. Encore faut-il qu’on prenne conscience que, dans ce contexte de coronavirus, la communication est une question de vie ou de mort.

Mais non, notre fameuse devise officielle et bien sénégalaise de ‘’Garawoul’’ nous (a)mène à tous les dérives, ainsi que c’est le cas lorsque tout le monde s’improvise expert en tout, même dans des domaines vitaux pour le pays. Tout en étant pourtant persuadés, au fond d’eux, qu’ils n’en sont rien. Les raisons immédiates qui autorisent à confirmer cette vérité de Lapalisse, à propos du défaut de compétence de beaucoup de personnes qui se chargent de la communication contre la COVID-19 à des niveaux élevés, sautent aux yeux. Elles peuvent s’apprécier par des marqueurs qualitatifs comme elles peuvent se mesurer par des marqueurs quantitatifs. Ainsi, les émotionnels passeront par le prisme de l’observation directe pour voir que les Sénégalais ont totalement baissé la garde par rapport à toutes les mesures-barrières.

Plus systématiquement et plus rigoureusement, le lavage des mains, la distanciation physique, le port des masques…Les cartésiens, quant à eux, passeront par le prisme scientifique de l’évolution statistique des victimes de la ou avec la maladie, pour dénombrer une courbe d’évolution en hausse constante et très rapide. Preuve irréfutable que la situation nous surpasse. Observons, à cet effet, le tableau de l’évolution mensuelle des morts de la ou avec la COVID 19, ces 4 derniers mois, à compter du 02 mars date de l’apparition de la maladie au Sénégal :
Mois
Evolution cas décès 02/Mars 02/Avril 02/Mai 02/ juin 02/Juillet

Cumul des morts par mois 0 1 9 43 121
En nombre absolu 0 1 8 34 78
En nombre relatif 0 % 0,82 % 7 % 28 % 64 %

A l’analyse, ce tableau fait état d’une accélération exponentielle de la courbe mensuelle des morts de la ou avec la COVID-19 dans notre pays, avec une forte tendance à la hausse. Au vu de ces résultats, il n y a point de doute que le Sénégal s’est résolument (é)lancé dans une course effrénée vers la mort. En effet, au fur et à mesure que les mois passent, les malades tombent dans l’impasse, et les cas graves trépassent. Aussi, les statistiques des victimes de la ou avec la maladie nous dépassent-ils. Sous ce rapport, malgré votre appel et mis en garde solennels adressés au peuple sénégalais, M. le président de la République avec tout le respect que je vous dois, je me permets de vous dire au risque de vous contrarier que je suis vraiment désolé mais :
Votre peuple est en train de laisser à la maladie la vie, sa vie !!!

Face à ce suicide collectif non-conscient dû à l’abandon total des mesures barrières par les populations, une mauvaise interprétation de votre politique motivée d’assouplissement, conditionnée par un appel à la responsabilité individuelle de chacun, ne sont pas bien reçus.

Son Excellence, vous n’avez pas été compris par vos interlocuteurs. Mais cela est normal dès lors qu’aucune communication de réception adaptée n’a, jusqu’en ce moment, été adoptée pour l’accompagner explicitement. Afin de barrer la route à l’invasion de la pandémie malgré vos appels, M. Le Président, pour réadapter la communication contre la COVID-19 lors des conseils des Ministres des 23 et 29 Avril 2020. Alors que vous voyiez déjà, nous voyions déjà que la maladie était en train d’envahir le Pays, de nous envahir. Où sont donc les communicants officiels ou officieux dont c’est le rôle ?

D’ailleurs justement, à vous communicants officiels officieux contre la COVID attitrés dont c’est le rôle, dites-nous pour nous rassurer et nous éclairer, quel est le champ de la communication que vous avez jusque-là investi, quelle est la forme de communication que vous avez privilégiée en cette circonstance, quelle est la nature de la communication qui sied en cette période, quelle est la technique de communication que vous mettez , présentement, en œuvre et quel est l’objectif que poursuit la communication que vous êtes en train de dérouler, depuis le début de la crise ?

Répondre à ces questions de base, ou du moins y réfléchir, vous (r)amène à pouvoir enfin indiquer, en ce moment de confusion communicationnelle totale, aux autorités mandataires de la communication de lutte contre le Coronavirus comme au peuple sénégalais destinataire, quelle est la stratégie de communication que vous avez conçue et quel est le plan de communication que vous êtes en train de (pour)suivre.

J’entends depuis ici le reproche que les non-initiés s’empressent à opposer à cette forme d’interpellation, pour sauver leur face. En intentant un faux procès aux spécialistes de la communication, en les taxant de simples théoriciens, ils vous invitent à leur faire confiance sur la base qu’eux, à force de dé(faire) des programmes de communication, ils se considèrent être devenus des experts en communication dans le tard.

Mais je m’adresse à vous chers compatriotes, en vous invitant à répondre en toute logique et en toute lucidité, aux questions suivantes : Confierez-vous votre vie à un ‘’médecin’’ qui n’a pas appris la médecine ? Prendrez-vous place dans une voiture dont le ‘’conducteur’’ n’a pas suivi les leçons du code de la route ? Suivrez-vous aveuglément un ‘’guide’’ qui ne connaît pas le chemin ? Pour être conséquent avec nous-mêmes, appliquons le parallélisme des formes ici, d’autant que la communication contre la COVID-19 dont il est question ici relève, dans ce contexte précis de pandémie, d’une question de vie ou de mort.

Dans ce cas, comment fait-on pour (sup)porter, en toute tranquillité d’esprit, la lourde charge de la communication du Sénégal face au Coronavirus qui reste à ce jour, le plus grand fléau social et sanitaire du siècle. Alors qu’on distingue difficilement et qu’on confond souvent les concepts majeurs qui déterminent la communication publique ? Des concepts de base qui sont essentiels et dont la maîtrise est consubstantielle à bâtir, justement, les fondements de la riposte communicationnelle et communautaire dont dépend la (sur)vie de nos concitoyens ?

Alors, si vous devez vous lancer, bénévolement dans une activité de communication en ce temps de crise tout comme si vous êtes amené par un mandat officiel à devoir vous y astreindre, posez-vous d’abord, dans le calme de votre conscience, la question suivante : suis-je en mesure d’identifier, dans un premier temps, et de différencier, dans un second temps, les notions fondatrices de toute stratégie de communication sociale. Pour en avoir la réponse, prêtez-vous à ce jeu d’exercice suivant en décortiquant et en démêlant les concepts qui se côtoient, s’imbriquent, se complètent, s’éloignent, s’(op)posent… dans le vaste et labyrinthique champ de la communication.

Entre autres concepts constitutifs de la communication, cherchons à (dé)lier les rapports qui existent entre :
- Communication publique et communication médiatique
- Communication sociale et communication institutionnelle
- Communication de crise et communication en temps de crise
-Communication de monstration, communication persuasion et communication d’action
- Communication de changement d’attitude et communication de changement comportement

La liste de ces notions constitutives de la communication, entourées de nuances, n’est pas exhaustive. Si après (auto)évaluation et en toute honnêteté, vous ne parvenez pas apporter une clarification conceptuelle nette et précise à ces termes scientifiques de la communication, alors il y a une véritable nécessité à faire preuve d’effort de (re)mise à niveau. Sans quoi, que d’amalgames autour de ces éléments de la communication, que beaucoup de personnes aiment agiter, pour effet de mode, sans en comprendre véritablement la quintessence.

Ainsi, au final, personne ne s’y reconnaît. Alors, il faut se rendre à l’évidence que tout le monde est communicateur, certes de fait, mais pour autant, tout le monde n’est pas forcément communicant, en fait. Vous aurez compris la nuance entre les deux qualificatifs. Le premier statut est le fait de tout le monde, par notre nature d’humain qui prédispose naturellement chacun d’entre nous à communiquer. Et le second statut est le fait de certains initiés qui ont consacré à cette discipline leurs humanités. Jusqu’à être reconnus capables de concevoir une stratégie communicationnelle efficace et, aussi, être en mesure d’en analyser une, fusse-t-elle, sophistiquée.

En tout cas, chers acteurs de la communication, si vous voulez avoir une idée claire de votre vraie stature en communication, je vous invite affectueusement à vous soumette de manière libre et opportune à ce test. Afin de vous situer, sans ambigüité, pour savoir sans équivoque si vous êtes un communicateur, dont le rôle doit se limiter à vulgariser la communication arrêtée par des spécialistes, ou si vous êtes un communicant, à qui il revient le rôle de concevoir la stratégie de communication à arrêter.

A l’issue de ce défi plutôt de nature formative que sommative à relever, alors chacun en ce qui le concerne, pourra alors en fonction des résultats obtenus, se situer et situer ses prérogatives communicationnelles, en toute responsabilité et en toute efficacité. Et en conséquence, son statut communicationnel réel et ses (pré)dispositions communicationnelles objectives.

C’est de cette manière là seulement que chacun de nous agira, au mieux, et avec tout le respect et l’intérêt dus aux Sénégalais que nous devons servir et non desservir. Chacun pouvant servir la nation et ses compatriotes, au mieux, à la place et à la station où il se situe le mieux, dans ce combat contre notre ennemie commune qui est la COVID-19.

Falilou Bâ,
Enseignant-chercheur à l’ESEA ex ENEA
Dr en Sciences de l’Information et de la Communication d’Aix-Marseille Université
Spécialiste de communication de changement d’attitudes et de comportement.
Lauréat du Prix de la Meilleure Recherche en Protection de l’Enfance de France 2019