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Planification familiale : Et si les hommes prenaient enfin leur part ?

Face à la surcharge mentale des femmes dans la gestion de la contraception, une nouvelle approche au Sénégal mise sur l’implication masculine. Témoignages, stratégie nationale et premiers résultats.


Rédigé par leral.net le Mercredi 6 Août 2025 à 17:16 | | 0 commentaire(s)|

Un dîner, six enfants, et une visite manquée chez la sage-femme

Planification familiale : Et si les hommes prenaient enfin leur part ?
À Thiès, dans une cour poussiéreuse, Aïssata prépare le dîner. Sa sixième grossesse l’a laissée épuisée. Ce soir, elle se souvient soudain : « J’ai oublié ma visite chez la sage-femme ».

Le ton n’est pas coupable. Il est résigné.

Elle n’a pas oublié par négligence. Elle a oublié parce que tout repose sur elle. Le commerce. Le linge. Les devoirs. La cuisine. Les enfants. Omar, son mari, est là, assis, à l’écart.

Le tableau est tristement banal : une femme qui gère seule la contraception. Et une charge mentale de plus, souvent invisible. Pourtant, son impact est réel, profond, et collectif.

Contraception : une responsabilité trop souvent féminine

Dans de nombreuses familles sénégalaises, la planification familiale est perçue comme une affaire de femmes. Ce sont elles qui choisissent une méthode, renouvellent les ordonnances, gèrent les effets secondaires, planifient les rapports.

Mais cette charge contraceptive invisible a un prix : des oublis de rendez-vous, des abandons de méthodes mal vécues, des grossesses non désirées, une fatigue émotionnelle chronique. Et toujours, ce silence pesant sur leur santé reproductive.

Changer les normes, pas les femmes

Face à ce constat, l’Association nationale des Jeunes pour la Santé et le Développement (ANJSD), en partenariat avec le Ministère de la Santé et de l’Action Sociale, a lancé une campagne audacieuse : “Les Aînés protecteurs”.

Son objectif ? Intégrer les hommes — et particulièrement les jeunes hommes — dans les stratégies de planification familiale. Non pas comme spectateurs, mais comme acteurs conscients et engagés.

« Il ne s’agit pas d’ajouter une charge aux hommes, mais de partager équitablement celle qui pèse depuis trop longtemps sur les femmes »,Fatoumata Diallo, sociologue, ANJSD.

Une approche terrain : 14 régions, 400 hommes rencontrés

Entre 2024 et 2025, l’ANJSD a organisé des causeries communautaires dans les 14 régions du Sénégal, avec un focus stratégique sur les hommes âgés de 25 à 30 ans, souvent en couple ou sur le point de se marier.

Le choix de ce public n’est pas anodin : ces jeunes adultes se construisent en tant qu’hommes, maris, pères. C’est là que les représentations peuvent encore évoluer, que les habitudes se forgent.

« Avant, je pensais que le préservatif c’était juste pour les jeunes. Maintenant je comprends qu’il peut aider ma femme à se reposer entre deux enfants », Abdoulaye, 41 ans, Tambacounda.

Ces causeries abordent sans tabou : les méthodes contraceptives masculines et féminines, la communication dans le couple, les effets secondaires, la charge mentale des femmes.

Résultats observés : plus d’engagement, moins d’abandon

Les premiers retours sont encourageants. Quand les hommes écoutent leurs partenaires, participent aux décisions de méthode, accompagnent aux rendez-vous,…on observe moins d’abandon, moins de tensions, plus de stabilité dans les couples.

« Ma femme a changé de méthode après qu’on en a parlé ensemble. On se sent plus complices. Avant, je la laissais tout gérer », Alioune, 26 ans, Sédhiou

Vers une refonte des politiques publiques ?

En parallèle aux causeries, l’ANJSD développe actuellement des indicateurs locaux pour mesurer l’évolution des masculinités reproductives au Sénégal. L’objectif est clair : proposer des outils de suivi concrets, adaptés au contexte sénégalais, pour informer sur les prochaines politiques de santé publique.

« Il est temps que nos stratégies de communication et nos services de santé tiennent compte des dynamiques de genre au sein du couple. », Dr. Ndèye Sène, Direction de la Santé de la Reproduction / DSME.

Un tournant pour la santé reproductive au Sénégal ?

La planification familiale ne peut plus être un monologue. C’est un dialogue. Un projet à deux. Une responsabilité partagée.

Et ce changement, porté par des jeunes, enraciné dans les communautés, pourrait bien marquer un tournant majeur dans l’histoire de la santé reproductive au Sénégal.

À suivre...

Les prochaines étapes : élargir la campagne, renforcer les formations et impliquer les leaders d’opinion masculins à grande échelle.

Ce qu’il faut retenir

✔ La charge contraceptive pèse encore quasi exclusivement sur les femmes.
✔ L'implication des hommes améliore la continuité des méthodes et la qualité du dialogue au sein du couple.
✔ Une stratégie nationale, “Les Aînés protecteurs”, mise sur la transformation des normes masculines.
✔ L’ANJSD propose une approche communautaire, ciblée et contextualisée, fondée sur des indicateurs locaux.




Birame Khary Ndaw

Ousseynou Wade