Dakar est en train de renouer avec son visage radieux, débarrassée de ses immondices. Une prouesse qui porte l’empreinte de l’Unité de coordination des déchets, devenue Société nationale de gestion des déchets (Sonaged). Dans cet entretien, son Directeur général, Mass Thiam, revient sur les pas franchis et, surtout, les nombreux défis à relever.
La gestion des déchets a toujours été un sérieux problème au Sénégal. L’Ucg semble être sur la bonne voie ?
Il faut d’abord saluer la volonté du Président de la République, Macky Sall, d’apporter une solution définitive à la question de la gestion des déchets. Mais, en toute objectivité, je ne pense pas encore avoir réussi parce que j’estime que nous sommes encore très loin de l’objectif-pays en termes de gestion du cadre de vie et de la salubrité qui sont des prérequis essentiels au développement. Il n’en demeure pas moins qu’il y a eu des avancées significatives dans la collecte des déchets, aussi bien sur le plan quantitatif avec une progression de +83% des tonnages collectés en trois ans, que sur le plan qualitatif, avec l’introduction d’infrastructures de gestion de la propreté de proximité, tels que les Points de regroupement normalisés (Prn) et les Points propres (Pp) qui s’intègrent harmonieusement dans le paysage de nos quartiers, villages, communes et villes.
Ces infrastructures apportent surtout une réponse multiforme aux problèmes classiques de collecte et nous ouvrent la voie en créant un potentiel de premier niveau de tri, dès la sortie des déchets des ménages. D’autres facteurs, moins tangibles pour le grand public, nous valent beaucoup de satisfaction, à l’image de cette nouvelle culture d’entreprise faite d’engagement et de résilience, qui est en train d’émerger en interne et qui se traduit par une nouvelle philosophie qui séduit des milliers de jeunes, qui veulent aujourd’hui embrasser les métiers de la propreté qui n’étaient, hélas, jusque-là, point attirants pour eux. Aujourd’hui, à l’occasion des « mardi-gras », vous voyez des parents habiller leurs enfants aux uniformes de nos agents. Cela veut dire beaucoup de choses.
Qu’est-ce qui a fait la force de l’Ucg ?
S’il y avait un déterminant principal dans cette réussite, il faudrait peut-être le chercher autour du facteur humain qui est à la base de tout progrès. La plupart de nos actions ont tourné autour de la revalorisation du personnel. Je ne parle même pas en termes d’avantages et autres, parce que le secteur souffre encore d’une extrême précarité économique comparativement à d’autres entités à vocation de service public. Le mot qui sied n’est donc pas « revalorisation » parce que nos agents ne l’ont pas vraiment été, mais plutôt « reconsidération » qui est un concept ayant plus trait à des attitudes en termes de leadership et de management, pour impliquer davantage les agents, afin d’aller chercher plus de performance.
Je dis, sans ambages, qu’on pourrait mieux faire, avec plus de moyens financiers et juridiques, mais en mettant l’humain au cœur de nos préoccupations, le tout associé à un fort leadership par l’exemple teinté d’une culture du résultat.
On parle désormais de la Sonaged. Qu’est-ce que cela change concrètement ?
L’Ucg est transférée dans la Sonaged Sa (Société nationale de gestion des déchets) qui a des prérogatives plus étendues que celles de l’Ucg qui, historiquement, se limitaient principalement à des activités de collecte-dépôt des déchets en décharge. La Sonaged a une mission plus large et va accompagner le développement de l’économie circulaire des déchets qui sera porteuse de création de valeur et d’emplois. Concrètement, nos déchets seront gérés d’une manière plus vertueuse. Ce qui va contribuer à améliorer le cadre de vie et, par conséquent, la santé de nos populations et, en fin de compte, l’attractivité de nos territoires. Cela va, cependant, nécessiter des efforts d’investissement pour relever le niveau technique de nos outils de collecte, de créer des applications informatiques orientées client, de faire du tri une réalité palpable et, enfin, de faciliter la création d’un écosystème industriel autour des déchets. Tout ceci, en relation avec les opérateurs en activité dans cette longue chaîne de travail. Nous nous positionnons pour capter tout potentiel de création de valeur dans la gestion de tous les types de déchets, à l’exemple des déchets issus d’activités pétrolières. Mais, cela va nécessiter le relèvement du profil technique de nos ressources humaines, à travers une bonne politique de formation et un meilleur encadrement.
Malgré les résultats probants, la décharge de Mbeubeuss reste un problème. Quelles sont les solutions structurelles ?
Vous avez raison. La question est préoccupante. Mais, les choses vont définitivement bouger. Il est prévu une réhabilitation et une restructuration de la décharge de Mbeubeuss, dans le cadre d’un projet dénommé Promoged, qui est déjà lancé avec l’attribution récente même de la première phase de ces travaux qui vont démarrer très bientôt.
Ces travaux permettront de maîtriser tous les impacts environnementaux que la décharge a pu engendrer, depuis sa création, et d’y réaliser une chaîne de tri et d’autres infrastructures qui pourront profiter aux populations.
Le projet a aussi des sous-composantes qui permettront de préserver les intérêts de toutes les parties prenantes (récupérateurs, riverains, etc…), en plus d’autres infrastructures de gestion et de traitement des déchets qui seront réalisées dans la région de Dakar (Diamniadio etc..) et dans d’autres pôles régionaux. On ne parlera bientôt plus de décharge, mais d’infrastructures de gestion intégrée des déchets.
Comment un comptable de formation a-t-il atterri dans la gestion des déchets ?
(Rires). Après des années dans le domaine de l’audit et la comptabilité, j’ai réorienté mes activités professionnelles, pendant environ 10 ans, dans des fonctions à caractère commercial auprès d’entreprises multinationales comme Total, puis Mobil devenu ExxonMobil. J’ai été dans plusieurs postes de responsabilité. Dans les années 2000, dans un contexte particulier au Sénégal, marqué par l’essor du nouveau régime et de l’équipe qui se mettait en place autour du Président Wade, une grande dame, Aminata Niane, m’a fait l’honneur de me recruter à l’Apix et, surtout, de m’y maintenir. J’ai eu vent bien plus tard qu’elle avait résisté à de fortes pressions pour m’évincer de mon poste, relativement à de potentiels soucis de confiance du fait de mon appartenance historique et assumée à une famille socialiste, à travers mon oncle Habib Thiam, personne-modèle dont je me réclame encore aujourd’hui, avec beaucoup de fierté. Ce passage a été un déclic pour moi en m’ouvrant les yeux sur la panoplie de possibilités qui existaient à l’époque et en me donnant aussi le goût du risque d’entreprendre et d’assumer tous les changements personnels et professionnels que j’ai ensuite provoqués, avec le soutien agissant de mes parents, mon épouse et tous mes compagnons de vie. Par la suite, j’ai été Directeur général de Tigo et Pcci, directeur à Teyliom, à Aggreko dans le secteur de l’énergie…, avant d’embrasser, à nouveau, le secteur public depuis janvier 2020 à travers l’Ucg. Mon parcours, je le dois aussi à la rencontre avec des « personnes-catalyseurs » tels que Richard Oscar Willems ancien Dg de Mobil, Yérim Sow…
Propos recueillis par Oumar FEDIOR
Source : https://lesoleil.sn/mass-thiam-directeur-general-d...