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LE SÉNÉGAL ENTRE CRISE DE CROISSANCE ET SURENDETTEMENT

Rédigé par leral.net le Mardi 26 Août 2025 à 00:43 | | 0 commentaire(s)|

EXCLUSIF SENEPLUS - On ne peut que déplorer le caractère discriminatoire d’un système financier international qui autorise certains États à bénéficier du soutien direct de leurs banques centrales et l’interdit à d’autres dans la même situation

La récente communication du Premier ministre sur l’état de ses relations avec le président de la République, n’a laissé aucun Sénégalais indifférent, quel que soit son bord politique. Les sénégalais ont été surpris, parce que non habitués à être pris à témoin en pareille situation.

Le ton est grave, l’interpellation publique, mais le propos est direct et clair.

On perçoit que les divergences murmurées ça et là depuis quelque temps, recouvrent une réalité. Elles ne pouvaient plus être tues, parce qu’arrivées à maturité.

Il faut se réjouir que ces divergences aient vite fait l’objet d’un traitement au sommet, si l’on en juge par l’apaisante et rapide réaction du président Bassirou Diomaye Faye, à la suite de laquelle ce dernier a réaffirmé sa confiance à son Premier ministre. Ce dernier a d’ailleurs abondé dans le même sens.

Rappelons-nous dire que cette sortie s’est effectuée dans un contexte d’attaques médiatiques ad hominem vexatoires contre le Premier ministre, par des chroniqueurs ou activistes, dans des émissions à grande écoute.

L’objectif était politique ; il  visait à casser l’attelage (ou binôme selon certains), en tapant à répétition sur le maillon considéré le plus sensible, dans la perspective de rebattre les cartes après une victoire sans bavures du Pastef aux dernières consultations.

La confirmation définitive de sa condamnation dans le procès l’opposant à l’ancien président du Conseil d’administration du PRODAC Mame Mbaye Niang, par la Cour Suprême, a dû jouer.

Ousmane Sonko avait fait un lapsus quant à l’organe de contrôle émetteur d’un rapport d’audit à charge sur la gouvernance de l’entreprise

Ainsi, un lapsus sur l’identité d’un organe de contrôle (IGF au lieu de IGE) a abouti à une condamnation le mettant à l’écart de la « présidentielle » de 2024 et à payer 200 millions de dommages et intérêts.

Pour de nombreux sénégalais, cette décision définitive a eu des effets disproportionnés et un goût d’inachevé.

Le contenu du rapport de l’IGE qui a pointé les irrégularités ayant mené une entreprise nationale à la casse est devenu public. Des responsables ont été jugés et emprisonnés, mais il reste à savoir ce qu’il en est de la responsabilité personnelle de l’ancien Président du Conseil d’Administration.

Le différend sus-évoqué étant clos, on peut finalement le considérer comme une crise de croissance.

Il s’est produit dans un contexte politique marqué par la défaite de l’opposition aux consultations électorales dont elle subit encore les contrecoups. Le vide créé a vite été comblé par des chroniqueurs et des membres de la société civile à la recherche d’un positionnement sur l’échiquier.

L’autre aspect est que cette crise intervient dans un environnement constitutionnel non encore adapté au mode de gouvernance actuel de l’exécutif, c’est-à-dire un renforcement des pouvoirs du Premier ministre convenu avec le président de la République et de notoriété publique.

Considéré par la jeunesse comme un « président empêché », mais néanmoins « co-comptable » de la bonne mise en œuvre du programme Pastef, la nomination d’Ousmane Sonko au poste de Premier ministre coulait de source.

Dès lors, il ne pouvait rester dans le confinement des habits d’un premier ministre « normal » tel que prévu par la constitution.

Cette constitution « hyperprésidentialiste » datant de l’ère senghorienne, a été maintes fois décriée par l’opposition sénégalaise.

En 2008 sous le régime du président Abdoulaye Wade, elle avait fait l’objet d’une proposition de réforme pilotée par la Commission « Institutions, Libertés de l’opposition et de la société civile réunies en Assises nationales.

Les conclusions de ladite commission étaient ainsi formulées : « La Constitution de janvier 2001 est personnalisée et organise l’hypertrophie des pouvoirs présidentiels. La pratique institutionnelle organise une subordination totale du Parlement, pourtant premier pouvoir dans la tradition démocratique, à l’imperium présidentiel, le minimum d’existence que la loi fondamentale confère aux autres institutions constitutionnelles comme le gouvernement est effacé par l’hyper interventionnisme présidentiel qui perçoit toute initiative premier ministérielle comme une tentation et une tentative d’instaurer une dyarchie, une velléité de « dualité au sein de l’exécutif ».

« Le régime politique qui préside aux destinées du Sénégal fait du Président la clef de voûte des institutions, l’épicentre du pouvoir, le détenteur de la prérogative de définir la politique de la nation, de nommer et de révoquer ad nutum à tous les emplois publics, en un mot de décider de tout. Seul détenteur de l’ensemble des pouvoirs qu’il peut, à sa guise, déléguer de droit et de fait à n’importe qui (autorité officielle ou non), le président ne fait l’objet d’aucun contrôle et n’est responsable ni devant l’Assemblée, ni devant n’importe quelle autre instance sauf dans le cas hypothétique, indéfinissable et non aménagé de la « haute trahison ».

Le titulaire du pouvoir cumule en sa personne la puissance (pour ne pas dire l’omnipotence), l’irresponsabilité et l’irrévocabilité. Ce régime est bien plus que ce que Michel Debré et à sa suite une certaine doctrine de la science politique, ont appelé « monarchie républicaine », c'est-à-dire une république où le titulaire du pouvoir a tous les attributs et attributions d’un monarque sauf l’hérédité de son pouvoir, et encore ».

On connait le sort réservé à ces conclusions par le président Macky Sall en 2012.

A notre sens, il s’agit de réformer la Constitution pour l’adapter à la volonté populaire, ce qui suggère la tenue d’un référendum. Toutefois, il serait avisé de passer par une période probatoire permettant d’identifier les forces et les faiblesses du mode de gouvernance actuel, avant de légiférer.

Concernant la dette, le Plan de Redressement Economique et Social à court terme élaboré dans la perspective de son traitement, est le nouveau point focal du débat politique.

Il fait suite au rapport de la Cour des comptes sur la situation du stock en 2024 et de la réaction de gel des relations financières décidée par le FMI.

Il est toujours reproché au Premier ministre d’avoir fait publiquement état d’une « dette cachée » et commandité le rapport supra.

Le Premier ministre aurait-il dû poursuivre dans l’omerta sur les vrais chiffres de la dette ? Si oui, la question est : jusqu’à quand ? la vérité finit toujours par éclater au grand jour !

La gestion de la dette a été approximative pour ne pas dire scandaleuse.

Celle héritée du régime d’Abdoulaye Wade, d’environ 3 000 milliards de FCFA en 2012, a été portée par son successeur à près de 18 600 milliards de FCFA à décembre 2023.

Le FMI devrait plutôt encourager le Sénégal, pour le souci de ses autorités de produire des comptes publics, ce qui irait dans le sens de ses intérêts bien compris.

Par rapport à nos relations avec le FMI, nous sommes de ceux qui pensent son soutien nous est encore indispensable à court et moyen terme, parce que les possibilités de refinancement internes pour gérer la dette sont restreintes.

Sous d’autres cieux, les possibilités sont toute autres.

Le Sénégal endetté à 119% du PIB pour 2024, est considéré comme l’un des pays les plus endettés d’Afrique.

En zone euro, le plafond de taux d’endettement public fixé par Maastricht à 60% du PIB, est largement franchie par des pays comme l’Italie, la Grèce, l’Espagne et la France (ils dépassent le seuil symbolique des 100%).

Ailleurs, les USA sont à 122,5% du PIB, et le Japon à 234,9% considéré comme le pays le plus endetté du monde, sans pour autant susciter une inquiétude particulière.

A la différence des pays africains, ces pays du monde développé disposent de banques centrales (BCE, FED etc..) comme soutien, en cas de crise de liquidités et de solvabilité. 

Lors de la crise des subprimes, puis de celle des dettes souveraines en Europe, la BCE a procédé par rachat systématique des obligations d’États sur les marchés financiers secondaires, permettant aux états déficitaires de se refinancer à moindre coût; ce mode de refinancement devenu « revolving » s’est poursuivie jusqu’en janvier 2025 et fait de la BCE le 1er acquéreur d’obligations souveraines en Europe.

Autant pour la dette publique japonaise qui a toujours été refinancée via le rachat d’obligations d’État par la Banque du Japon ; elle détient aujourd’hui, près de la moitié de son stock obligataire actuel.

En zone UEMOA, c’est l’évolution inverse. Depuis les années 2000, les autorités monétaires ont supprimé les avances directes aux états pour le financement de leurs budgets ; ceux-ci ont été réorientés vers le marché régional des titres publics (UMOA Titres) créé à cet effet.

Au résultat, malgré les levées de fond, les capacités de mobilisation financière, la profondeur, les conditions de taux et de durée sur ce marché restent encore bien en deçà des besoins de financement public à long terme.

Les opérations de rachat de dettes obligataires existent mais restent marginales en UEMOA.

Au premier semestre 2025, les États de l'UEMOA ont pu lever environ 7 000 milliards de FCFA sur le marché régional des titres publics, ainsi commenté par la BCEAO : « Cette activité accrue a été principalement utilisée pour le refinancement de dettes arrivées à échéance, avec des remboursements doublés par rapport à l'année précédente ».

En définitive, on ne peut que déplorer le caractère discriminatoire d’un système financier international qui autorise certains États à bénéficier du soutien direct de leurs banques centrales et l’interdit à d’autres dans la même situation.

Cela fait du FMI le gendarme financier des finances publiques en Afrique.

Devant de telles contraintes, gérer les ressources publiques en « bon père de famille », prioriser la collecte des ressources financières internes, affiner les décisions d’investissements pour faciliter les remboursements d’échéances, sont devenus incontournables pour conserver une souveraineté en matière économique et monétaire.

Pour revenir sur le Plan de Redressement Economique et social à court terme, il est bâti sur un effort de mobilisation de ressources financières internes (90% au Sénégal et 10% dans la zone), soient 5667 milliards de FCFA sur la période 2025–2028, sans sollicitation de partenaires financiers extérieurs, et une politique de réduction drastique des dépenses publiques.

Un faux plan de redressement pour certains, des montants insuffisants ou une appellation malheureuse pour d’autres.

Le Premier ministre a répondu à ce qui nous apparait comme une polémique sur des concepts.

« Ce plan ne règle pas toute la problématique économique, (…) mais il va y contribuer de manière substantielle. Il ne réglera pas toutes les problématiques sociales, mais la partie publique de la problématique sociale pourra trouver solution ».

 

Nous ne sommes pas de ceux qui encouragent à rompre les relations avec cette institution.

Nous sommes partisans d’une poursuite de la collaboration avec toute institution financière internationale, pourvu que l’état puisse conserver sa liberté de manœuvre, en ne cédant pas aux injonctions (conditionnalités), comme celles relatives à la suppression de subvention sur l’électricité, dont on sait qu’elle serait mortifère pour les petits métiers du secteur informel et des ménages mal ciblés.

Rien n’interdit de trouver des solutions « soutenables » avec le FMI, pouvant prendre la forme d’un rééchelonnement, d’un reprofilage ou d’une renégociation.

Dans cette perspective, le plan de redressement sonne comme un engagement qui donne un surcroît de « bargaining power » au Sénégal.

Les discussions avec le FMI étant en cours, il pourrait s’intégrer dans un plan financier plus global en cas d’accord.

Ce recours au FMI ne doit pas exclure qu’il faille mener des actions dans le cadre de l’UEMOA pour changer les règles de financement des états, incluant le retour aux avances statutaires et un marché obligataire plus profond.

Cela permettrait aux états de s’endetter à coût réduit, à savoir 3,25% (taux directeur BCEAO), contre 6,75% pour les obligations assimilables du Trésor et 7,5% pour les eurobonds. Sachant que les intérêts non payés sont capitalisés dans le stock de dette, le pays paye des intérêts sur des intérêts, ce qui accroît fortement le rythme de progression de la dette.

Cela touche bien entendu à la question de la monnaie, donc à la définition d’une autre politique monétaire plus axée sur la croissance économique, à définir avec les états de la sous-région.

Finalement la dette aura servi à financer des programmes agro-industriels minés par les détournements de fonds, à couvrir des réalisations d’infrastructures de prestige, à rembourser des échéances menacées de défaut, à faire face aux dépenses de fonctionnement sensibles, mais aussi à afficher des taux de croissance économique dopés, sans rapport avec la structure réelle de l’économie.

« La dette est soutenable » et la qualité de la signature du Sénégal excellente nous disait-on !  12 ans après, on tombe de haut.

Plus jamais le Sénégal ne doit retourner à l’ère où les choix, les décisions stratégiques et le mode de gouvernance étaient guidées non par des préoccupations de développement endogène, mais par un ancrage dans un système économique mondial où il se situe encore à la marge, et l’intérêt personnel.

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Farid


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