RFI : Vous avez soulevé une question très intéressante, c’est la première fois que je l’entends dans la voix d’un président, sur le retour possible de jihadistes qui viendraient peut-être de Syrie. Quelle est votre crainte ?
Macky Sall : La crainte c’est qu’on va les défaire en Irak, en Syrie . Ils vont se retrouver d’abord en Libye et puis ils vont descendre dans le Sahel, puisque l’Afrique va constituer le ventre mou. Dès lors qu’il y a une réaction très forte au Moyen-Orient contre ces bandes, ils vont rechercher des territoires faciles.
Déjà, vous voyez le Sahel ; avec toutes les zones de trafics de tous genres. Ensuite, la Somalie. Donc si on n’a pas les réponses appropriées, fortes évidemment, tout ce qui a été défait au Moyen-Orient, va se retrouver encore sur l’espace sahélo-saharien. Ça va encore nous poser des problèmes. Donc il faut une réponse globale. Il faut des réponses vraiment intégrées. Parce que, comme je l’ai dit, s’il y a encore un secteur où ces forces peuvent se déployer, c’est toute la sécurité globale qui est menacée.
Donc, il faut que les partenaires accompagnent l’Afrique. L’Afrique doit elle-même faire les efforts supplémentaires. On l’a vu avec l’Union africaine. Nous avons décidé de prendre en mains le financement de l’Union par les Etats africains. Mais c’est à 25% qu’on pourra contribuer dans le maintien de la paix, avec des mandats robustes, mais il faut que les partenaires, évidemment, accompagnent l’Afrique, qui est prête aussi à se mettre à niveau.
Comment faire ? Peut-être échanger justement des listes de combattants jihadistes ? Vous craignez un retour de jihadistes originaires du continent ?
Oui, bien sûr. Parce que, où est-ce que vous voulez qu’ils aillent ? Déjà, beaucoup ont quitté. Ils sont certainement en train de retourner dans le pays respectif, y compris en France ailleurs, chez nous aussi. Donc, le problème ce n’est pas qu’ils reviennent. S’ils reviennent et qu’ils ne font rien, il n’y a pas de problème. Mais ils vont reconstituer. Ils ont une idéologie, c’est la destruction. Donc, il faut que l’Afrique ne serve pas, ne soit pas le ventre mou de la lutte contre le terrorisme international. Je vois que nos partenaires aussi le comprennent très bien et travaillent avec nous. Et c’est cela l’objet du Forum de Dakar : mettre ensemble tous les partenaires, tous les acteurs, pour réfléchir sur des solutions qu’on peut partager.
Vous avez eu l’impression d’être écouté, entendu, notamment par la ministre française des Armées, Florence Parly ?
Oui. Parce que Florence Parly a dit une chose que j’aime bien entendre de la part des Européens, c’est de dire que l’Afrique doit pouvoir gérer et doit être écoutée sur les problèmes qui la concernent. Ça, c’est important ! C’est tout ce que nous demandons. Qu’on ne nous donne pas des solutions toutes faites, qui ne sont pas adaptées chez nous. Donc, il faut savoir que chaque pays a ses spécificités, l’Afrique a ses réalités.
Donc, les solutions doivent tenir compte de ces aspects. Entendre les Africains, échanger avec eux et ensemble élaborer des solutions. Voilà ce qu’il faut faire pour que notre lutte commune contre l’extrémisme violent soit un succès durable. Bien sûr, il n’y a pas que le volet militaire. Là aussi, nous avons été très clairs. Le volet militaire est, certes, nécessaire aujourd’hui, mais il n’est pas suffisant. Il nous faut travailler sur l’éducation, sur la formation, sur l’emploi, sur l’équité, sur la démocratie et sur l’inclusion sociale, pour éviter que la frustration ne soit le lit, vraiment, de recrutements massifs de jeunes dans le cadre du terrorisme.
Sur les questions des forces de maintien de la paix des Nations-Unies c’est un combat que vous menez depuis longtemps, en disant qu’il faut revoir la façon de travailler des forces de paix. Vous avez été très clair. Vous avez été écouté, entendu ou non ?
Oui. Vous savez, il y a déjà cinq ans que nous travaillons avec les Nations-Unies. Et je suis heureux que, même le président de la Commission de l’Union africaine l’ait rappelé. Nous avions demandé le renforcement du mandat de la Minusma. Vous ne pouvez pas gérer la paix là où elle n’existe pas. Pour la maintenir, il faut que la paix existe. Donc, lorsque les casque bleus sont engagés, il faut qu’ils soient engagés avec tous les moyens requis, tant pour le mandat que pour l’équipement adéquat. Aujourd’hui, la Minusma est le théâtre le plus meurtrier.
Et les Sénégalais sont très engagés.
Oui, les Sénégalais sont très engagés. En décembre, nous serons la première force devant le Tchad, avec 1 500 hommes. Le Tchad : 1 400. Donc nous sommes engagés, mais nous voulons que, aussi, la sécurité des soldats soit garantie, que les moyens nécessaires à leur mission soient mis à disposition. Nous y travaillons avec les Nations-Unies, nous y travaillons avec nos partenaires européens. Je pense que globalement, tout le monde est d’accord que dans certains théâtres, le mandat doit être très fort, très robuste.
RFI Afrqiue