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Jean-Louis Correa sur l'affaire Karim Wade : "L’État doit se soumettre à la décision de l’Onu"

Jean-Louis Correa, agrégé des facultés de droit, indique que le Comité des droits de l'homme de l'Onu ne peut pas annuler l'arrêt de la Crei contre Karim Wade. Cependant, il suggère au Sénégal de se soumettre à la décision de l'organe onusien, qui lui demande de réexaminer le procès de l'ancien ministre d'État.


Rédigé par leral.net le Vendredi 16 Novembre 2018 à 19:05 | | 0 commentaire(s)|

Jean-Louis Correa sur l'affaire Karim Wade : "L’État doit se soumettre à la décision de l’Onu"
Le Comité des droits de l'homme de l'Onu demande au Sénégal de reconsidérer la condamnation de Karim Wade, avançant que ses droits ont été violés. D'abord, quelle est la composition et la mission de cet organe de l'Onu ?

Le Comité des droits de l'homme de l'Onu regroupe des experts des questions des droits de l'homme. Même si leurs États d'origine peuvent être considérés comme des pays qui ne respectent pas les droits de l'homme, ils n'y sont pas pour représenter leurs États. Ils y sont en raison de leur expertise.

Ce qui fait que lorsque le comité des Droits de l'homme se réunit, la décision qui est rendue par le comité est une décision qui fait autorité, du double point de vue de l'organe qui le rend et des personnes qui ont contribué à ce que la décision soit rendue. Donc ce qui m'amène à une autres constatation : le Comité des droits de l'homme de l'Onu n'est pas un organe juridictionnel, c'est un organe qui est mi-juridictionnel et mi-diplomatique. Donc, dès qu'on a dit cela, on en tire les conséquences en termes d'autorité de la décision rendue par l'organe.

Quelles sont ces conséquences ?

L'autorité rendue n'est qu'une autorité persuasive. La décision rendue par le Comité des droits de l'homme de l'Onu n'a qu'une autorité persuasive. Mais n'a pas une autorité de la chose jugée comme on dirait en droit. Cela veut dire qu'en fonction des autorités scientifiques qui ont rendu la décision, en fonction de l'organe qui a rendu la décision, les organes vont se plier d'eux-mêmes pour la mise en œuvre de la décision. Donc, c'est comme ça qu'il faut comprendre la décision rendue par le Comité des droits de l'homme.

"Une décision de justice sénégalaise ne peut pas être annulée par une décision rendue par le Comité des droits de l'homme de l'Onu."


Alors sa décision annule-t-elle l'arrêt de la Crei ?

Non. Une décision de justice sénégalaise ne peut pas être annulée par une décision rendue par le Comité des droits de l'homme de l'Onu. Parce qu'il reste clair que le Comité des droits de l'homme de l'Onu n'est pas un organe juridictionnel. C'est un organe diplomatique qui rend une décision.

Mais, comme il a signé le pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques, le Sénégal ne peut pas signer ce pacte dont la surveillance et la mise en œuvre est faite par le comité, puis dire : 'je ne respecte pas les engagements du comité, je ne respecte pas les engagements que moi-même j'ai assumés et je ne respecte pas le mécanisme qui est mis en place pour le contrôle du respect de ces engagements'. Et c'est là où l'État du Sénégal doit être conséquent avec lui-même et dire : 'j'ai accepté ce mécanisme, ce mécanisme est arrivé à une conclusion, je me dois d'accepter la conclusion de ce mécanisme auquel je suis partie prenante'. Mais, je suis catégorique : aucune annulation n'est possible.

Le Comité, dans son document, dit que la "déclaration de culpabilité de Karim Wade doit être réexaminé". Qu'est-ce que cela signifie en des termes plus clairs ?

C'est une invite que le Comité des droits de l'homme fait à l'État du Sénégal. Celle de bien vouloir se conformer au constat qui a été fait, de violations des droits fondamentaux de M. Karim Wade et de bien vouloir reprendre le procès, puis de le reprendre dans le sens d'une conformité avec les exigences en matière de droits de l'homme. C'est uniquement cela. C'est pour inciter l'État du Sénégal à reprendre la procédure et à veiller, dans cette reprise, à ce que les droits fondamentaux de M. Wade soient respectés.

Est-il arrivé dans l'histoire qu'un État partie reprenne, sur recommandation du Comité, un procès tranché par ses juridictions ?

Il y a quelque mois, l'État français a été condamné par le Comité des droits de l'homme dans l'affaire "Baby loup". Le Comité des droits de l'homme a rendu une décision pour dire que la Cour de cassation n'avait pas raison de limiter la liberté religieuse d'une dame voilée. Le Comité des droits de l'Homme a dit que la France avait violé la liberté religieuse de la dame. Et dès que la décision est sortie, la Cour de cassation française a pris sur elle de reprendre le procès "Baby loup".

"Le gouvernement du Sénégal actuel rechigne très souvent à se soumettre volontairement (des juridictions internationales)."

Quelle serait la conséquence si l'État du Sénégal ne se conformait pas à la décision du Comité des droits de l'homme de l'Onu ?

Ce qui se joue pour l'État du Sénégal, c'est un risque de réputation. Et c'est également une impossibilité pour l'État de se faire appuyer, ou de ne pas avoir le concours d'autres États dans le cadre d'une entraide judiciaire. L'État du Sénégal est récemment passé devant la Commission des droits de l'homme de l'Onu pour plaider son dossier dans le cadre de la revue des droits de l'homme.

Tout le monde a été presque d'accord pour dire que le Sénégal, malgré quelques difficultés, reste conforme aux engagements en matière de droits de l'homme. Mais, si un tel État, qui a reçu un satisfécit de la part de la communauté internationale, est condamné par le Comité des droits de l'homme, et ne s'y conforme pas, vous conviendrez que ça fait un peu désordre. Ça fait tache.

Jusqu'à quelle proportion ?

On pourrait, lors des revues prochaines, reprocher au Sénégal de ne pas se conformer à ses engagements. Et l'État de droit, c'est l'État qui, volontairement, se soumet à la règle de droit. Et quand on reproche au gouvernement de ne pas aller dans le sens d'édifier véritablement un État de droit, c'est parce que le gouvernement du Sénégal actuel rechigne très souvent à se soumettre volontairement.

Ici, la décision du Comité des Nations-Unies interpelle l'État du Sénégal sur sa capacité à se soumettre volontairement à la règle de droit. Donc, on a un problème de risque de réputation du Sénégal qui, quoiqu'on dise, au niveau international, a une bonne réputation en matière de respect des droits de l'homme. Et là c'est l'État qui est interpellé sur sa capacité à se conformer, même si les enjeux politiques peuvent être très lourds. Il y va de la réputation de l'État du Sénégal.

Que conseilleriez-vous à l'État du Sénégal ?

Ne pas se conformer à cette décision, c'est engager le Sénégal, et nous tous, dans une impasse qui est l'impossibilité de pouvoir se confronter à la communauté internationale, surtout lorsqu'il s'agit des droits de l'homme. La place que nous occupons sur l'échiquier international, la réputation que nous avons, devrait peser sur la balance.

Et que les décideurs, notamment le président de la République, décident, en rapport avec tous les services de l'État, de revoir dans quelle mesure le procès de Karim Wade peut être repris dans une perspective de se conformer aux exigences de ce Comité qui, quoiqu'on puisse dire, est composé d'experts indépendants.

Donc, l'État du Sénégal doit se soumettre. Et ne pas se soumettre à cette décision, renforcerait, malheureusement l'analyse de ceux qui pensent que ce n'est qu'une chasse aux sorcières ou ce n'est qu'une volonté d'éliminer des opposants. Et je pense que l'intérêt du Sénégal est supérieur à l'intérêt partisan. Il faut plutôt privilégier l'intérêt du Sénégal. En termes de risque de réputation, la non mise en œuvre de cette décision du comité des droits de l'homme, risque de beaucoup plus coûter à l'État du Sénégal.






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