Leral.net - S'informer en temps réel

LES AUTOCRATES AFRICAINS JOUENT LA CARTE ANTICOLONIALE

Rédigé par leral.net le Samedi 4 Octobre 2025 à 22:16 | | 0 commentaire(s)|

L'équation « démocratie = Occident = colonialisme » est devenue le nouveau mantra, de Mamadi Doumbouya en Guinée à Paul Biya au Cameroun. Pourtant, cette rhétorique relève de l'escroquerie historique, estime Philippe Bernard dans Le Monde

(SenePlus) - Dans une chronique publiée samedi 4 octobre dans Le Monde, Philippe Bernard démonte le discours des dictateurs africains qui assimilent la démocratie au colonialisme pour mieux justifier leur mainmise sur le pouvoir.

L'éditorialiste du quotidien français s'attaque à un phénomène inquiétant : l'utilisation du registre anticolonial par les régimes autoritaires du continent pour discréditer tout processus démocratique. Une rhétorique séduisante en apparence, mais qui relève selon lui de « l'escroquerie historique et politique ».

L'exemple guinéen illustre parfaitement cette dérive. Mamadi Doumbouya, l'homme fort de Conakry arrivé au pouvoir par un coup d'État, déclarait en 2023 à la tribune de l'ONU : « L'Afrique souffre d'un modèle de gouvernance qui lui a été imposé. Ce modèle démocratique que vous nous avez si insidieusement et savamment imposé (...), ne marche pas. » Quatre ans après avoir promis de ne jamais se présenter à la présidentielle, l'ancien légionnaire de l'armée française a organisé le 21 septembre un référendum remporté à 89 % des voix, s'ouvrant ainsi la voie vers une « élection » présidentielle.

Cette mascarade s'accompagne d'une répression brutale. Philippe Bernard rappelle que la Guinée, autoritaire depuis son indépendance, est devenue « un cauchemar : libertés bâillonnées, opposants torturés, enlèvements » comme ceux de Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, militants des droits humains disparus depuis plus d'un an après avoir réclamé le retour à l'ordre constitutionnel.

La Guinée n'est qu'un cas parmi d'autres dans une tendance plus large qui touche l'Afrique francophone. Du Mali au Niger en passant par le Burkina Faso, le retour en force des militaires putschistes marque selon l'éditorialiste « l'échec de régimes qui sous le vernis d'un rituel électoral factice salué par Paris, ont entretenu la corruption, le clientélisme communautaire, et se sont montrés incapables de répondre aux besoins élémentaires de la population, comme la sécurité et la santé, face à l'avancée des djihadistes. »

Cette analyse souligne la responsabilité des anciennes puissances coloniales. Les ingérences militaires et électorales de Paris, motivées par ses intérêts sécuritaires et économiques, ont alimenté la hargne antifrançaise et transformé les processus électoraux en exercices vides de sens aux yeux des populations. Résultat : ces pays « se sont figés dans la tyrannie d'un homme fort », rejoignant les vieilles autocraties à peine démocratiques.

Le Cameroun incarne cette fossilisation politique. Paul Biya, 92 ans, au pouvoir depuis quarante-trois ans, brigue dimanche 12 octobre son huitième mandat. Une situation comparable se retrouve au Togo, en République du Congo, ou en Côte d'Ivoire où Alassane Ouattara, 83 ans, sollicite le 25 octobre un quatrième mandat lors d'un scrutin dont ses principaux opposants sont exclus.

Une jeunesse qui se détourne des urnes

Cette vidange du sens démocratique produit des effets concrets sur la participation électorale. Selon les données de l'Afrobaromètre citées par Philippe Bernard, si 81 % des Africains de plus de 35 ans dans 39 pays du continent affirment avoir voté aux dernières élections, ils ne sont que 63 % chez les moins de 35 ans. Un décrochage générationnel révélateur d'une désillusion profonde.

Face à ce constat, l'éditorialiste dénonce fermement la nouvelle formule rhétorique des autocrates : « démocratie = Occident = colonialisme ». Cette équation relève d'une « assimilation paresseuse », pour reprendre l'expression du journaliste Ousmane Ndiaye dans son essai L'Afrique contre la démocratie (Riveneuve, 172 pages, 10,50 euros).

Premièrement, rappelle Philippe Bernard, « il n'était pas question de démocratie ni pendant la colonisation ni dans la "Françafrique" postcoloniale. » Ensuite, et c'est crucial, « les Africains n'ont pas attendu les Occidentaux pour expérimenter des formes de démocratie. » Ousmane Ndiaye cite notamment la petite « République » des pêcheurs lébou qui, entre 1795 et 1859, dans la presqu'île du Cap-Vert (aujourd'hui Dakar), comprenait des assemblées élues.

Assimiler la démocratie aux « Blancs » pour masquer leurs propres échecs permet aux autocrates de conforter leur pouvoir, mais « c'est nier la riche histoire précoloniale du continent, à la manière des coloniaux qui prétendaient débarquer en terrain vierge ou… d'un Nicolas Sarkozy affirmant en 2007 à Dakar que "l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire". »

Le mythe du développement autoritaire

L'autre argument souvent avancé par les régimes forts – seule une poigne ferme peut assurer le développement – ne résiste pas à l'examen des faits. « Aucun autocrate africain ne peut se vanter d'une telle performance », tranche Philippe Bernard. Même le Rwanda de Paul Kagamé, régulièrement cité en exemple pour ses trente ans de croissance, ne peut faire oublier « les figures de l'opposition et les journalistes persécutés, voire éliminés, et la participation rwandaise non reconnue au conflit meurtrier en République démocratique du Congo sur fond de pillage des ressources. »

L'éditorialiste conclut sur une note universaliste. À l'heure où « une crise démocratique et une montée des nationalismes sans précédent depuis 1945 atteignent les États développés, il n'est guère étonnant que l'Afrique soit elle aussi touchée. » L'Occident, qui a « longtemps asservi » le continent et « continue de l'exploiter », n'a « moins que jamais de "leçons" à donner ».

Pour autant, la démocratie reste un horizon indépassable. « Combat par définition inachevé, la démocratie est à réinventer, dans les différents États africains comme dans les pays riches », écrit Philippe Bernard. Avec un point commun essentiel : « au centre de la réflexion devrait figurer le lien entre démocratie et bien-être des populations. »

Car c'est bien là le nœud du problème. Quiconque a assisté à un jour d'élection « de Lomé à Dakar ou de Yaoundé à N'Djamena », affirme l'éditorialiste, comprend immédiatement que prétendre que « l'Afrique n'est pas faite pour la démocratie » est « une ineptie ». Il suffit de rencontrer des Africains, « illettrés ou éduqués, se pressant dans des bureaux de vote, pour comprendre le sens évident qu'ils donnent à ce droit fondamental – choisir et renvoyer ses dirigeants sur une base égalitaire. »

Cette aspiration universelle à la démocratie ne disparaît pas sous les discours décoloniaux de circonstance. Elle perdure malgré la répression, portée par ces « personnalités incroyablement courageuses comme on en rencontre dans toute l'Afrique, qui mettent aussi en pièces l'idée d'un continent réfractaire à la démocratie. » C'est sur cette note d'espoir, incarnée par les militants disparus de Guinée et tant d'autres, que Philippe Bernard invite à repenser le projet démocratique africain, loin des instrumentalisations des autocrates et des paternalismes occidentaux.

Primary Section: 
Secondary Sections: 
Archive setting: 
Unique ID: 
Farid


Source : https://www.seneplus.com/politique/les-autocrates-...