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Gabon I « Non aux déclarations paternalistes et colonialistes » : Nicaise Moulombi répond à Christel Bories, PDG du groupe Eramet

Rédigé par leral.net le Jeudi 3 Juillet 2025 à 18:14 | | 0 commentaire(s)|

Transformer au Gabon n'est ni irréaliste ni accessoire : c'est une décision stratégique, une trajectoire souveraine et un impératif de développement
Les propos tenus récemment par un haut responsable d'Eramet à propos de la décision gabonaise de mettre un terme à l'exportation de manganèse brut à compter du 1er janvier 2029 appellent une mise au point. Derrière des arguments techniques apparemment rationnels, cette intervention exprime une vision condescendante de la capacité d'un Etat (...)

- LIBRE PROPOS /

Transformer au Gabon n'est ni irréaliste ni accessoire : c'est une décision stratégique, une trajectoire souveraine et un impératif de développement

Les propos tenus récemment par un haut responsable d'Eramet à propos de la décision gabonaise de mettre un terme à l'exportation de manganèse brut à compter du 1er janvier 2029 appellent une mise au point. Derrière des arguments techniques apparemment rationnels, cette intervention exprime une vision condescendante de la capacité d'un Etat africain à choisir librement son modèle économique. Il s'agit là non seulement d'une maladresse diplomatique, mais également d'une sous-estimation stratégique du potentiel du Gabon et de la cohérence de sa démarche de transformation.

1. Une volonté politique souveraine, fondée sur une vision de long terme.

La décision de ne plus exporter de minerai brut ou concentré à compter de 2029 s'inscrit dans une dynamique globale de transformation structurelle de l'économie gabonaise. Elle repose sur une vision claire : faire du Gabon une économie industrialisée, capable de transformer localement ses ressources naturelles afin de capter davantage de valeur ajoutée et de rompre avec la dépendance aux cours mondiaux.

Ce choix n'est ni idéologique ni improvisé. Il découle d'un diagnostic lucide sur les limites du modèle extractiviste : peu d'emplois créés, recettes fiscales instables, absence d'effets d'entraînement sur le tissu économique local. Le Gabon veut désormais penser ses ressources non plus comme des « richesses à céder », mais comme des leviers à structurer pour l'industrialisation, l'insertion des jeunes dans l'emploi et la souveraineté économique. Cette orientation est conforme à l'Agenda 2063 de l'Union Africaine et aux meilleures pratiques des pays ayant réussi leur mutation industrielle.

2. Une analyse technico-économique partiale et démobilisatrice.

Lorsque le dirigeant de Comilog affirme que transformer localement supposerait une infrastructure équivalente à « deux fois la capacité de l'Europe », il recourt à une analogie faussement spectaculaire, qui relève davantage de la dissuasion que de l'analyse rigoureuse. Le Gabon ne prétend pas reproduire en quelques années l'ensemble de la chaîne industrielle mondiale du manganèse. Il ambitionne de transformer une part croissante de sa production, de manière planifiée, progressive et ciblée.

Les défis d'infrastructure énergétique, logistique et industrielle sont réels, mais ils sont connus, quantifiés et intégrés dans la planification stratégique de l'État. Le Plan National de Développement (PND) 2026-2032 prévoit à cet effet des investissements dans les infrastructures énergétiques (barrages hydroélectriques, interconnexions régionales, partenariats énergétiques), dans les infrastructures ferroviaires et portuaires, et dans la formation d'une main-d'œuvre qualifiée.

Des pays à population comparable – Botswana, Émirats Arabes Unis, Norvège ont démontré que la transformation locale n'est pas affaire de démographie, mais de vision, de leadership et de qualité institutionnelle.

3. La rentabilité privée ne peut prévaloir sur l'intérêt national

L'argument selon lequel la transformation doit être « rentable » pour les entreprises extractrices est légitime du point de vue d'un acteur privé. Toutefois, le rôle de l'État n'est pas de maximiser les profits d'actionnaires internationaux, mais d'optimiser les bénéfices économiques, sociaux et environnementaux pour sa population.

La rentabilité nationale intègre des paramètres plus larges : création d'emplois directs et indirects, amélioration de la balance commerciale, stimulation des secteurs connexes (logistique, maintenance industrielle, formation), et réduction de la vulnérabilité aux chocs externes. Dans une perspective de long terme, transformer localement permet de renforcer l'autonomie économique du pays et d'asseoir une base industrielle durable.

En d'autres termes, ce qui est jugé non rentable à court terme par une multinationale peut être vital à long terme pour un État. L'enjeu n'est donc pas de s'aligner sur les standards des acteurs privés, mais d'élaborer avec eux un cadre contractuel équilibré, à la hauteur des ambitions du pays hôte.

4. Un partenariat souhaité, mais sur des bases refondées

Le dirigeant du groupe Eramet affirme que son entreprise souhaite continuer à coopérer avec les autorités gabonaises. C'est un point positif, mais cette coopération ne peut plus se faire dans les conditions du passé. Il ne s'agit plus, pour le Gabon, de s'insérer dans des schémas conçus ailleurs, mais de définir souverainement ses priorités et de les traduire en politiques industrielles ambitieuses.

Les partenaires industriels sont invités à s'ajuster aux nouvelles orientations nationales, comme cela se fait dans toutes les économies dynamiques du monde. La coopération doit être désormais fondée sur trois piliers :

• le respect de la souveraineté économique du Gabon ;
• l'investissement conjoint dans la montée en gamme ;
• et l'alignement sur les objectifs stratégiques du pays hôte.

A défaut, d'autres partenaires, plus respectueux et audacieux, prendront le relais.

5. Une transition irréversible, maîtrisée et soutenue par le peuple

Qualifier de « balle dans le pied » la volonté gabonaise de transformer son manganèse localement relève d'une maladresse regrettable. Cela revient à considérer qu'un pays d'Afrique centrale n'a ni les moyens techniques, ni les capacités institutionnelles, ni la légitimité à orienter son avenir. C'est cette logique que le Gabon rejette fermement.

Le pays avance vers une trajectoire nouvelle : celle d'un Etat africain qui ne se contente plus de céder ses ressources, mais qui décide de les transformer, de les maîtriser et d'en faire le moteur d'un développement endogène. Cette transition est portée par une vision présidentielle claire, une administration engagée et une population qui attend des résultats tangibles.

Conclusion : Transformer est un droit, un devoir et une voie d'émancipation

Le Gabon ne s'oppose pas aux entreprises extractives. Il leur tend la main pour bâtir une nouvelle alliance, fondée sur la confiance, le respect et la co-construction. Mais il ne transigera pas sur l'essentiel : le droit inaliénable de transformer chez lui ses propres richesses. C'est à cette condition que l'Afrique sortira du cycle de dépendance dans lequel elle a été trop longtemps enfermée.

Nicaise MOULOMBI, 2è Vice-Président du
Conseil Economique, Social et Environnemental



Source : https://www.gabonews.com/fr/actus/libre-propos/art...