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Parfum de scandale : Comment les cinq avions tchèques ont été fourgués à Air Sénégal

Créée en 2017 sur les cendres de la défunte Sénégal Airlines, la gestion de la compagnie Air Sénégal fait partie des plus grands scandales financiers sous le magistère du Président Macky Sall. Rien que sa dette de « complaisance » est estimée à plus de 120 milliards Cfa, malgré un soutien public cumulé de l’Etat du Sénégal à hauteur de 181 milliards Cfa. En attendant les résultats de l’audit approfondi ordonné par le Premier ministre Ousmane Sonko, « Le Témoin » vous révèle comment les cinq avions de fabrication tchèque ont été acquis par l’Etat du Sénégal, qui les a ensuite fourgués à la compagnie Air Sénégal...au franc symbolique.


Rédigé par leral.net le Mercredi 14 Mai 2025 à 10:46 | | 0 commentaire(s)|

Décidément, la reddition des comptes a encore de beaux jours devant elle. Et devant l’histoire ! Sous l’ancien régime de l’Apr, la compagnie nationale Air Sénégal a été sacrifiée, puis financièrement déplumée sur l’autel de la corruption, de la gabegie, du clientélisme et de la mauvaise gestion. Un carnage financier sans précédent, qui a poussé le Premier ministre Ousmane Sonko à convoquer une réunion inter‐ ministérielle sur Air Sénégal, afin de chercher les voies et moyens de sauver ce fleuron aérien national. Et surtout, d’engager un audit approfondi mené par les corps de contrôle de l’État, pour faire la lumière sur les graves difficultés financières que traverse la compagnie, qui bat de l’aile.

« L’Etat ne peut pas exécuter le plan de relance d’Air Sénégal, sans faire des audits approfondis », avait exigé le Premier ministre, Ousmane Sonko, avant d’ajouter qu’« il est important que nous sachions ce qui s’est exactement passé dans la gestion d’Air Sénégal et d’en tirer toutes les conséquences en termes de reddition des comptes. Qu’on ne peut mettre plus de 180 milliards Cfa dans la compagnie aérienne et se retrouver avec des avions qui ne décollent pas », s’était désolé le Chef du gouvernement, faisant allusion aux cinq avions « L410NG » de fabrication tchèque et acquis « nébuleusement » sous le magistère de l’ancien ministre des Transports aériens, Doudou Kâ. Evidemment en « entente » directe avec l’ex Directeur général d’Air Sénégal, Badara Fall.

Le Premier ministre Ousmane Sonko ne savait pas si bien dire, en affirmant que les avions n’ont jamais été opérationnels. Car depuis leur réception en grande pompe par l’ancien Premier ministre Me Sidiki Kaba, les deux aéronefs de 19 sièges/chacun, déjà livrés et réceptionnés, sont immobilisés dans les hangars de l’aéroport militaire Léopold Sédar Senghor de Yoff.

Ce, faute de pilotes et mécaniciens qualifiés, puisque le type et la marque de ces avions n’existent que dans trop peu de compagnies aériennes au monde. Des paramètres de non rentabilité que Me Sidiki Kaba avait, sans doute, ignorés lors de la cérémonie de réception, à la veille de la campagne présidentielle 2024.

« Nous sommes réunis pour recevoir deux aéronefs L410NG, livrés par la société Tchèque Ommypole, qui vont renforcer la flotte de notre compagnie nationale Air Sénégal et accélérer le développement du trafic aérien domestique », avait déclaré l’ancien chef du gouvernement.

Me Sidiki Kaba ignorait‐il les conditions techniques et financières dans lesquelles ces avions ont été acquis par le ministère des Transports aériens, au nom et pour le compte d’Air Sénégal ? A qui profitait l’acquisition pressante de ces avions très couteux, dont les voyages de négociations avaient été effectués à l’insu des experts, techniciens, commerciaux et pilotes d’Air Sénégal ? Seule l’Inspection générale d’État (IGE) pourra répondre à ces questions, puisque le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, a ordonné d’auditer la compagnie (logistique, marchés, dettes, contrats, flotte, etc).

« D’ailleurs, "Le Témoin" est en mesure de vous révéler que les experts de l’IGE vont atterrir sur le tarmac d’Air Sénégal, bien avant la fin de ce mois de mai 2025.

Toujours est‐il que dès le retour « triomphal » des acquéreurs de Prague, le ministère des Transports aériens avait fait convoquer une réunion regroupant les passagers de la « troisième classe », c’est‐à‐dire des cadres et chefs de service qui n’ont vu ces avions qu’à travers des…jumelles. En fait, il s’agit d’une réunion ministérielle à laquelle ont pris part des conseillers techniques, des assureurs, des pilotes, des mécaniciens, ainsi que différents directeurs (Commercial, Communication, Marketing etc…) d’Air Sénégal et d’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD). Cette sorte de foire aux ignorants, avait pour ordre du jour, la préparation de la cérémonie de réception des deux premiers avions « L410 NG
».

En parcourant le compte rendu de cette réunion dont « Le Témoin » a exclusivement obtenu copie, il a été constaté dans un premier temps, l’absence des responsables de Communication d’Air Sénégal et d'AIBD. D’où la reprogrammation de la rencontre pour le 28 février 2024. Et à charge pour chaque entité concernée, de convier les départements communication respectifs, ainsi que tous autres départements impliqués. Mais néanmoins, lit‐on dans le compte-rendu, il a été retenu toutefois, pour des raisons de calendrier, que les appareils atterriront à Dakar‐Yoff (LSS).

Toujours dans le compte-rendu de réunion, il a été décidé que l’Anacim prévoit un délai d’un mois pour la mise en flotte des appareils, car l’agence dispose déjà de l’admission temporaire des appareils et des documents fiscaux.

« Pour la mise à jour des manuels nécessaires. Seul le Manex « partie B » risque de poser des difficultés si le format documentaire n’est pas le même que celui déjà utilisé pour les appareils Airbus. Impossibilité matérielle de fixer une date pour la finalisation de cette mise à jour. Air Sénégal Sa doit fournir une note sur les contraintes documentaires, en concertation nécessaire avec deux techniciens, afin d’utiliser leur agrément de maintenance pour l’entretien des avions etc… (…).

Sur la formation, 20 pilotes, 2 agents (Anacim) et 10 techniciens sont prévus. Ils doivent être formés pour se familiariser sur le type d’appareil. A cet effet, une convention est prévue avec l’Armée de l’Air etc… (…). L’Etat du Sénégal en sa qualité de propriétaire, met à disposition au franc symbolique, les 5 appareils L410, en vue de son exploitation par la compagnie nationale, avec toutes les charges et responsabilités que cela implique (…)
», lit‐on dans le compte-rendu de réunion, pour la préparation de la cérémonie de réception des appareils, en vue de leur exploitation imminente.

Des avions sans…pilotes

Vous conviendrez avec nous que depuis lors, plus rien ! Et pis, les avions dont le prix unitaire tourne entre 5 et 6 milliards Cfa, sont abandonnés dans les hangars de Yoff depuis plus de deux ans. Face aux risques de corrosion à cause du frottement de l’air maritime, du suintement des huiles et de l’humidité.

Mais ce qui est plus alarmant dans cette d’affaire, c’est d’avoir fourgué cinq avions domestiques à Air Sénégal, alors que la compagnie n’en avait pas encore besoin. Et comme si acquéreurs et négociateurs sénégalais voulaient s’en débarrasser au…franc symbolique.

C’est trop beau pour être vrai ! Certes, il vrai que l’Etat ne fait pas de bénéfices. Acteur particulier de la vie économique et principal bailleur du pays, l’Etat a l’obligation d’aider voire de sauver financièrement une société nationale comme Air Sénégal, en proie à une faillite imminente.

Malheureusement, au moment où les « cadeaux » tchèques tombaient du ciel comme en période de Noël, Air Sénégal avait besoin de liquidités pour survivre. Et surtout, de se remettre de la crise de dettes et de pertes cumulées estimées à plus de 200 milliards FCfa. Donc l’urgence n’était pas d’acheter de petits avions favorables aux transactions douteuses et sorties de piste financière. N’est‐ce pas ?

Un cadre de la direction commerciale d’Air Sénégal s’étrangle de colère, dès qu’on lui parle de la commande de ces cinq avions d’une capacité de 19 places/chacun.

Des vols domestiques à perte ! D’abord, il regrette du fait qu’aucun cadre commercial, pilote, mécanicien, technicien ou ingénieur d’Air Sénégal, n’était au courant de l’acquisition de ces appareils. Ne serait‐ce que d’aller à Prague, pour connaître le type et la marque de l’avion, afin de s’imprégner sur l’autonomie, la consommation en carburant, les coûts de maintenance, la formation des équipages etc.

Rien de tout cela ! Pour preuve, aucun pilote d’Air Sénégal n’est qualifié pour voler à bord de ces avions. De même que les pilotes de l’Armée de l’Air que le ministère des Transports aériens voulait faire réquisitionner pour sauver la face ! Un camouflage avorté, mettant à nu l’absence d’une stratégie commerciale qui devait définir un plan d’action opérationnel pour atteindre les objectifs commerciaux de cette nouvelle flotte domestique. « Car l’étude de rentabilité et d’opérationnalité d’un avion avant tout achat ou « cadeau », c’est limiter les imprévus et dépenses inutiles », se désole‐t‐il.

Et pourtant, bien avant l’acquisition de ces avions tchèques, Air Sénégal avait lancé la desserte Dakar, Saint louis, Ziguinchor, Kédougou et Cap-Skirring. Et tous ces vols domestiques fréquemment retardés, annulés ou reportés, n’étaient pas rentables. Pis, le réseau fait cumuler à la compagnie, d’énormes pertes. Par exemple, sur l’axe Dakar‐Saint‐Louis (40.000 FCfa Aller/Retour), la plupart des passagers ou drôles de passagers n’effectuaient le trajet que pour un baptême de l’air. Autrement dit, se payer un « aller » simple et découvrir pour la première fois le confort et la sensation d’un avion, avant de retourner sur Dakar à…pieds. En dépit du fiasco aérien, Air Sénégal s’est permis d’aller jusqu’à Prague pour se faire fourguer des avions…domestiques. Et le Premier ministre Ousmane Sonko a décidé de faire ramasser ces milliards jetés par les hublots, pour ne pas dire fenêtres.

Il faut cependant noter qu’outre les deux aéronefs déjà livrés et réceptionnés, un troisième a été livré et pas encore réceptionné, pour des problèmes techniques. Et selon des sources proches de la société contractante tchèque, des pourparlers ont repris depuis trois mois et les derniers échanges des autorités tchèques et sénégalaises relativement à la poursuite du processus de livraison, remontent à seulement deux semaines.