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Opinion: Éloge du Sabar !!! Par Dr. Aïssatou Sow Bangoura

Rédigé par leral.net le Jeudi 25 Mars 2021 à 19:24 | | 0 commentaire(s)|

Dans le cadre du la célébration du Mois de l’Afrique et de ses Diasporas 2021 dont le thème est : « se reconnecter aux valeurs ancestrales » et en partenariat avec le Musée de la Femme du Sénégal Henriette Bathily s’est tenu le 13 Février 2021 un « Arbre à palabre autour de la Penderie […]

Dans le cadre du la célébration du Mois de l’Afrique et de ses Diasporas 2021 dont le thème est : « se reconnecter aux valeurs ancestrales » et en partenariat avec le Musée de la Femme du Sénégal Henriette Bathily s’est tenu le 13 Février 2021 un « Arbre à palabre autour de la Penderie de Maam »
L’intérêt de cette manifestation, la diversité des articles ont révélé un contraste entre le mode d’habillement des jeunes et celui des personnes âgées qui font l’objet de l’exposition.
Cet évènement nous a donné l’occasion d’une réflexion sur la danse précisément sur l’évolution du mode vestimentaire dans la danse.

La danse a de tout temps été l’une des manifestations les plus expressives de la vie des sociétés humaines. Chacun d’entre nous entretient avec la danse un rapport particulier ; c’est ainsi que le danseur et chorégraphe ivoirien Alphonse Thierou disait que « les africains dansent depuis le sein de leur mère jusqu’ à la fin de leur vie, qu’ils ont une culture de la danse, que tout leur univers est conditionné par la danse et que tout leur environnement est imprégné de rythmes ».
Dans certains pays elle est, avec le chant, un art héréditaire pour une certaine frange de la population : les Griots qui sont, selon Senghor, nos « troubadours d’Afrique », qui ont maintes fois inspirées, dit-il, tout ou partie de ses poèmes
Certains ont dansé quand ils étaient jeunes, très jeunes même, sous l’œil vigilant de la grand-mère qui donnait le rythme en battant des mains ou en chantant des comptines. Depuis lors, certains parmi ceux-ci ont continué à danser et en ont fait un métier. D’autres se sont contentés d’admirer le spectacle et, comme disait le philosophe Alain Badiou (Danse et pensée), « trouvent au bal le délice de son spectacle plutôt que celui de sa transe. »

Nous situons l’origine de la danse en même temps que celle de l’apparition de l’humanité. Les scientifiques la situent à partir du moment où ils ont pu la décrire.

Si les gravures préhistoriques représentant la danse l’ont montré dénudé, dépourvu de tout habillement, ce phénomène fut de courte durée. Car progressivement, selon les circonstances et les contextes, les danseurs vont s’accompagner d’accessoires, habits, masques et divers autres objets mettant en valeur la pratique, facilitant ainsi la transmission du message dont est porteuse toute danse.

La danse va refléter la préoccupation essentielle de l’homme. Elle va se multiplier, se diversifier tout en restant liée aux préoccupations de la personne humaine au déroulement de sa vie et de la société dans laquelle elle évolue.

La question qui nous préoccupe est la suivante : il s’agit, d’une part, du code vestimentaire chez les personnes âgées et chez les jeunes dans la pratique de la danse Sabar.

Le Sabar représente aussi bien un rythme, un évènement ou fête qu’une danse. Cette danse est pratiquée par les sérères et les Wolofs pour qui elle est la danse la plus célèbre. C’est une danse exclusivement féminine, mais les recherches dans ce domaine ont montré que les hommes ont toujours dansé le Sabar. Ousmane Socé Diop dans son roman Karim décrit une séquence de la rencontre de son héros avec Mariéme sa dulcinée. C’est donc une danse qui admet la mixité. D’autres hommes se sont rendus célèbres pour avoir participé à des séances de Sabar tels que Abdou Baba Ly, Bassirou Sarr.

Si la danse est un art, c’est également un métier de plus en plus pratiqué par les jeunes avec son lot d’exigences techniques : entrainement, performance, compétitivité, et visibilité, et qui en fait des futurs vedettes.

Ce sont là autant de facteurs qui posent le problème de l’adaptation des codes vestimentaires au point de nous donner une autre représentation, une autre image particulièrement de la danse Sabar, celle-là même qui est exécutée par nos chères grand-mères que nous appelons affectueusement Maame .

A voir la jeune génération, dans la variété de ses modes vestimentaires, exécuter les pas, les gestes, les mouvements de la danse Sabar, l’on peut se demander si les Maame ont réellement dansé le Sabar ?

Car la nouveauté introduite par la jeune génération contraste avec la représentation que nous nous faisons de Maame.

Cette évolution des modes vestimentaires nous amène à avoir des représentations du corps ou une image du corps qui peut être positive ou négative, ce qui veut dire que ces modes vestimentaires ne nous laissent pas indifférents.

Ne faudrait-il pas aussi s’interroger sur le regard de celui-là même qui apprécie, à savoir le spectateur ? Que cherche-t-il à voir ? Est-ce le côté esthétique ou sensuel de la danse qui oriente son regard ?

Avant de répondre aux questions ; je vais d’abord définir la danse. Habituellement, je me réfère au Larousse qui la définit au sens le plus large du mot comme étant une : « suite de mouvements cadencés du corps, au son des instruments ou de la voix » Mais on peut dire aussi que : danser, c’est éprouver, exprimer, et avec le maximum d’intensité, le rapport de l’homme avec la société, avec l’espace et avec l’infini.

Commençons par examiner le problème chez les jeunes.

Du fait de son lien étroit avec la société, la danse est exposée à subir les évolutions de la société elle-même, de son milieu. Dès lors, elle subit les effets de la modernité que vivent les jeunes d’aujourd’hui, plus perméables, plus exposés aux mutations qui l’accompagnent. Dans le domaine de la danse, nous observons que les jeunes sont de plus en plus nombreux à s’y engager, avec d’autant plus d’enthousiasme et de passion que le développement de la danse suit le développement de la musique qui lui est intimement liée, couple permanent, inséparable, surtout quand la danse est authentiquement africaine. Il faut ajouter que les moyens de communication modernes donnent l’occasion aux jeunes pratiquants, aux jeunes danseurs, de se rendre visibles, de se faire connaître et reconnaître.

Il s’agit de montrer comment le corps a pu influer sur cet aspect ? Le corps étant le vecteur de la danse, l’outil par lequel il se transmet et se transporte.

Les jeunes danseurs ont un mode vestimentaire, ce qu’ils appellent, dans leur vocabulaire « déguisement », plus libéral. Tout y est permis : jeans, costume, sous-vêtement, robe de soirée, short et le fuseau… Le fuseau, est un élément vestimentaire de sport, long ou court permettant de cacher les parties intimes du corps de la danseuse; il est très prisé, ou même indispensable dans sa garde-robe. Son port permet toutes les audaces.
Les avis des spectateurs sont partagés sur l’usage du fuseau et pose le problème du respect strict de la tradition et de la modernité dans nos pratiques artistiques. J’en veux pour preuve cette anecdote : Suite à la prestation d’un célèbre Ballet de la place, l’animateur d’une émission culturelle d’une télévision de la place n’a pas manqué de reprocher au directeur de la troupe que le port de fuseau par les artistes était un manque de respect de la tradition. Il va argumenter sa remarque par le fait que d’un point de vue de la langue la plus parlée au Sénégal, on dit d’une bonne danseuse « kii moo mëna pooj ». Autrement dit « elle use son corps avec art » ce qui voudrait dire qu’une danseuse qui ne joue pas avec son corps tel que le veut la tradition mais dans les limites de la pudeur, ne serait pas une bonne danseuse.

Si ce directeur partageait l’avis de l’animateur, il reconnait tout de même avoir subi et cédé à des pressions afin que les danseuses dorénavant adoptent cet accessoire. Il faut noter que c’était à l’époque ou le fuseau faisait son entrée dans la danse. La danse devenait de plus en plus énergique et s’éloignant d’une expression harmonieuse du corps.

Cette expression citée ci-dessus, fait allusion à l’exposition d’une partie du corps dans la danse pour monter le talent de la danseuse. Le Wolof emploie une autre, pour marquer l’accord entre l’improvisation de la danseuse avec le rythme donné par le batteur de Tam Tam à savoir : « ki mo degue galan »

Que dire des danseuses qui accompagnent les musiciens sur scène ? Elles ont un style particulier, toujours vêtues du fameux fuseau, sous la tenue de scène. Cette présence d’une danseuse accompagnant sur scène les musiciens fut si bien appréciée par le public que beaucoup d’orchestres se sont sentis obligés d’avoir leurs danseurs ou danseuses attitrés.

Toute cette gamme de « déguisements » renvoie à l’image d’un corps libéré : avec les jeunes, le temps de l’uniformité est dépassé. Dans la composition des groupes nous retrouvons toutes les tailles, tous les genres, hommes et femmes. Le corps est exposé, la danse avec !!! Pour ces jeunes, la danse est un moyen privilégié de s’exprimer et d’envoyer des messages.

Chez les danseurs de hip hop si la force physique, la virilité sont mis en valeur dans la danse proprement dite, le corps dans sa totalité est une véritable mise en scène par l’habillement et par le discours. La manière de porter le pantalon qui est adoptée par la jeunesse attire les regards et permet de signifier leur appartenance, leur lien avec la société.

A la suite de ce tableau, y a un contraste avec nos grand-mères qui, aujourd’hui, encore plus qu’hier, accordent plus de respect, de considération au corps qui participe à la dignité de la personne humaine, à la dignité de la femme, dans l’exécution de nos danses traditionnelles. Le corps humain n’est pas une chose, n’est pas un objet comme les autres. Ce qui en fait la dignité, c’est son union à une âme, à l’esprit, à une conscience. D’où le souci de ne pas l’exposer qui traduit le respect que nous avons pour le corps.

D’ailleurs elles ignorent le fuseau et ne l’apprécie guère, Certaines parmi elles trouvent nos danses sensuelles, mais considèrent que le port du fuseau a tendance à les rendre obscènes.

Chez grand-mère, ce corps n’est pas exposé. Tout au contraire, il est revêtu dans toute sa splendeur par des tissus adaptés, colorés, et la danse accompagnée d’accessoires utiles, parures, coiffure, éventail, écharpe, etc., d’autant que nos traditions et la pratique religieuse également exigeaient une protection, une couverture de ce corps, même dans les moments de loisirs.
L’exécution des pas de danse exigeant une souplesse, une coordination et une amplitude dans les gestes et pouvant entrainer une exposition de certaines parties du corps répond à des normes esthétiques et vestimentaires. En effet, la superposition de pagnes noués autour de la taille de différentes longueurs et couleurs rend l’exercice facile et correct.

L’espace de danse des Mame est principalement le cercle familial à l’occasion d’évènements heureux, baptêmes mariages, lors des fêtes de fin des récoltes ou toute autre célébration. Lors de ces évènements, la danse représente une activité centrale où l’on remarque un fort investissement affectif et corporel selon les liens qui unissent les convives.

N’a-t-on pas souvent entendu une Mame dire à sa petite-fille qu’elle lui réserve son ultime pas de danse Sabar ? Cette danse sera exécutée à l’occasion du mariage de cette dernière, ceci pour lui signifier toute la joie et le bonheur que cet évènement va lui procurer et en priant tous les saints pour être encore en vie. Elle lui fera l’honneur de danser, parée de ses beaux boubous.
La forme de danse chez Maame se caractérise par le trépignement des pieds au sol, des secousses des épaules qui subissent le poids de l’âge. La beauté de ce geste va être amplifiée par les mouvements lents et gracieux des bras épousant la largeur du boubou toujours très élégamment porté et en parfaite harmonie avec le rythme. Ce type de danse sans trop bouger ou en fournissant peu d’effort est très en vogue et est très expressive.
Nos grand-mères ont toujours dansé et continue à le faire, c’est un acte ritualisé de renforcement de la cohésion sociale.

A l’occasion, certaines Maame plus jeunes vont proposer une danse plus énergique En effet, il existe d’autres espaces clos ou d’intimité, réservés aux Maame plus jeunes ; ce sont des moments de regroupement de dames d’une même classe d’âge où une exposition un peu plus osée du corps dansant, loin, très loin des regards indiscrets, peut se faire.

Tout ceci pour montrer que le corps dansant attire le regard, mais il reste et doit être protégé, comme l’exigent les normes et valeurs de la société qui l’abrite. C’est en cela que Marcel Mauss disait, dans son ouvrage : Les Techniques du corps, « le corps est le produit d’une construction sociale ».

Pour conclure, nous pouvons dire qu’il y a du changement dans l’évolution de la pratique dansée. Nous pouvons déplorer une certaine forme d’exposition du corps, entrainant l’exécution de mouvements qui, au lieu de rendre à la danse toute sa grâce et son élégance, la dénature.
Néanmoins, il est intéressant et nécessaire de maintenir la cohabitation harmonieuse entre Mame et les jeunes. C’est utile et fructueux. Les ainés et grand-mères sont les gardiennes de la tradition. Elles peuvent servir de source d’inspiration à la jeunesse.

Nos danses en effet, sont riches de nos traditions. C’est ce qui leur vaut leur rayonnement dans le monde. Comme le disait André Malraux à l’ouverture du colloque organisé lors du premier Festival mondial des arts nègres, à Dakar, en 1966 –: « L’Afrique a changé la danse dans le monde. Mais elle a possédé un autre domaine de danse, sa danse séculaire ou sacrée. Elle est en train de mourir, et il appartient aux gouvernants africains de la sauver »

Je compléterai cette citation de Malraux, par la réaction d’Aimé Césaire que nos jeunes artistes, danseurs, ouverts sur l’international, devraient pouvoir méditer avec nous : « L’art africain de demain vaudra ce que vaudront l’Afrique de demain et l’Africain de demain. Si l’homme africain (…) se coupe de ses racines, s’il se prive de ses sucs nourriciers, s’il se coupe de ses réserves millénaires (…) se débarrasse de ses légendes, de sa sagesse, de sa culture propre, ou bien tout simplement s’il considère qu’il n’a plus aucun message à délivrer au monde, c’est très simple, l’art africain s’étiolera, s’appauvrira et disparaitra. »

Dr Aïssatou Bangoura-SOW

Institut Supérieur des Arts et des Cultures
Ancienne de Mudra Afrique



Source : http://lesoleil.sn/opinion-eloge-du-sabar-par-dr-a...