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L'élu Indépendant Brice Clotaire Oligui Nguema et les siens peuvent creer un parti politique, mais a une seule condition a notre humble avis

Rédigé par leral.net le Samedi 28 Juin 2025 à 22:56 | | 0 commentaire(s)|

Depuis environ deux semaines, une polémique enfle autour de l'article 82 alinea 3 du code électoral gabonais. A l'origine de ce débat, le projet de création d'un parti politique par l'élu indépendant Brice Clotaire Oligui Nguema et les siens.
Loin de verser dans un juridisme de mauvais aloi, nous souhaitons juste jeter ici un léger regard sur cette disposition légale et traduire, si nécessaire, notre humble ressenti sur sa constitution littérale (I) et littéraire (II).
I- Lecture au (...)

- LIBRE PROPOS /

Depuis environ deux semaines, une polémique enfle autour de l'article 82 alinea 3 du code électoral gabonais. A l'origine de ce débat, le projet de création d'un parti politique par l'élu indépendant Brice Clotaire Oligui Nguema et les siens.

Loin de verser dans un juridisme de mauvais aloi, nous souhaitons juste jeter ici un léger regard sur cette disposition légale et traduire, si nécessaire, notre humble ressenti sur sa constitution littérale (I) et littéraire (II).

I- Lecture au plan littéral

L'appréciation littérale de ce texte est un voyage dans les méandres de sa lettre ou de sa constitution syntaxique. Aux termes de cet article 82 alinea 3 du code électoral "Tout élu en qualité d'indépendant ou devenu indépendant à la suite de la dissolution du parti politique qui a présenté sa candidature ne peut, pendant la durée de son mandat, adhérer à un parti politique légalement reconnu sous peine d'annulation de son élection".

Littéralement, cette disposition légale traite des élus indépendants (A) et de l'interdiction qui leur est faite d'adhérer à un parti politique légalement reconnu (B)

A - Les élus indépendants

L'article susvisé distingue deux catégories d'élus indépendants : ceux qui le sont en vertu de leur élection et ceux qui acquièrent cette qualité à la suite de la dissolution du parti politique qui a présenté leurs candidatures.

Les élus indépendants sont alors des citoyens venus de divers milieux sociaux, qui n'ont d'attaches officielles avec les partis politiques et qui concourent, à leur manière, à l'expression du suffrage universel, quoique la loi ne le dise pas expressément.

La singularité du statut des indépendants a souvent conduit le législateur gabonais à restreindre leurs droits politiques, de telle sorte qu'en tant que candidats, ils n'avaient droit, ni au franc électoral, ni à la proposition des scrutateurs représentant l'Opposition ou la Majorité.

La loi ne leur reconnaissait que le droit de désigner leurs représentants dans les bureaux de vote et, peut-être, dans les commissions électorales.

Notre nouveau code électoral semble perpétuer cette tradition de restriction des droits politiques des candidats ou des élus indépendants. C'est du moins la substance de l'article 82 alinea 3 susvisé, qui fait obstacle à la liberté des élus indépendants d'adhérer à un parti politique légalement reconnu. Cette restriction de liberté d'adhésion est à l'origine de la vive controverse qui secoue la toile ces deux dernières semaines. Quelle est l'étendue réelle de cette restriction ?

B- Restriction du droit d'adhésion

L'article 82 alinea 3 interdit aux élus indépendants d'adhérer à un parti politique légalement reconnu sous peine d'annulation de leur élection. En d'autres termes, les élus indépendants peuvent adhérer aux partis politiques de leur choix, suivant le principe du verre à moitié vide et à moitié plein, à la seule condition que ces partis politiques ne soient pas légalement reconnus.

Ce droit d'adhésion tombe dans la caducité le jour même où le parti politique accède à la reconnaissance légale, muselé par les dispositions pertinentes de l'article 82 alinea 3 susvisées. Les élus indépendants, aux termes de cette disposition légale, ne sont donc pas autorisés à adhérer à un parti politique légalement reconnu. Cette lecture semble faire l'unanimité.

La pomme de discorde naît à partir du moment où certains compatriotes, à tort ou à raison, estiment que cette restriction du droit adhésion s'étend à la liberté des élus indépendants de créer des partis politiques légalement reconnus car, selon ces derniers, la création d'un parti politique est une adhésion implicite à celui-ci . Cet argument ne semble pas du goût de ceux qui considèrent que les verbes "Créer" et "Adhérer" relèvent des champs sémantiques distincts.

La conciliation des positions aussi enracinées est une aventure intellectuelle périlleuse qui peut, en pareilles circonstances, conduire son auteur dans un juridisme inopérant. Il semble alors nécessaire de contextualiser le débat et d'admettre que, dans une approche large ou générale, les verbes "créer" et "adhérer" expriment des réalités bien distinctes.

Ce qui ne semble pas le cas, dans le contexte précis de la création d'un parti politique et de l'adhésion à un parti politique, où les deux verbes sont d'une telle connexité sémantique qu'il est difficile de mettre en exergue leur valeur antonymique.

En effet, la création d'un parti politique est un processus à trois étapes :

- L'étape de la conception du projet, donc de la formulation de l'idée
L'étape de la collecte des adhésions à cette idée ou à ce projet,
L'étape de la création stricto sensu ou de la formalisation du projet.

Le fait pour la loi sur les partis politiques d'exiger un nombre minimum d'adhérents pour la création d'un parti politique laisse dire que le processus de collecte des adhésions à un parti politique en création est antérieur à celui de sa création stricto sensu, c'est-à-dire celui de la formalisation du projet. Les créateurs d'un parti politique sont alors des personnes ayant préalablement rempli la condition d'adhésion à ce projet.

Celui qui crée un parti politique y a donc déjà adhéré. Le créateur est donc l'adhérent. Les verbes "créer" et "adhérer" ont alors ici la même valeur sémantique. L'élu indépendant qui crée un parti politique y est adhérent de facto. Il suffit alors que ce parti politique en création accède à la reconnaissance légale pour que le créateur-adhérent tombe sous coup de l'interdiction prescrite à l'article 82 alinea 3.

Aussi, convient-il de noter que la loi n'établit aucune distinction entre l'adhésion à un parti politique en création et l'adhésion à un parti politique légalement reconnu. L'idée selon laquelle l'adhésion à un parti politique en création est différente de l'adhésion au cours de l'existence de celui-ci me semble étrangère à la volonté du législateur dans cette disposition légale.

Adhérer à une idée à sa conception et adhérer à celle-ci au cours de son développement nous semble produire les mêmes effets juridiques, c'est-à-dire le consentement libre et éclairé donné pour la participation à l'éclosion ou à la pérennité d'un parti politique. Le débat sur la distinction entre les verbes "créer" et "adhérer" ou entre les expressions " adhérer à la création" et " adhérer au cours de la vie du parti" nous semble vidé d'intérêt juridique dans cette espèce. Créer un parti politique, c'est y adhérer et adhérer, c'est Adhérer.

L'appréciation littérale de l'article 82 alinea 3 ne permet alors pas d'entrevoir la possibilité pour un élu indépendant de créer ou d'adhérer à un parti politique légalement reconnu. Il faut alors transcender la simple appréciation littérale pour questionner la pensée du législateur dans une lecture littéraire de cette disposition légale.

II- Lecture au niveau littéraire

Il s'agit ici de pénétrer l'esprit de cette disposition légale, de sonder la pensée du législateur afin de tenter de comprendre les raisons de la restriction faite aux élus indépendants d'adhérer à un parti politique légalement reconnu. D'une manière générale, l'article 82 alinea 3, dans son esprit, vise la lutte contre la transhumance politique, en prenant soin d'établir la distinction entre la transhumance politique de mauvaise foi (A) et la transhumance politique de bonne foi (B)

A- Transhumance politique de mauvaise foi

La transhumance politique est le fait pour un adhérent d'un parti politique ou pour un indépendant de changer de qualité ou de statut politique. L'adhérent qui démissionne de son parti politique pour adhérer à un autre est un transhumant politique. Il en est de même pour l'élu indépendant qui abandonne cette qualité pour adhérer à un parti politique.

L'élu d'un parti politique, qui devient indépendant à la suite de la dissolution du parti politique qui a présenté sa candidature est aussi un transhumant politique. L'élu indépendant qui quitte ce statut pour celui de créateur-adhérent d'un parti politique n'est pas moins transhumant politique que les autres.

Cependant, l'article 82 alinea 3, dans son esprit, distingue la transhumance politique de mauvaise foi et la transhumance politique de bonne foi. Nous abordons, dans cette sous-partie, la problématique de la transhumance politique de mauvaise foi, c'est-à-dire celle qui trahit la confiance de l'électeur car, en fait de la transhumance politique, c'est le respect de la confiance de l'électeur qui est mis en exergue dans cette disposition légale.

En effet, il a été constaté que beaucoup d'élus indépendants changeaient de manière systématiquement leur statut politique d'indépendant pour revêtir celui d'adhérent à une formation politique légalement reconnue. Pour le législateur, ce changement de statut politique constitue une trahison, par l'élu indépendant, de la confiance placée en lui, en tant qu'indépendant, par ses électeurs.

Pour s'assurer que ce changement de statut politique n'a altéré en rien la confiance de ses électeurs, le législateur a jugé nécessaire de prescrire l'annulation de l'élection de l'élu indépendant, pour lui permettre de solliciter à nouveau la confiance de ses électeurs avec son nouveau statut politique.

Plus que la transhumance politique elle-même, c'est donc la mauvaise foi de l'élu indépendant qui est sanctionnée ici. La disposition légale, objet de cet examen, rappelle à l'élu indépendant qu'il n'a en réalité pas le droit de changer de positionnement politique sans préalablement solliciter l'avis de ceux qui lui ont confié le mandat de représentation en tant qu'indépendant.

Autrement dit, en sa qualité de mandataire politique, il ne peut changer de costume politique sans requérir préalablement l'avis de ses mandants, donc de ses électeurs. Pour l'y contraindre, le législateur prescrit l'annulation de son élection et le retour devant les électeurs si tel est son désir.

Dans l'esprit de l'article 82 alinea 3, l'élu indépendant n'a pas le droit de trahir la confiance de ses électeurs, en adhérant à un parti politique légalement reconnu ou même en créant un parti politique susceptible d'être reconnu légalement, sans leur avis préalable. En d'autres termes, il n'est pas digne de solliciter la confiance de l'électeur sous le voile de la neutralité politique et arborer juste quelques jours après l'élection, une coloration politique.

L'article 82 alinea 3 condamne donc cette transhumance politique de mauvaise foi, c'est-à-dire celle qui est susceptible de surprendre l'électeur et de le conduire au regret de son choix ou de sa confiance placée en cet élu indépendant. Mais, qu'en est-il de la transhumance politique de bonne foi ?

B- Transhumance politique de bonne foi

La transhumance politique de bonne foi est le changement de qualité ou de statut politique qui n'altère pas la relation de confiance entre l'élu indépendant et ses électeurs. L'article 82 alinea 3 présente ici l'exemple de l'élu d'un parti politique qui quitte ce statut pour celui d'élu indépendant à la suite de la dissolution du parti politique qui a présenté sa candidature.

Cette transhumance politique est ici tolérée par le législateur. Logiquement, tout élu qui perd ou change de coloration ou de statut politique au cours de son mandat devrait repartir devant ses électeurs pour solliciter à nouveau leur confiance. Or, on constate ici que, plutôt que de renvoyer devant les électeurs l'élu dont le parti politique a été dissout, le législateur a préféré sauver son mandat en lui accordant un statut d'élu indépendant. Deux raisons justifient cette position du législateur.

La première est que le mandat d'un élu n'est pas attaché à sa formation politique, mais à la confiance de ses électeurs. Dans des élections au suffrage universel, le pouvoir de désigner les représentants au parlement ou à la présidence de la République appartient au peuple, donc aux électeurs et non aux partis politiques qui présentent leurs candidatures. Pour preuve, les candidats sans formation politique sont également autorisés à solliciter la confiance des électeurs pour un mandat de représentation.

Les mandats politiques des élus membres des partis politiques légalement reconnus sont donc indifférents des perturbations qui peuvent sécouer la vie des formations politiques qui ont présenté leurs candidatures. C'est pourquoi dans la nouvelle loi sur les partis politiques, l'élu qui démissionne de son parti conserve son mandat, mais n'a pas le droit d'adhérer à un autre parti politique.

La deuxième raison est que la dissolution d'un parti politique est une circonstance extérieure à la volonté de l'élu d'un parti politique. La transhumance politique est imposée ici à l'élu par une circonstance extérieure à sa volonté. L'élu n'a donc pas personnellement et intentionnellement posé un acte susceptible de trahir la confiance de ses électeurs. La loi autorise donc qu'il quitte son statut d'élu d'un parti politique pour celui de l'élu indépendant. Autrement dit, la loi autorise sa transhumance de bonne foi.

La question dans notre débat est donc de savoir si l'élu indépendant Oligui Nguema Brice Clotaire, en quittant son statut d'élu indépendant à celui de créateur-adhérent d'un parti politique légalement reconnu, fait de la transhumance politique de bonne foi ? Nulle autre personne ne peut répondre à cette question si ce n'est le juge de l'interprétation des lois, c'est-à-dire le juge constitutionnel.

Le Président Oligui et les siens peuvent donc régulièrement convoquer leur Assemblée générale constitutive et déposer en bonne et due forme leur dossier de création de parti politique au Ministère de l'intérieur. Dès réception de ce dossier, le Ministre de L'intérieur devrait logiquement solliciter l'avis de la Cour constitutionnelle sur la question de savoir si l'élu indépendant, Brice Clotaire Oligui Nguema, en participant à la création et en adhérant à un parti politique en création fait de la transhumance politique de mauvaise foi susceptible de le placer dans le champ de l'interdiction faite par l'article 82 alinea 3 susvisé ?

La réponse pour moi serait "Non" car il ne fait aucunement de la transhumance politique de mauvaise foi. Ce dernier s'est certes présenté à ses électeurs en candidat indépendant, mais il avait un mouvement politique informel connu de ses derniers et sous le label duquel ils lui ont même accordé leur confiance : "Les bâtisseurs". Le fait de rendre officiel ce mouvement ne peut surprendre ses électeurs ou constituer un motif de trahison de leur confiance.

Il y a donc ici un cas de transhumance politique de bonne foi, donc tolérée par le législateur dans l'esprit de l'article 82 alinea 3 du code électoral. Sur la base de cet avis, le Ministère de l'Intérieur devrait logiquement délivrer le récépissé de reconnaissance officielle de ce parti politique. L'élu indépendant Oligui Nguema Brice Clotaire et les siens peuvent bien créer un parti politique, à la seule condition que le juge constitutionnel reconnaisse qu'il fait une transhumance politique de bonne foi.

Nestor BINGOU, Magistrat



Source : https://www.gabonews.com/fr/actus/libre-propos/art...