LE PIÈGE RUSSE QUI A HAPPÉ MALICK DIOP

(SenePlus) - Le destin de Malick Diop illustre tragiquement les dérives du recrutement militaire russe en Afrique. Ce jeune Sénégalais de 25 ans, parti étudier le droit à Nijni Novgorod en 2023, a été fait prisonnier par l'armée ukrainienne en mars dernier après avoir été enrôlé dans les forces russes. Son histoire, rapportée par Jeune Afrique, révèle les mécanismes d'un système de recrutement qui piège les étudiants africains en situation précaire.

Saliou Diop a découvert le sort de son frère de la pire des manières : sur les réseaux sociaux. "Lorsque je l'ai vu avec son uniforme militaire, je n'en ai pas cru mes yeux. L'une des dernières fois que je lui ai parlé, il m'a dit qu'il pensait être enrôlé de force dans l'armée russe", confie-t-il au magazine panafricain.

La famille était sans nouvelles de Malick depuis plusieurs jours quand elle l'a reconnu sur une vidéo, "en treillis, l'air hagard, amaigri, les pieds gonflés", répondant aux questions d'un soldat ukrainien. Leur père, El Hadji Sette Diop, avait été l'une des dernières personnes à lui parler. "Son téléphone avait été confisqué, mais il a réussi à appeler en cachette. Il a confié être en route vers un endroit inconnu. On ne lui a plus jamais parlé depuis", explique Saliou Diop selon Jeune Afrique.

"Quand la vidéo de sa capture a été diffusée, je m'attendais déjà au pire. J'avais le sentiment que quelque chose de grave lui était arrivé. Je remercie le Bon dieu qu'il soit toujours vivant", a déclaré le père à la presse sénégalaise.

Début juin, Malick est apparu dans une nouvelle vidéo publiée par la 12e brigade spéciale de la Garde nationale d'Ukraine, la brigade Azov. Dans cet enregistrement, le jeune homme semble en meilleure forme et livre son témoignage en français sur les circonstances de son enrôlement.

Originaire du petit village de Keur Mandoumbé, dans le département de Koungheul au centre du Sénégal, Malick Diop était arrivé en 2023 à Nijni Novgorod, à 400 kilomètres à l'est de Moscou, pour y étudier le droit grâce à une bourse obtenue après une licence à l'université de Bambey. Malgré les difficultés et le racisme qu'il dit subir, le jeune homme s'accroche et décroche un emploi pour envoyer de l'argent à sa famille.

"La vie qu'il menait en Russie était très difficile. Sa bourse n'était pas suffisante et il a dû travailler, mais il ne m'a jamais dit ce qu'il faisait", confie son frère Saliou selon JA.

Dans son témoignage vidéo, Malick Diop affirme avoir été abordé par un homme russe alors qu'il faisait ses courses. "Il m'a donné des documents. Il m'a dit que si je voulais servir dans l'armée, il y avait des opportunités pour moi. J'ai refusé, car j'étais en Russie avec un visa étudiant", explique-t-il.

Ce "recruteur" lui aurait proposé 800 000 roubles, soit près de 6 millions de francs CFA (environ 9 000 euros) pour travailler "en ville" en tant que cuisinier. Le salaire proposé pour combattre avoisinerait les 5 millions de roubles selon lui, une somme qu'il dit n'avoir jamais vue.

"Je pensais que j'allais travailler en ville, là où ce n'était pas dangereux. Je ne savais pas qu'il y avait la guerre là-bas", assure-t-il dans la vidéo. "Tout a changé le jour où il m'a dit de monter dans la voiture. Le jour où on a quitté Louhansk et qu'ils nous ont donné des armes. J'ai compris que c'était la guerre quand j'ai commencé à voir les morts", ajoute-t-il.

Il affirme n'avoir reçu aucune formation militaire avant d'être envoyé au front : "La seule arme que j'ai jamais touchée, c'est le pistolet de mon grand-père qui datait de l'époque coloniale."

Un phénomène plus large

Le cas de Malick Diop n'est pas isolé. Bouba Senghor, professeur d'anglais et ancien président de l'Association des Sénégalais de Russie, estime que plus de dix Sénégalais ont rejoint le combat côté russe. "C'est difficile de le dire, parce qu'ils partent en secret. On est informé juste en cas de décès ou de blessure. Mais il y en a plus de dix", confie-t-il à Jeune Afrique. Il affirme qu'au moins deux Sénégalais seraient déjà morts sur le front.

Bouba Senghor détaille deux types de recrutements selon le magazine. D'abord, des Sénégalais qui arrivent avec des visas touristiques obtenus à Dubaï ou au Qatar. "Ils paient des sommes très chères à des compatriotes qui les arnaquent depuis la Russie et lorsqu'ils arrivent, les autorités leur disent qu'ils ne sont pas en règle. On leur propose alors de choisir : rentrer au pays ou servir l'armée", explique-t-il.

Deuxième cas : ceux déjà sur place, notamment les étudiants, repérés dans les universités ou les bureaux de recrutement. En 2023, près de 34 000 Africains suivaient une formation dans les universités russes selon le ministère russe des Affaires étrangères. L'ambassade de Russie à Dakar prévoit d'attribuer une centaine de bourses pour les étudiants sénégalais pour la rentrée 2025.

"La plupart des Sénégalais venus en Russie ne terminent pas leurs études faute de moyens, précise Bouba Senghor. À l'exception des boursiers", rapporte Jeune Afrique.

Après la diffusion des images de sa capture, la ministre sénégalaise des Affaires étrangères, Yassine Fall, a indiqué que les autorités mettaient "tout en œuvre pour l'assister". "Nos services travaillent de concert avec notre ambassade en Russie pour trouver une solution", a-t-elle déclaré sur le réseau social X.

Contacté par Jeune Afrique, le ministère n'a pas souhaité communiquer davantage sur ce dossier "hautement sensible". La famille de Malick Diop n'a pas été reçue par les autorités, mais deux députés de leur département sont entrés en contact avec eux.

Dans la vidéo diffusée par l'armée ukrainienne, Malick Diop avait lancé un dernier appel "aux Sénégalais et à tous les Africains" : "Ne rejoignez pas l'armée russe !"