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LE DISCOURS FÉMINISTE D’HIER À AUJOURD’HUI

Rédigé par leral.net le Mercredi 14 Mai 2025 à 01:27 | | 0 commentaire(s)|

Le féminisme sénégalais a pris corps entre les années 1970 et 1990 dans un discours mesuré, centré sur l’égalité d’accès aux droits, sans rupture frontale avec le patriarcat. Aujourd’hui, une génération d’activistes réinvente la lutte

Porté à ses débuts par une élite féminine éclairée, le féminisme sénégalais a pris corps entre les années 1970 et 1990 dans un discours mesuré, centré sur l’égalité d’accès aux droits, sans rupture frontale avec le patriarcat. Aujourd’hui, une génération d’activistes réinvente la lutte. Leur verbe, plus tranchant, interroge les normes, bouscule les codes et redéfinit un féminisme enraciné dans le réel, mais tendu vers la souveraineté et l’émancipation intégrale des femmes.

Le féminisme, entendu comme une doctrine ou « un mouvement qui préconise l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes » dans la société, a connu, au fil des décennies, de multiples mutations. Le discours féministe au Sénégal remonte à une époque antérieure aux indépendances, mais l’affirmation d’un militantisme ouvertement féministe commence à se manifester vers les années 1970. Cette dynamique est portée par les premiers mouvements féminins postindépendance, incarnées notamment par des intellectuels, universitaires pour la plupart, qui entendaient défendre l’égalité entre les sexes à tous les niveaux de la société. C’est ainsi qu’en 1977 voit le jour, à Dakar, la Fédération des associations féminines du Sénégal.

Aux origines d’un engagement féminin

Les revendications portaient essentiellement sur la reconnaissance de la participation des femmes au développement, comme l’explique Fatou Sow, cofondatrice de la structure, dans une communication datant de 2008 et intitulée «les défis d’une féministe en Afrique». Des figures comme Awa Thiam, auteur de l’ouvrage « la Parole aux Négresses » en 1978 et membre de la Commission pour l’abolition des mutilations sexuelles (Cams), ont très tôt engagé des actions en faveur de la libération des femmes. Ce contexte donne matière à réflexion au greffier Mouhamed Diédhiou, spécialiste des questions de genre, pour qui le discours féministe sénégalais, dès ses premiers pas, « implique des rapports de genre au sens strict homme/femme. Il ambitionne de neutraliser les liens de subordination de la femme vis-à-vis de l’homme ». Pour l’auteur de l’essai « Mariama Bâ et le féminisme, perspectives critiques », il y a toujours eu un discours féministe au Sénégal, « perceptible notamment à travers la diffusion progressive de la doctrine du genre dans toutes les sphères sociales ». D’ailleurs, en 1982, comme le rappelle Fatou Sow, « Awa Thiam a tenu à Dakar un atelier sur les oppressions féminines, sur un mode très féministe qui a déconcerté plus d’une participante sénégalaise, ainsi que Marie-Angélique Savané, qui avait fondé, en 1984, l’association Yewwu-Yewwi, tout aussi volontairement féministe », a souligné M. Diédhiou.

Pourtant, si la première élite féminine du pays est souvent qualifiée a posteriori de féministe, au regard de son engagement en faveur de l’amélioration du statut des femmes, cette lecture mérite d’être nuancée. Selon Mouhamed Diédhiou, cette élite ne relève pas, à proprement parler, du féminisme. « Pendant longtemps, au Sénégal, il a été entretenu la confusion entre discours féministe et discours féminin. Or, les deux sont différents. Le féminisme est une négation du système patriarcal et, par ricochet, de tous les attributs de l’homme, qu’il considère juste comme suprémaciste. Ce qui n’est pas le cas du discours féminin que j’appelle la ‘’lutte pour la condition féminine», analyse l’essayiste en genre. Dans cette perspective, des figures comme Annette Mbaye d’Erneville, Mariama Bâ, Marie-Angélique Savané, Penda Mbow, Fatou Sow Sarr… sont parfois, à tort, présentées comme féministes. Leur discours, selon Mouhamed Diédhiou, bien que centré sur les droits des femmes, ne visait pas à déconstruire le système patriarcal dans son ensemble, mais à l’aménager. « Il s’agissait avant tout de promouvoir la scolarisation et le maintien des filles à l’école, de combattre les violences conjugales, la polygamie, l’excision, le mariage forcé ou encore le lévirat et le sororat », fait savoir le greffier au tribunal Lat Dior de Dakar. Leur plaidoyer portait également sur l’accès des femmes aux emplois civils et militaires, et sur la prévention des grossesses précoces.

Féminisme modéré

D’ailleurs, l’auteur Fatou Sow justement l’exprime clairement : « Il s’agissait de questionner les rôles et statuts des femmes sans remettre fondamentalement en cause la domination masculine », a-t-elle dit. Une posture qui s’inscrit, selon la journaliste du quotidien national « Le Soleil », Ndèye Fatou Diéry Diagne, en droite ligne avec le « féminisme modéré ». Cette dernière, qui revendique pleinement son engagement dans ce combat, admet néanmoins que le discours féministe au Sénégal a toujours existé, mais « fluctue d’un ou d’une féministe à un ou une autre ». Pour Ndèye Fatou Diéry Diagne, le discours a aujourd’hui profondément évolué, rompant avec la modération des premières figures du mouvement. « Elles ont plus d’audace et ne se cachent pas. Certains thèmes de leur discours dérangent même au sein des partisans du féminisme modéré. Ce qui fait que nous ne pouvons plus parler de féminisme, mais de féminismes [au pluriel] en ce sens que la doctrine a besoin aujourd’hui de s’adapter selon le contexte, les catégories socioprofessionnelles ou les déterminismes sociaux, etc. », explique-t-elle.

Cette mutation s’illustre par un élargissement des thématiques abordées. Le féminisme contemporain prend à bras-le-corps les grandes problématiques de genre. Pour Mouhamed Diédhiou comme pour Ndèye Fatou Diéry Diagne, le discours actuel s’articule autour de la répression du viol et des violences sexuelles, de la question de l’avortement, de l’apologie du divorce, de la parité.

S’y ajoutent des revendications sur la remise en cause de la puissance paternelle et sur le droit des femmes à disposer librement de leur corps.

Ce discours renouvelé est porté par une nouvelle génération d’activistes féministes, largement visibles grâce aux réseaux sociaux.

Vers un féminisme pluriel et disruptif

Des figures comme Fatou Thiam, psychologue clinicienne spécialisée en pathologie psychiatrique et criminologie clinique, Fatou Warka Samb, journaliste et créatrice, Aminata Libin ou encore Maimouna Asta Yade, fondatrice du média féministe « Jigéen TV », incarnent ce tournant. D’autres voix universitaires, telles que Fatou Kiné Kamara ou Bernadette Sonko, s’inscrivent également dans cette dynamique.

Bien loin des préoccupations de l’élite féminine des débuts, ce féminisme assumé épouse les mutations sociales, le niveau d’instruction croissant et l’évolution des rapports sociaux. D’après Mouhamed Diédhiou, le combat n’est plus orienté vers une simple « autonomie », mais bien vers une réelle « souveraineté » féminine. « Ce qui fait la principale ligne de démarcation du mouvement féministe de nos jours avec le discours féministe d’alors est la capacité, voire l’audace qu’il a d’aborder des sujets qui heurtent l’ordre établi », observe-t-il. En effet, poursuit-il, « la nouvelle génération bouscule les mœurs, défie les préjugés et les systèmes culturels ». Un changement de ton que salue Fatou Sow, qui relève dans ses réflexions sur les enjeux du féminisme au Sénégal l’émergence d’un engagement fort, sans concession : une génération de femmes prêtes à se revendiquer comme «féministes sans si ni mais ».

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Farid


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