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L'avenir de l'Algérie en question le jour des obsèques d'Ahmed Gaïd Salah

Rédigé par leral.net le Jeudi 26 Décembre 2019 à 09:43 | | 0 commentaire(s)|

L'Algérie a enterré mercredi 25 décembre Ahmed Gaïd Salah. La cérémonie de funérailles a débuté avec l'arrivée de la dépouille du chef de l'état-major au palais du Peule à Alger. La disparition brutale de l'homme fort du pays va-t-elle changer la donne sur la scène politique algérienne ? Quelle sera la marge de manœuvre du nouveau président Abdelmajid Tebboune élu avec l'appui de l'armée ?


Ce sont des funérailles officielles et populaires d'une ampleur inédite pour un militaire, qui se sont déroulées en début d'après-midi, mercredi en Algérie. Alors même que le général Gaïd Salah était contesté par le Hirak, le mouvement populaire qui demande la fin du système politico-militaire algérien, la cérémonie, retransmise par la télévision algérienne, a rappelé celles organisées pour les anciens présidents Ben Bella, Boumediene ou Boudiaf.

« Il y eu énormément de monde, relate Akram Kharief, journaliste spécialiste de la politique algérienne. On a vu des milliers et des milliers d’Algériens accompagner le cortège funéraire, parfois en courant sur des kilomètres. Il est totalement indéniable de dire qu’il y a eu du monde et qu’il y a eu, aussi, beaucoup de gens qui appréciaient la personne et qui étaient là-bas sincèrement, non pas par positionnement politique. Ces personnes estimaient que Gaïd Salah méritait des obsèques nationales et même, pour certains, une entrée dans l’histoire. »

A la sortie du palais du Peuple, la dépouille de Gaïd Salah, enveloppée du drapeau algérien, a en effet été saluée par les youyous des femmes, comme jadis pour les martyrs du pays. Transporté sur un affût de canon tiré par un véhicule de l'armée, le cerceuil a traversé la capitale en tête d'un long cortège. Sur le chemin, des milliers de citoyens s'étaient rassemblés, saluant le passage du cortège funéraire, ensuite accueilli par une immense foule amassée devant le cimetière d'El Alia.

Le général Boualem Madi, directeur de la communication au ministère de la Défense, lui a rendu un vibrant hommage, saluant « un héros parmi les héros ». Ahmed Gaïd Salah a été enterré au sein du carré des martyrs, où reposent les anciens chefs d'État et les grandes figures de la lutte pour l'indépendance.

L'incarnation du pouvoir pendant près d'un an

Depuis des décennies, des généraux de l'armée sont au cœur du pouvoir en Algérie. Avec le début du Hirak, il y a dix mois, le général Ahmed Gaïd Salah s'est propulsé sur le devant de la scène. C'était lui qui prenait toutes les décisions politiques, lui encore qui s'adressait régulièrement aux manifestants.

« Le pouvoir algérien considère que M. Gaïd Salah a été celui qui a géré les dix mois de crise politique. Selon le pouvoir, c’est lui qui aurait aussi décidé de ne pas utiliser la violence contre les manifestants », rappelle Akram Kharief. Aux yeux de ce dernier, l'ampleur de la cérémonie est « une façon de dire qu’il a été le président réel de l’Algérie entre le 2 avril 2019 et le 12 décembre 2019, la meilleure preuve étant qu’il a même été décoré, lors de la cérémonie d’investiture, de la médaille du mérite Sadr qui n’est attribuée en théorie qu’aux chefs d’État ».

L'avenir de l'Algérie en question le jour des obsèques d'Ahmed Gaïd Salah
« Pour les Algériens, Gaïd Salah n’a pas ouvert le feu sur la population, contrairement à ce qui s’est passé dans les années 1980, en 1990 notamment. Cela était bien retenu, estime Fayçal Metaoui, lui aussi journaliste. Et ce qui a été retenu également, c'est le fait que l’armée ne prenne pas le pouvoir, pour les Algériens. Gaïd Salah aurait pu être le chef de l’État, aurait pu prendre le pouvoir en 2018, mais il ne l’a pas fait, laissant le processus électoral se dérouler. »

« Ces choix ont trouvé de l'écho auprès de la population, ajoute Fayçal Metaoui. Même ceux qui étaient contre lui, contre ces choix politiques surtout, étaient présents. Même si on est pas d’accord avec l’homme et ses choix, lui rendre hommage ne serait pas une mauvaise chose. Les Algériens qui étaient présents aujourd’hui aux obsèques ont rappelé cela en disant qu’il a sauvé l’Algérie d’un bain de sang. »

Le système change de peau, mais pas d’âme

Après la disparition de Gaïd Salah, « il n’y aura ni rupture ni changement, mais une continuité », affirment des analystes. Certains espèrent que cette disparition donnera plus de liberté au nouveau chef de l'État, Abdelmajid Tebboune. Mais la marge de manœuvre semble aujourd'hui réduite. Il est pris en tenaille entre les exigences de l'armée et les aspirations du peuple.

Les manifestants n'oublient pas que M. Tebboune a été choisi par les généraux. Le président, selon eux, « doit sa victoire aux généraux et leur sera toujours reconnaissant ». Lucides, ils rappellent que le système a toujours réussi à survivre en changeant de peau, sans jamais changer d'âme.

Le chef d'état-major de l'armée avait toujours agi en concertation avec un nombre restreint de généraux. Ce sont eux qui continueront de peser sur les orientations politiques du pays. Ahmed Gaïd Salah, on le sait, avait déjà prévu de passer la main à Said Changriha, nommé lundi 23 décembre chef d'état-major de l'armée par intérim.



RFI