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Pillage des forêts : La saignée verte se poursuit à Bignona

Rédigé par leral.net le Jeudi 9 Septembre 2021 à 18:05 | | 0 commentaire(s)|

Sanctuaires de la biodiversité, il y a des décennies, les forêts situées dans les arrondissements de Sindian et de Kataba 1, dans le département de Bignona, sont en train de disparaître. La faute est imputée aux auteurs du trafic international de bois. Ces activités illicites précipitent ces localités dans un désastre écologique. Par Gaustin DIATTA […]

Sanctuaires de la biodiversité, il y a des décennies, les forêts situées dans les arrondissements de Sindian et de Kataba 1, dans le département de Bignona, sont en train de disparaître. La faute est imputée aux auteurs du trafic international de bois. Ces activités illicites précipitent ces localités dans un désastre écologique.

Par Gaustin DIATTA (Correspondant) 

ZIGUINCHOR – Le village de Djiral, situé dans la commune de Sindian, département de Bignona, est un hameau à quelques jets de pierres de la frontière avec la Gambie. Son éloignement et son enclavement ont longtemps contribué à la préservation de ses forêts denses et humides. Ces écosystèmes abritaient une riche biodiversité avec un nombre incalculable d’espèces animales et végétales. À l’époque, souffle-t-on, à première vue, l’on se croirait en Amazonie, en Amérique du Sud avec une température ambiante frisquette. Au fil des décennies, ces formations végétales impénétrables ont laissé place à des clairières, dans les villages situés dans la commune de Djibidionne. Sur le long du chemin de Kouram, une bourgade située dans la commune de Kataba 1, des écorces, des morceaux de bois issus du rabotage couvrent une bonne partie de la route. Dans cet endroit perdu, le drame écologique se conjugue avec le recours aux feux pour accélérer le pillage. Conséquence : la régénération des espèces végétales est presque au point mort.

En Casamance, des statistiques partagées en 2019 par le militant écologiste et ancien Ministre de l’Environnement, Haïdar El Ali, révèlent qu’en seulement 10 ans (depuis 2010), plus d’un million d’espèces d’arbres ont disparu. Le Sénégal perd 45.000 hectares de forêts, chaque année, selon le Ministère de l’Environnement et du Développement durable. Entre 2010 et 2020, le trafic illicite de bois a procuré aux auteurs du pillage 140 milliards de FCfa.

Dans l’arrondissement de Sindian, situé dans le département de Bignona, les forêts que nous avons traversées pour se rendre à Kouram témoignent de l’ampleur du phénomène de la coupe du bois dans cette zone. Les menaces qui pèsent sur ce que les forestiers considèrent comme la dernière réserve de la biodiversité dans le Sindian laissent un goût amer aux défenseurs de l’environnement. « La forêt, c’est l’habitat de la faune. Si cet habitat continue d’être agressé et menacé, certains animaux, n’ayant plus de refuge, vont migrer vers certaines zones où il y a plus de quiétude. Dans certains villages de la Casamance, si les populations disent ne plus voir beaucoup d’espèces, c’est parce que l’habitat est détruit. Et si la chaîne alimentaire est rompue, l’animal va aller ailleurs parce que l’habitat a été dégradé», regrette le lieutenant-colonel Babacar Dione, rappelant que la destruction de la forêt contribue à la destruction de la faune. L’Inspecteur régional des Eaux et forêts de Ziguinchor est revenu sur la guerre qu’ils mènent pour enrayer le fléau.

La nuit, moment propice pour couper le bois 

En janvier 2020, lors d’une visite, dans les forêts de Sindian, des journalistes africains pour l’environnement, le maire de la commune éponyme avait déploré le désastre écologique dans les arrondissements de Sindian et de Kataba 1. Yancouba Sagna avait exprimé ses craintes de voir disparaître des espèces emblématiques. « L’ampleur des dégâts est incommensurable. Aujourd’hui, nous craignons même de voir disparaître des pieds de l’espèce Techno grandis (Tecks) qui nous restent. Pendant ce temps, ces trafiquants empochent des milliards de FCfa». Le ton est ferme contre les pilleurs. L’édile de la ville de Sindian assimile cette coupe illicite à « une mafia criminelle ». Revenant sur le modus operandi, M. Sagna a révélé que ces derniers « opèrent en pleine nuit, avec un imposant arsenal composé de scieries mobiles, de véhicules et parfois même avec des armes».

Pour enrayer le fléau et permettre une régénération naturelle, l’Inspecteur régional des Eaux et forêts de Ziguinchor demande l’implication des collectivités territoriales. Cependant, le Maire de la commune de Sindian avance que les communes n’ont pas les moyens pour mettre hors d’état de nuire les trafiquants de bois qui sont bien organisés. Ce qui fait, ajoute-t-il, que dans ces zones, les populations ne «constatent les dégâts qu’au petit matin, après la razzia opérée la nuit par les trafiquants ». Il renchérit : « Ce qui se passe en Casamance, notamment dans le département de Bignona, est dramatique. Il est urgent de faire comprendre aux populations l’enjeu de préserver des forêts ».

La coupe continue, malgré les sanctions pénales 

Pour faire cesser la coupe et le trafic de bois en Casamance vers la Chine, le Président de la République, Macky Sall, a instruit son Gouvernement, lors du Conseil des ministres du 17 janvier 2018, de suspendre, dans le Sud du pays, toute autorisation de coupe de bois jusqu’à nouvel ordre. À l’issue de cette rencontre hebdomadaire, le Sénégal, sur initiative du Chef de l’État, a adopté un nouveau code forestier, en remplacement de celui qui a été voté en 1998 par la représentation nationale. Ainsi, les sanctions pénales sont corsées. À la vérité, le nouveau code criminalise cette activité illégale et intègre la notion de commanditaire et d’association de malfaiteurs au dispositif. Actuellement, toute personne arrêtée pour coupe et trafic de bois peut être condamnée à une peine d’emprisonnement ferme de 4 à 10 ans. Ce n’est pas tout. Puisqu’avec le nouveau code qui comporte 94 articles contre 79 du code 98-3 du 8 janvier 1998, le mis en cause est tenu de s’acquitter également d’une amende pouvant atteindre 30 millions de FCfa. Malgré toutes les mesures prises pour les décourager, certains s’entêtent à poursuivre ces activités illégales. Mais, l’inspecteur régional des Eaux et forêts souligne l’importance de poursuivre le combat pour la préservation des formations forestières. D’ailleurs, il rassure que ses hommes et lui-même ne se lasserons pas de traquer les pilleurs. Il est intransigeant sur la question. « La guerre contre ces trafiquants se poursuit. Il est hors de question qu’on les laisse s’emparer de toutes les ressources forestières. Les populations bénéficient des produits que leur offrent les forêts. Nous allons donc continuer de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger ces forêts-là », prévient le lieutenant-colonel, Babacar Dione, insistant sur le fait que la guerre contre les destructeurs des forêts va continuer jusqu’à ce qu’ils baissent enfin la garde. G. DIATTA 

 

6 trafiquants en attente d’être jugés 

Dans le combat visant à mettre hors d’état de nuire tous les trafiquants et coupeurs de bois, l’équipe du lieutenant-colonel Dione allie le bâton et la carotte. Les nombreuses patrouilles sur le terrain ont permis aux « protecteurs » des forêts de mettre la main sur six personnes déjà placées sous mandat de dépôt. Toutes de nationalités étrangères, ces dernières attendent d’être jugées. Ils vont répondre des délits de trafic illégal de bois et d’association de malfaiteurs. « Parmi les trafiquants, il y en a qui croupissent déjà en prison. Il y a une certaine complicité, avec une diversité d’acteurs. C’est ce qui complique un peu notre travail. Il y a aussi le contexte lié au conflit armé. Mais, on continue de traquer ces trafiquants. Il est inadmissible que des gens veuillent détruire ces forêts. On ne laissera pas faire », martèle le patron des Eaux et forêts de la région de Ziguinchor. G. DIATTA 

Le bois de Vène, l’espèce vendue à prix d’or sur le marché international 

Le bois de Vène est l’espèce la plus exploitée dans les régions du Sud. Espèce rare dans le monde et emblématique dans les régions australes du Sénégal, le bois de Vène est vendu au prix d’or sur le marché international. La conséquence, elle est menacée de disparition. « Si l’on continue à couper le Vène, d’ici à quarante ans, on ne parlera plus de cette espèce en Casamance. C’est dangereux parce qu’on coupe et l’on ne pense pas à la régénération de cette espèce. On risque de ne plus voir cette espèce dans cette partie du pays. Et ce n’est pas bon », se désole lieutenant-colonel Dione, invitant les exploitants forestiers « à la retenue et à penser aux générations futures ». Un environnement dans lequel, dit-il, tout le monde trouve son compte. Outre le Vène, le lieutenant-colonel précise que les pilleurs commencent à s’en prendre aux fromagers pour faire du bois blanc. Cela, ajoute-t-il, crée également des dommages. «Les gens coupent ces espèces, transportent le produit ailleurs et ne laissent sur place aucune graine qui favorise la régénération. C’est grave et dramatique. Parce que la rareté de ces espèces contribue à la perte de la biodiversité », s’alarme-t-il.

G. DIATTA 

Les feux de brousse, l’autre mal 

En dépit de toutes les initiatives prises pour contrer les trafiquants de bois souvent bien organisés, le service régional des Eaux et forêts constate sur le terrain un autre mal : les feux de brousse. Même s’ils sont généralement précoces, ces feux de brousse augmentent les risques de disparition des forêts. En 2020, 1500 feux de brousse ont été enregistrés dans la région. D’après l’Inspection régionale des Eaux et Forêts, ces feux ont des conséquences sur la régénération naturelle des espèces. « Il faut éviter de mettre le feu dans ces forêts. Cela permettra de les préserver. La forêt doit devenir ce qu’elle a été avant. Pour arriver, il faut qu’il y ait moins de coupe et plus de restauration. C’est dangereux, ce que nous voyons », affirme le lieutenant-colonel Babacar Dione. G. DIATTA 

 

Des saisies importantes en 2020 

Au courant de l’année 2020, beaucoup de produits forestiers, de dérivés et de matériel de coupe et de transport ont été saisis par les agents des Eaux et Forêts de l’inspection régionale de Ziguinchor. Les saisies ont été plus opérées dans le département de Bignona. Les hommes du colonel Dione ont mis la main sur 357 billons de vène, 51 billons de caïlcédrat contre 3 à Ziguinchor et 2 à Oussouye.
Outre le bois de vène, les agents des Eaux et Forêts ont saisi 56 billons de linké, 104 plateaux de caïlcédrat, 290 planches de fromager, 196 planches de vène, 1723 lattes de rôniers, 125 stères (bois de chauffe), 1846 sacs de charbon de bois etc. En plus du bois et autres produits forestiers, le colonel Dione et ses hommes ont mis la main sur une voiture, une charrette, un tracteur, trois motos, une tronçonneuse etc. Ces chiffres révélateurs témoignent du pillage organisé des dernières réserves forestières. Face à cette situation, le lieutenant-colonel Babacar Dione et ses hommes se disent prêts à protéger les ressources forestières pour permettre aux populations d’en tirer profit et de maintenir l’équilibre socio-écologique. G. DIATTA



Source : http://lesoleil.sn/pillage-des-forets-la-saignee-v...